Léo Warynski, un chef à chœur ouvert.

22/09/2021
Télérama - Sophie Bourdais

Il faudrait plus qu’un virus, même pandémique, pour saper l’enthousiasme dont déborde le chef d’orchestre alsacien Léo Warynski, fondateur de l’ensemble vocal Les Métaboles. Ne comptez pas sur ce presque quadragénaire à la silhouette de jeune premier, au sourire chaleureux et au verbe clair, pour vaticiner sur le poids des restrictions sanitaires et les projets empêchés. Oui, il a pu craindre que ses musiciens soient « engloutis par la vague », oui, « une épée de Damoclès » reste suspendue au-dessus de leurs têtes. Mais, préfère-t-il souligner, « en 2020, nous avons été soutenus, protégés. Et nous avons pu travailler et retrouver, ensemble, un métier qui est aussi toute une vie ».

De fait, grâce aux captations, on n’a jamais cessé d’admirer sa gestuelle souple, précise et habitée. Sa façon empathique de chercher le regard des musiciens, et de faire corps avec eux tout en les guidant. Son approche rigoureuse et sensible des œuvres, fruit d’une insatiable curiosité, qui s’applique aux compositeurs du présent comme à ceux du passé. Le répertoire a cappella des Métaboles va du médiéval au contemporain, volontiers mélangés : « Je veux embrasser tous les répertoires, pour m’émerveiller à tout bout de champ. » Comme dans ce concert filmé en janvier 2021 à la Philharmonie de Paris, où la création française du Requiem de Francesco Filidei (né en 1973), confié aux Métaboles et à l’Ensemble intercontemporain, dialogue le plus naturellement du monde avec le Stabat Mater de Palestrina (1525-1594).

Une enfance mélomane

Né à Colmar en 1982, un an avant la première édition de Musica, il a fréquenté le festival très jeune, dans le sillage d’une famille où la musique n’est pas une profession — les parents sont médecins —, mais « un ciment ». Avec un père guitariste, une mère chanteuse et flûtiste, des frères qui jouent du violon, comment s’étonner qu’il ait si tôt manifesté sa mélomanie ? Venue écouter Le Messie, de Haendel, quelques jours avant qu’il naisse, sa mère lui a souvent raconté à quel point il avait bougé pendant le concert…

Il a 4 ans quand un oncle luthier lui offre, pour Noël, un petit violoncelle. Ravi, l’enfant passe la soirée à le manipuler : « Je me souviens du plaisir que j’ai eu à chercher des sons, à le sentir vibrer. » Confié à un professeur recommandé par le même oncle, il a « la chance d’apprendre par la pratique et l’écoute, et d’être tout de suite dans le son », la théorie validant plus tard ce qu’il a saisi intuitivement. Il goûte cette même « expérience sensible » à la maîtrise de Colmar, dirigée par Arlette Steyer, où ses parents l’inscrivent avec ses frères : « Chaque garçon se voyait proposer un parcours idéal. On en sortait avec un bagage qui allait bien au-delà des compétences musicales. » Parfois Arlette Steyer chante avec ses ouailles : « Elle avait une grande voix de mezzo-soprano, très timbrée, qui nous couvrait tous, alors que nous chantions à tue-tête ! J’adorais cela. »

Le goût des vibrations instrumentales, l’émotion liée à la voix… Tout est déjà là. Il a 8 ans quand la direction lui cligne de l’œil pendant une Symphonie nº 3, de Gustav Mahler (1860-1911). « Notre maîtrise était la petite partie d’un grand tout. Nous chantions d’abord seuls : “bim bam, bim bam…”, puis le grand chœur et l’orchestre nous ont rejoints. Je regardais le chef, Eliahu Inbal, et sentais que ce devait être exaltant de diriger tout cela. » Peu après, il découvre qu’il a l’oreille absolue. « Les notes me parlent dans ma tête », confie-t-il à sa mère, apprenant alors qu’il s’agit d’un don. Sa vocation se précise à l’adolescence, quand il constate qu’il n’a pas la patience pour l’énorme travail technique que requiert le métier de violoncelliste, et que l’apprentissage de la direction lui permettra de continuer à creuser des matières qui le passionnent autant que la musique, comme l’histoire ou le français. Son instrument, c’est décidé, sera l’orchestre tout entier. Il en fonde un au lycée, assorti d’un chœur, pendant sa terminale.

Le choix du chœur

Deux concerts consacrent cette première expérience avant le départ pour Paris, où, après une hypokhâgne et une khâgne au lycée Fénelon, il intègre le Conservatoire et la classe de direction du chef François-Xavier Roth. De ce dernier, fondateur de l’orchestre Les Siècles, qui l’engagera comme assistant, il retiendra « le côté instinctif, celui d’un chef-né, pour qui une idée claire entraîne un geste clair », et la double casquette « de chef d’institution et d’entrepreneur ». Pierre Cao, chef et fondateur du chœur Arsys Bourgogne, lui enseignera ensuite comment ne pas se laisser dicter ses choix artistiques par des (im)possibilités techniques, non sans lui avoir glissé (il en rit encore) : « Si le chef ne dérange pas trop les musiciens, c’est déjà très bien ! »

Avec ces deux mentors, Léo Warynski apprend à conjuguer rigueur et spontanéité. Ne reste plus au chef tout neuf, qui veut « prendre [son] destin en main », qu’à créer son ensemble. Ce sera un chœur. Pas seulement du fait de son extrême sensibilité au grain des voix et à leur alchimie, qui peut lui donner des insomnies en cas d’absence d’un chanteur (« parce que je sais que cela va enlever quelque chose au son dont j’avais rêvé »), mais parce que le répertoire orchestral est déjà bien couvert par les formations existantes. Il existe en revanche plus de mille ans de répertoire vocal, rarement chanté, et pas comme il le souhaite.

Ainsi naissent, en 2010, Les Métaboles, d’abord sur le mode amateur. Libre de composer ses programmes comme il l’entend, Léo Warynski profite de la plasticité des voix, et de la virtuosité technique de ses recrues, pour varier les styles sans avoir à changer d’instrument. Et s’efforce, avec succès, d’obtenir une fusion chorale qui n’arase pas les personnalités : « Le chef ne produit pas le son, il est donc tributaire de l’imagination des chanteurs. Je leur demande souvent de faire des propositions, et je me vois un peu comme un émondeur, taillant et sculptant des herbes folles, pour homogénéiser sans annihiler. » Il mettra six ans à se rapprocher de son idéal sonore, réalisant alors que le chœur peut aller toujours plus loin, et que leur quête d’un graal musical est sans fin.

Une curiosité tous azimuts

Entre-temps, il a compris, avec la professionnalisation des Métaboles, qu’un ensemble dit indépendant « n’en a que le nom ! On dépend des programmateurs, du contexte financier, des contacts que l’on prend… C’est un immense échiquier, où il faut avancer ses pions et réussir à tirer son épingle du jeu ». Assimilant sur le terrain le difficile métier d’entrepreneur, il poursuit aussi une carrière de chef invité. La rencontre du metteur en scène Antoine Gindt lui « ouvre le champ du théâtre ». Leur duo assure en 2013 la création d’Aliados, de Sebastian Rivas (né en 1975), un opéra où Léo Warynski dirige l’ensemble Multilatérale.