De l’étoffe dont sont faits les anges : Les Métaboles à Vézelay

27/08/2019
Bachtrack - Tristan Labouret
Mysterious Nativity à Vezelay

Il y aura un deuxième bis. La scène est déserte depuis longtemps, les lumières ont été rallumées mais l’ovation qui salue encore Les Métaboles dans les collatéraux de la basilique de Vézelay incite Léo Warynski, le chef du choeur, à faire demi-tour pour remonter au pupitre. Quelques secondes plus tard, les pépiements surnaturels du O Salutaris hostia de Vytautas Miskinis s’élèvent à nouveau le long des hauts murs centenaires, bientôt rejoints par un choral granitique de voix masculines. On a beau s’y attendre après avoir admiré cette pièce méconnue au début du concert, il est impossible de ne pas frissonner.
Une heure auparavant, le monde des Métaboles s’est ouvert sur le merveilleux Hymne des Chérubins de Tchaïkovski. Les uns après les autres, les chanteurs rejoignent une même voie, un même souffle aérien, enchâssant délicatement leurs timbres sur le même objet sonore. Léo Warynski trace une mesure habitée, claire, souple, aux précisions discrètes : il n’a pas besoin d’user de gestes trop didactiques tant ses chanteurs connaissent leur chemin. Leurs respirations sont inaudibles, à peine perceptibles physiquement.
Le maestro profite des capacités hors norme de ses troupes pour dessiner des phrasés interminables et soigner des progressions dynamiques au long cours ; le fortissimo tendu comme un arc au sommet de la Mysterious Nativity (de Georgy Sviridov) fera trembler la voûte de la basilique. Jamais affectées, toujours impeccablement justes, même face aux accords fournis de Tchesnokov (Trois chants sacrés), Les Métaboles sont décidément de l’étoffe dont sont faits les anges.
Une heure de polyphonies a cappella dans la tradition russe orthodoxe pourrait lasser, même dans une interprétation divine. Toute l’intelligence de Léo Warynski est d’avoir agencé un programme aussi cohérent que varié, attrapant l’auditeur par l’oreille et ne le lâchant qu’après une heure de sensations fortes. Les étages formidables du contrepoint de Miskinis s’aplanissent tout à coup, laissant la place aux fils d’or tissés par Arvo Pärt dans son Magnificat. Puis c’est la procession imperturbable du Nunc dimittis et ses syllabes carillonnantes, la puissance presque agressive du Sviridov, les harmonies éthérées des voix de femmes,
laissées seules dans l’Ave verum corpus de Tchesnokov… Ces Métaboles portent bien leur nom, tant elles savent adapter légèrement leur identité sonore pour donner l’éclat propre à chaque pièce.
Arrive l’exigeante mélopée du « Bogoroditse » de Schnittke. Les chanteurs articulent le texte avec ce juste milieu de précision (indispensable pour rendre audibles les paroles) et de naturel (nécessaire pour ne pas révéler l’artifice). L’acoustique réverbérante pourrait noyer le choral, fondre les voix mais les basses ne dispersent pas leurs graves, les sopranos posent doucement leurs aigus ; les voix intermédiaires sont ainsi parfaitement perceptibles. Chaque pupitre reste homogène et le cheminement harmonique s’écoule avec une limpidité exemplaire. Quelques instants plus tard, quand le méditatif Sviatyï Bozhe de Sviridov marque la fin
du concert, le retour sur terre est brutal. Warynski a l’habileté de proposer, en bis, un extrait de la plus emblématique des oeuvres vocales russes : les fameuses Vêpres de Rachmaninov viennent répondre à L'Hymne des Chérubins et remettent l’auditeur sur les sentiers battus du grand répertoire.
Le pèlerinage polyphonique a cependant paru si bref que certains spectateurs, désireux de prolonger l’expérience métabolique, accourront à la messe du lendemain matin pour le seul plaisir d’y entendre une nouvelle fois le choeur, sollicité pour ponctuer l’office. En mal de vocations, l’Église pourra y trouver matière à réflexion : Les Métaboles ressemblent bien à une arme de conversion massive.