Faire entendre Ravel a cappella : c’est la très belle idée exposée par Léo Warynski et les Métaboles dans le cadre des Rencontres musicales de Vézelay, organisées par la Cité de la Voix. Un Ravel revisité par quatre transcripteurs : Clytus Gottwald, Thierry Machuel, Gérard Pesson et Thibault Perrine. Quand le chant choral enfle un univers tout de grâce et de couleur…
Au programme, une douzaine de chants, certains issus d’opus directement écrits pour la voix, ainsi les Trois Chansons, la seule œuvre a cappella de Ravel ; les autres pour instruments, voire orchestre, comme le Bolero, lequel sera un peu la vedette de la soirée. Immersion en douceur avec Pavane pour une infante défunte (1899-1910), transcrite pour chœur par Thibault Perrine, qui viendra saluer en fin de concert. Il emprunte le texte à une autre pavane, très célèbre celle-ci : Belle qui tiens ma vie. La souplesse des voix et l’homogénéité de l’ensemble s’apprécient d’emblée, ainsi que la gestion des effets, comme cette suspension au bord du silence avant la réexposition du thème. Le même Perrine conclura la soirée avec l’étincelant Bolero (1928). Ce succès devenu planétaire, d’ailleurs à la grande surprise de son compositeur, connaît ce soir la même adhésion spontanée du public, qui non seulement a dans l’oreille l’original, mais apprécie les grandes qualités de l’arrangement pour ensemble vocal. Et c’est effectivement un bonheur de voir autant que d’entendre le lent crescendo d’une mélodie répétitive soutenue par un rythme intangible. Les thèmes, chantonnés par une ou deux voix masculines, circulent de pupitre en pupitre puis enflent en étant repris par un nombre croissant de choristes. Félicitations également aux hommes chargés de siffler entre les dents l’ostinato, originellement frappé sur une caisse claire. Un martellement au pied sur l’estrade se fait entendre timidement avant sa propagation générale. A la fin, cet effet de grosse caisse se dédouble lorsque les hommes battent leur poitrine tandis que les femmes se frappent les cuisses. Le pittoresque et l’allégresse de l’œuvre sont rendus avec un certain humour par les sifflotements qui accompagnent les deux thèmes et les « ouah, ouah » des ténors qui les commentent. Plébiscité, le Bolero sera même redonné en partie à l’occasion du second bis.
La difficulté ou la gêne, à l’écoute d’une musique arrangée, c’est la mémoire de la référence dans son effectif originel, et l’on peut regretter que beaucoup de transcriptions, si réussies soient-elles, donnent l’impression de coller à leur modèle. Ce n’est sûrement pas le cas de la Pavane de la belle au bois dormant (1908-1912), adaptée par Thierry Machuel, qui fait entendre distinctement les quatre pupitres, traduisant ainsi l’élégance diaphane de l’univers ravélien. Un sifflotement discret renforce encore l’impression de distance ou de fausse légèreté émanant d’une telle musique comme d’un jardin fleuri. Marquante également est la transcription de Soupir (1913) par Clytus Gottwald, dont le frémissement des voix aigües superposées évoquent irrésistiblement Lux aeterna de Ligeti. Ce morceau est d’ailleurs une commande de Gottwald, qui le créa en 1966, l’année de sa composition, avec son ensemble, la Schola Cantorum de Stuttgart. Certaines pièces tranchent par leur côté joyeux et sautillant, ainsi Nicolette, première des Trois Chansons (1914-1915). D’autres par l’envol de voix solistes, telle La Flûte enchantée (1903), extraite de Shéhérazade et arrangée par Gérard Pesson (né en 1958), où se détache en volutes la soprane Amandine Trenc (sublime !) sur un tapis de notes basses.
Plaisant clin d’œil que celui occasionné par cette 21e édition du festival, qui tisse un lien secret entre deux Apaches, Maurice Ravel (1875-1937) et le chef d’orchestre Désiré-Émile Inghelbrecht (1880-1965). En effet, de 1900 jusqu’à la Première Guerre mondiale s’est réuni le cercle amical parisien auto-baptisé la Société des Apaches, au sein de laquelle ont été créées toutes les œuvres de Ravel. Quant à Inghelbrecht, il passa très souvent ses étés, de 1923 jusqu’à sa mort, dans sa maison de la rue Saint-Étienne, située à quelque 150m de la basilique Sainte-Marie-Madeleine, comme le rappelle une plaque. Une église comble aujourd’hui pour une soirée chorale de haute tenue.