... de ces concerts qu’on n’oublie pas
L’épure dans l’émotion
La disparition de Joséphine Markovits en avril dernier a suscité une vive émotion. La charismatique directrice du Festival d’automne a toujours laissé une place de choix à la musique de Luigi Nono (1924‑1990) dont ce concert donné en l’église Saint‑Eustache propose Das atmende Klarsein (« La Clarté respirante »), une œuvre de 1981 pour flûte basse, petit chœur mixte et électronique live.
Les dernières pièces d’un autre Vénitien, Bruno Maderna (1920‑1973), témoignaient de son attachement aux musiques italiennes des XVIIe et XVIIIe siècles mais aussi à l’âge d’or de la Grèce antique. Les instruments à anche se présentent comme autant d’avatars du aulos. De là ces monodies qui flottent dans l’espace avec la grâce d’une toile de Miró. Le rapport à la Grèce (et à la flûte) de son ami Luigi Nono, sous la férule du philosophe Massimo Cacciari, est autrement plus tourmenté, car indissociable de la crise créatrice vécue après Al gran sole carico d’amore (1974). Place désormais à la « tragédie de l’écoute », qui se traduit par un éparpillement moléculaire, une matière raréfiée, des ouvertures fugaces dans l’épaisseur d’un silence appelé inexorablement à recouvrer son empire. Dilacérée jusqu’au cri dans les œuvres précédentes, l’écriture chorale de Das atmende Klarsein privilégie l’épure, le cristallin. Une musique souvent aux limites de l’audible, à laquelle les gestes souples de Léo Warynski offrent un prolongement sensible. Joachim Haas et Michael Acker, du studio électronique de Fribourg, font tournoyer dans les vastes volumes de l’édifice tout l’arsenal de soufflerie mis en œuvre par le fabuleux Matteo Cesari. La flûte basse (instrument de Dionysos) intervient sous forme de solo, déployant des modes de jeu tantôt allusifs, tantôt véhéments, qui exigent de l’interprète une maîtrise confondante de l’instrument avec lequel il doit faire corps.
Depuis la chaire, Matteo Cesari aura auparavant troqué la flûte basse pour le piccolo dans Musica Vneukokvahja de Niccolò Castiglioni (1965‑1996), dont Alessandro Solbiati a pu dire que sa musique ne connaissait pas la clé de fa. De son timbre acidulé, l’instrument perché dans les suraigus arrache au silence venteux de l’église des lambeaux de chants d’oiseaux (parfois énergiquement obstinés, en notes répétées) quand Castiglioni ne lui confie pas un matériel mélodique plus aimable issu du répertoire médiéval – une période que cet érudit connaissait funditus. L’idée est lumineuse d’intercaler les trois parties (Alleluja, Danza, Giga) entre les différentes Prophéties des Sibylles (1555) de Roland de Lassus (1532‑1594) – sans doute l’œuvre le plus expérimentale et la plus commentée du maître franco‑flamand, si l’on en croit sa biographe Annie Cœurdevey (Fayard). Léo Warynski dirige les douze membres des Métaboles tel un organiste ajustant ses registrations, avec un soin particulier dans la mise en valeur de l’entame des motifs repris en imitation. Pour audacieuses et dissonantes qu’elles soient, les harmonies chromatiques nous paraissent plutôt sages auprès des convulsions madrigalesques à venir d’un Marenzio ou d’un Gesualdo. La musique de ces motets semble pourtant nous parler comme si elle datait d’hier ; l’oreille aime à s’y laisser bercer et à s’y perdre, comme la raison devant l’énigme des vers latins.
Manquait un bis digne de ce nom : Les Métaboles et Léo Warynki ont choisi le sublime Ave verum corpus de William Byrd (1540‑1623) en hommage à Joséphine Markovits à qui ce concert est dédié ; de ces concerts qu’on n’oublie pas.
Trois raretés magnifiquement défendues par Les Métaboles
Trois raretés magnifiquement défendues par Les Métaboles
Le 24 août, Les Métaboles a réalisé une cohérence artistique remarquable dans les œuvres de Brahms, Bruckner et Stravinsky, chaque pièce étant abordée avec une finesse et une profondeur qui témoignent d’un travail rigoureux et réfléchi. Dès les premières notes de Begräbnisgesang de Brahms, l’équilibre entre l’orchestre, en particulier les vents, et le chœur est impeccable, offrant une fusion harmonieuse des sonorités. L’excellence des chanteurs homogènes et bien maitrisés, permet de rendre justice à la richesse des harmonies brahmsiennes, où chaque voix trouvait sa place. La Messe n° 2 pour chœur et instruments à vent de Bruckner se distingue par une minutie et une précision rares. Warynski, avec un sens aigu du détail, a su manier le temps avec une justesse qui respecte la solennité de la partition. Cette rigueur a permis de révéler toute la profondeur spirituelle de la musique de Bruckner, sans jamais tomber dans une lourdeur. Les sopranos, bien que parfois légèrement serrés dans les aigus, contribuent à un rendu bien harmonieux. L’ensemble du chœur démontre une cohésion et une consistance de bout en bout. Ici, la dynamique reste mesurée, évitant les triple forte inutils tels qu’on a beaucoup entendu dans les interprétations grandiloquentes au cours du XXe siècle. Warynski a montré que la force de l’œuvre réside moins dans une démonstration de puissance que dans l’expression d’une foi intérieure, vigoureuse mais subtile. Enfin, dans Stravinsky, l’acoustique généreuse de la Basilique a atténué le côté percussif des instruments à vents même dans les moments les plus éclatants. Cette douceur acoustique, presque paradoxale, a permis aux mêmes instruments de se transformer en un tapis sonore délicat, offrant une nouvelle perspective sur l’étrangeté et la complexité de la partition. Cette pièce, exigeante, requiert une concentration soutenue de la part des chanteurs, une attention que chacun a maintenue jusqu’à la dernière note, rendant ainsi pleinement justice à la vision du compositeur. Dans l’ensemble, ce concert s’est avéré être une exploration profondément cohérente de trois univers musicaux distincts, unis par une même exigence de précision et d’intensité émotionnelle.
Léo Warynski et Les Métaboles – Répertoires en dialogue
La belle entente des choristes et des souffleurs de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg a permis à Warynski de dégager avec une rare autorité les lignes de force du Begräbnisgesang de Brahms et de la Messe n° 2 d’Anton Bruckner dans une interprétation pleine de souffle, avant de libérer la formidable énergie de la Symphonie. « Plus je vieillis, plus j’aime la musique de Stravinski », confie le chef. Il en tout cas montré une compréhension intime, reçue avec enthousiasme par le public. En bis, Les Métaboles l’ont gratifié d’une absolue rareté : le Libera me d’Ignaz von Seyfried (1776-1841), compositeur viennois élève de Mozart. Pleine d’échos du Requiem de ce dernier, la pièce fut exécutée en 1827 lors des funérailles de Beethoven.
Une découverte et une manière de signifier que bien des surprises nous attendent encore dans le cadre de la résidence des Métaboles, que ce soit au Rencontres musicales de Vézelay 2025 ou durant la saison ...
Chants libres fête l'arrivée de l'été en inondant la France de l'art consommé des meilleures formations vocales du moment
Du 28 au 30 juin, sept régions de France (elles étaient cinq en 2023) accueillent sept ensembles, certains déjà auréolés du prestigieux prix créé par la Fondation Bettencourt Schueller : Aedes, Mélisme(s), Les Cris de Paris, Les Éléments, La Tempête, Musicatreize, Les Métaboles. Le concept entend aussi flouter les frontières entre le grand professionnalisme de ces ensembles réputés et la vibrante passion animant les ensembles amateurs du pays. À l'issue du concert donné dans le plein air en l'Hôtel-Dieu de Dole, nul doute : ambition originelle et concrétisation finale se rejoignent par la vertu d'un programme et d'une direction également passionnants.
Quoi de mieux que la prenante basse obstinée très Einstein on the beach, qui lance le Nightfall de Meredith Monk, longue pièce hypnotique de 1995, pour évaluer d'emblée le potentiel des Métaboles en tutti comme en individualités marquantes ? Léo Warynski convie ensuite l'ensemble jurassien Le Tourdion (et sa cheffe Florence Grandclément) pour un Waternight d'Eric Whitacre dont l'irréprochable osmose répond en moins de cinq minutes à la question de ce qui fait la différence entre un chœur et une chorale. L'envoûtement se prolonge par l'intense émotion infusée par Three songs de Philip Glass, seules incursions a capella du célèbre compositeur américain. L'interprétation que donne Warynski de ces pièces plus retorses que leur immédiate séduction ne peut le laisser supposer, va bien au-delà du seul enregistrement existant (Alan Brind, Crouch End Festival Chorus, CD Silva Classics) : on reste confondu devant le rendu arachnéen du tapis sonore tissé par les fameux battements de croches glassiens servant d'écrin aux mélodies apposées sur des textes bouleversants de Leonard Cohen, Raymond Levesque et Octavio Paz, le dernier (Pierre de soleil) chanté en déploration funèbre du deuxième Quand les hommes vivront d'amour.
Puisque la langue française s'est invitée dans les partitions, Les Métaboles, passé un Calme des nuits de Saint-Saëns sans histoire, délaissent le Nouveau Monde. Le très savant tour de passe-passe de leur arrangeur (Brice Legée) lie, via leurs Clairs de Lune respectifs, Fauré à Debussy. Trois Chansons de Charles d'Orléans plus loin, un autre formidable arrangeur (Christophe Looten) met le soliloquant Erlkönig de Schubert dans la bouche des seize chanteurs des Métaboles pour un voyage au bout de l'effroi, stupéfiant d'intensité. Mais on n'a encore rien entendu. Un troisième arrangeur (Thibaut Perrine) métamorphose carrément les Métaboles en formation vocale symphonique via un « retricotage » d'une virtuosité inouïe de la très rebattue Danse macabre de Saint-Saëns dans sa version pour baryton. Il s'agit là d'une création mondiale, que Léo Warynski donnera en bis après la conclusion du concert par deux « gourmandises musicales » : l'à-propos d'un Chante la vie chante de Michel Fugain avec Le Tourdion réapparu, et surtout une bouleversante Chanson de Prévert gainsbourienne, quasi-opératisée par sa basse solo et son ténor en état de grâce, et très finement jumelée avec son original « kosmien » par la grâce d'un ultime et superbe arrangement inédit (Brice Legée, encore lui). On aura compris que le succès de la soirée aura été aussi celui des arrangeurs.
Léo Warynski ayant remplacé le traditionnel programme papier par de très pédagogiques adresses à son public, proximité et convivialité accrues ne comptent pas pour rien dans cette autre façon de faire circuler la passion de la voix. Une démarche qui, en Bourgogne-Franche-Comté, trouve aussi sa source à Vézelay, à la Cité de la Voix (Centre national d'art vocal créé en 2015), où le fondateur des Métaboles (Lauréat du Prix Liliane Bettencourt 2018) est en résidence depuis 2023.
Les voix et les instruments, tous épatants
Trois pièces et autant de réécritures sont à l’affiche de ce troisième concert dédié à la musique de Pierre-Yves Macé, un compositeur à qui l’édition 2023 du Festival d’Automne consacre un portrait.
Comme son collègue danois Simon Steen-Anderson, Pierre-Yves Macé aime travailler sur du matériau préexistant, qu’il provienne de sources extérieures (banque de sons, œuvres de répertoire, chants populaires, etc.) ou de sa propre écriture. Ainsi toutes les pièces interprétées ce soir, prélevées de son propre catalogue, ont fait l’objet d’une réécriture en 2023 : pour en modifier le contexte, l’instrumentation ou le format, selon les exigences du concert.
Il y a d’abord ces Virgules radiophoniques réorganisées en deux cahiers et jouées en alternance avec les autres œuvres au programme. Elles ont été composées en studio, pour l’émission (hélas disparue aujourd’hui) de Gérard Pesson, "Boudoirs et autres", qui passait tous les vendredis, tard dans la soirée. Pour l’ensemble Multilatérale qui a investi le plateau du théâtre des Abbesses, Pierre-Yves Macé en a réalisé une instrumentation. Chaque pièce porte un titre, qui s’affiche sur l’écran de fond de scène, et distribue les rôles (solo, duo, quatuors, etc.) parmi les huit instrumentistes (quintette à cordes, flûte, harpe et clavier). L’échantillonneur placé sur le célesta reste l’instrument macéen par excellence, emblématique de cette hétérogénéité et discontinuité avec lesquelles il aime travailler. En phase avec les sons/voix exogènes qui sortent du sampler, l’écriture instrumentale n’est pas moins bigarrée, entre instances bruitées, motifs en boucle, oscillations molles et surgissements intempestifs : « un ensemble de traits sur le point de prendre forme », selon les mots avisés de l’écrivain Pierre Senges. C’est sur le livret original de ce dernier que Macé écrit en 2017 sa cantate de chambre Maintenant de toutes nos forces, essayons de ne rien comprendre, une phrase du philosophe géorgien Merab Mamardachvili prélevée du texte de Senges. Commande de l’orchestre de chambre de Paris, l’œuvre est adaptée en 2023 pour voix et petit ensemble, une autre façon de recycler de l’existant.
À l’instar des Cantates de Bach, le clavecin est le partenaire privilégié des voix. De part et d’autres du chef, Léo Warynski, deux personnages masculins se questionnent l’un l’autre, habités d’idées philosophiques opposées : l’idéaliste est incarné par le haute-contre Guilhem Terrail et le matérialiste par le ténor Steve Zheng. Les surtitres aident à la compréhension de cette « disputacio » polyglotte. Les instruments suivent les voix comme leur ombre, s’autorisant ici et là quelques madrigalismes. L’humour infiltre le propos et la virtuosité est à l’œuvre, tant vocale qu’instrumentale, dûment assumée par les deux chanteurs et les musiciens de Multilatérale.
L’insolite et l’inattendu, l’impromptu, le poétique et le dérisoire, le presque rien, l’instant présent et la nostalgie: la proposition sonore est ouverte dans le Cahier 2 des Virgules radiophoniques, la miniature étant le lieu d’une certaine désinhibition, note Pierre-Yves Macé.
Plus ambitieux, maniant là encore humour et distance, l’opéra Kind des Faust (Enfant de Faust) était à l’origine une œuvre sur support, passant par les haut-parleurs au sein du spectacle de Sylvain Creuzevault intitulé Angelus Novus de 2016. Kind des Faust est entendu ce soir en concert, avec ses trois personnages/chanteurs, les huit musiciens de Multilatérale et l’électronique sous la direction de Léo Warynski.
Le mythe est ici relu, en allemand, à travers la figure de l’enfant de Faust et Marguerite qui revient du royaume des morts pour se venger. C’est la soprano Anne-Claire Baconnais qui endosse le rôle, impressionnante dans le monologue presque straussien du début où la voix est déployée dans tout son registre et ses modes d’énonciation (parlé, râlé et chanté) pour invoquer le malin. Diablement efficace est l’idée de faire chanter en doublure le contre-ténor (Guilhem Terrail) et la basse (Laurent Bourdeaux) éminemment solidaires pour incarner Méphisto. Les instruments sont au service des voix et de la dramaturgie, assurant aussi les changements de décors, comme dans cette scène, Willkommen im Kabarett!, où fusent les pizzicati des cordes sur un motif alerte fonctionnant en boucle. Les parents (Père et Mère) n’interviennent qu’en voix off via l’échantillonneur, victimes parfois des défaillances de la technique!
L’humour le dispute à l’excentricité dans cet opéra de poche un rien étrange, bien conduit par Léo Warynski qui laisse apprécier le rapport fusionnel entre l’électronique, les voix et les instruments, tous épatants.
Le public applaudit chaleureusement les musiciens et plus particulièrement Pierre-Yves Macé
Nouvelle manifestation consacrée à Pierre-Yves Macé dans le cadre du Festival d’automne à Paris, « Palimpseste » présente trois œuvres : Virgules radiophoniques (cahiers I et II) ; Maintenant, de toutes nos forces, essayons de ne rien comprendre et Kind des Faust. Trois « réécritures de pièces anciennes, à la façon de palimpsestes », selon les mots du compositeur. Un concert éclair qui enchaîne les quatre morceaux.
Les cahiers I et II des Virgules radiophoniques (2013-2023) sont donnés séparément ce soir, le second étant joué entre les deux pièces vocales. L’auditoire ne peut absolument pas se tromper : ici et maintenant prime l’instant, ce que dit déjà le titre, mais que précise encore le musicien dans le beau programme du concert, justifiant ainsi la projection sur le mur de scène d’un décompte analogique. Pédagogie, pédagogie ! Laquelle est renforcée par l’article « Palimpsestes » de Laurent Feneyrou, à la fois historique et définitionnel. C’est en 2013 que Macé composa ces quelque trente instantanés musicaux pour « Boudoirs et autres » de Gérard Pesson sur France Musique. Le travail de réécriture dix ans après nous intéresse dans la mesure où il s’est agi de relier entre-elles toutes ces perles diffusées séparément à l’origine, et, partant, de faire une sélection. Disons tout de suite que ces morceaux, conçus comme des bulles crevant à la surface de la durée de l’émission radiophonique, continuent ce soir d’apporter de la fraîcheur dans une programmation par ailleurs assez plombée par les deux œuvres chantées. Particulièrement éloquents, les titres – « Indestructible », « Da capo », « Stance », « Décantation limousine », « Ville et Campagne », « Weißliche Staub », « Havre gourd », « Ouvre ta bouche », « Mon gosier de métal parle toutes les langues » ou encore « The most interesting sound you’ve never heard » – reflètent la variété de ces miniatures de caractère, à la fois étonnantes, cohérentes, joueuses et drolatiques. Chacune exploite une idée, se servant de matériaux divers et mêlant les instruments à l’électronique. À noter, l’excellence de l’acoustique de la salle du théâtre des Abbesses, qui met merveilleusement en valeur les huit musiciens présents de l’Ensemble Multilatérale, souvent solistes ou couplés soit à un autre instrumentiste, soit à l’électronique – Maxime Désert à l’alto, Lise Baudouin au célesta, au clavecin et à l’électronique, Simon Drappier à la contrebasse, Aurélie Saraf à la harpe, Antoine Maisonhaute au violon… Des documents sonores sont incorporés, faisant entendre les voix de John Cage, Morton Feldman et Chantal Akerman. Donc, un beau travail sur le timbre, la brièveté et les climats psychologiques.
Léo Warynski et deux chanteurs des Métaboles entrent en scène dans l’obscurité. Maintenant, de toutes nos forces essayons de ne rien comprendre (2017-2023) est une cantate de chambre opposant deux personnages caricaturaux dans un dialogue qui s’avère être un double monologue : l’éternel poseur de questions idéaliste et poétereau (le contre-ténor Guilhem Terrail) et un matérialiste béat et assez infatué (le ténor Steve Zheng). Le livret de Pierre Senges, qui multiplie les citations, en français, anglais, allemand…, ne convainc pas, tout comme les vocalises « debussystes » de ce que Macé a pensé comme « un geste quasi-opératique ». La musique dramatise tout cela, mais nous laisse à la lisière de cet « Allemonde philosophique ».
Léo Warynski dirige également Kind des Faust (2016-2023), opéra de chambre d’après un livret de Sylvain Creuzevault traduit en allemand par Élisabeth Faure. On peut s’étonner du choix de ce sujet d’un autre siècle, qui s’inspire de Goethe et donne suite à l’infanticide que commet Marguerite, la compagne de Faust. Trois éléments sauvent à nos yeux cette œuvre finalement très convenue : premièrement, la langue allemande, dont la musicalité, deuxièmement, est magnifiquement rendue et par la musique et par la très expressive soprane Anne-Claire Baconnais, qui joue à fond son rôle d’enfant revenu du royaume des morts et souhaitant se venger ; troisièmement, le dédoublement de Méphisto par les interprètes Guilhem Terrail (contre-ténor) et Laurent Bourdeaux (basse), chantant toujours en homorythmie, une riche idée musicale et symbolique (la langue bifide du Diable). Sans surprise, l’expressionnisme de la pièce débouche un moment sur un « Willkommen im Kabarett ! » À la fin, Méphisto se demande si Dieu dort ou est mort. Mais n’est-ce pas le faire vivre que de continuer d’en parler ?
Le public applaudit chaleureusement les musiciens et plus particulièrement Pierre-Yves Macé.
Tant d'anges sont venus ce jour
Concert des Métaboles au musée d'Orsay - Tant d'anges sont venus ce jour - Compte-rendu
Pour ouvrir sa saison 2023-24, l’Auditorium du musée d’Orsay propose un concert de midi en rapport avec l’une de ses expositions, selon sa coutume. Pour célébrer Louis Janmot (1814-1892), le très mystique peintre lyonnais auquel est consacré en ce moment une rétrospective, il était logique de proposer un programme religieux, et comme ses toiles grouillent littéralement d’anges, l’ensemble Les Métaboles est venu interpréter le contenu de son disque The Angels enregistré en 2019 et sorti en 2021. Mais comme le CD dure à peine trois quarts d’heure, quelques pièces ont été ajoutées pour atteindre la durée habituelle des concerts du musée d’Orsay.
Par rapport au disque, trois compositeurs font donc leur entrée : Britten, son compatriote John Tavener (1944-2013) et l’Estonien Arvo Pärt, seul encore en vie. Pour autant, la langue de Shakespeare reste dominante, Pärt ayant mis en musique la traduction en anglais moderne d’une vieille prière gaélique. Ce renfort d’œuvres des XXe et XXIe siècles a pour effet d’isoler un peu plus les œuvres de Byrd, Purcell et surtout Palestrina, le Stabat Mater de ce dernier appartenant décidément à un tout autre univers esthétique, alors que les deux britanniques du XVIIe siècle sont plus faciles à rapprocher de Jonathan Harvey (1939-2012) qui domine le programme. L’exposition rapprochant notamment William Blake de Janmot, les deux ayant été peintres et poètes, la présence du poème « The Lamb » de Blake mis en musique par Tavener se justifie ainsi. A Hymn to the Virgin d’un Britten de seize ans ne permet guère de déceler la forte personnalité musicale qui allait s’affirmer quelques années plus tard.
Autrement dit, même si c’est The Deer’s Cry d’Arvo Pärt que Les Métaboles reprendront en bis à l’issue du concert, Jonathan Harvey reste le roi incontesté de ce programme. Ses œuvres prouvent à qui en douterait qu’il est encore possible à notre époque de composer une musique d’inspiration religieuse qui n’a absolument rien de passéiste. « Come Holy Ghost » commence par reprendre la mélodie grégorienne du Veni creator, mais c’est pour mieux la déformer, la diffracter entre les seize voix qui forment l’ensemble. Harvey s’emparait aussi bien de textes liturgiques que de poèmes modernes, avec des résultats toujours étonnants et beaux. Léo Warynski guide ses troupes d’une main sûre à travers les méandres de ces partitions, et peut compter sur les membres du chœur pour se changer à volonté en solistes lorsque la musique l’exige, avec au premier chef le timbre bien reconnaissable de la soprano Anne-Claire Baconnais pour ne citer qu’elle.
Le musée d’Orsay donne ainsi un superbe départ à une saison musicale placée sous le signe de la spiritualité, en relation avec Le Poème de l’âme de Louis Janmot.
Les Métaboles retiennent les anges au-dessus du musée d’Orsay
Les Métaboles retiennent les anges au-dessus du musée d’Orsay
Pour le premier concert de sa saison, l’auditorium du musée d’Orsay convie les Métaboles dans un récital de chant sacré, « The Angels », entrant en résonance avec l’exposition concomitante consacrée à Louis Janmot (1814-1892) et intitulée : « Le Poème de l’âme ».
On savait Les Métaboles à l’aise quand, toutes voix dehors (près de 50 au total), ils emplissent le volume d’une nef (en l’occurrence celle de la basilique de Vézelay). Les voici dans un espace beaucoup plus réduit – celui de l’auditorium du musée d’Orsay –, à l’acoustique feutrée et assez sèche, qui convient parfaitement à leur effectif : seize chanteurs. Voire beaucoup moins, quand, au tout début, ils sont quatre à entonner l’Ave verum corpus (1605) de William Byrd, placés derrière le public, au fond de la salle. L’effet est saisissant, d’autant plus que l’on s’attendait à entendre leurs camarades montés sur la scène. La liturgie catholique nous enveloppe dans ce motet intime, très lent et très recueilli. Donc, aujourd’hui, place à la clarté, à l’intensité et à la convivialité !
Le programme reprend celui du disque The Angels (NoMadMusic, 2021, Clef d’or ResMusica) augmenté de trois chants signés Benjamin Britten (A Hymn to the Virgin, 1930), John Taverner (The Lamb, 1982) et Arvo Pärt (The Deer’s Cry, 2008). Des compositeurs de la Renaissance (Byrd, Purcell, Palestrina) et d’autres des XXe et XXIe siècles (Harvey, Britten, Pärt, Taverner), tous pieux et dépositaires d’une culture musicale qu’ils transforment. Douze chants en tout, dont la réunion joue sur le double tableau de la clarté polyphonique et d’une certaine expressivité contemporaine (par exemple The Deer’s Cry d’Arvo Pärt, obsédant et sobre – deux marques de fabrique de ce créateur – et qui sera redonné en bis). Avec toujours cette préoccupation de mettre l’homme, c’est-à-dire le croyant, au centre, donc l’homme seul s’adressant à son dieu, d’où l’importance donnée au texte et l’exclusivité à la voix nue. C’est tout l’intérêt esthétique d’un chœur réduit à son minimum, qui assure l’intelligibilité du chant en ses différentes strates. Ce qui s’entend plus particulièrement dans Come, Holy Ghost (1984) et Plainsongs for Peace and Light (2012) de Jonathan Harvey (1939-2012), qui tous deux reprennent la simplicité d’expression du plain-chant, qu’on pourrait qualifier de romane. Harvey est d’ailleurs le compositeur le plus présent ce midi, avec six pièces, sûrement le plus étonnant aussi, caractérisé par un raffinement inouï, que produisent : le caractère mystique de son inspiration avec sa dimension personnelle, une instabilité entretenue entre inquiétude et paix (qui contraste fort avec, en particulier, la solidité architecturale du Stabat Mater [1580] de Giovanni Pierluigi da Palestrina), des harmonies tournoyantes, des variations entre mélisme et chant syllabique, l’étagement extrême des registres s’appuyant sur des accords en bourdon, ou encore le savant tuilage des voix ainsi que les surprenants glissandi descendants à la fin de Come, Holy Ghost. Tous ces effets sont merveilleusement rendus par un ensemble attentif aux inflexions souples du chef.
Très finement pensé, l’enchaînement des morceaux obéit à plusieurs préoccupations. Premièrement, ménager l’attention des auditeurs par l’alternance de chants de caractères ou de niveaux de complexité différents. Ainsi l’Ave Verum corpus de William Byrd et Remember not, Lord, our offenses (1681) d’Henry Purcell encadrent-ils A Hymn to the Virgin de Benjamin Britten et trois chants d’Harvey : I love the Lord (1976), Come Holy Ghost et Plainsongs for Peace and Light. Deuxièmement, préserver une certaine variété, dans un contexte stable, par la distribution régulière des solos. On retiendra, dans l’Ave Verum corpus de Byrd et The Annunciation (2011) d’Harvey, la puissante soprano Anne-Claire Baconnais, l’alto Aurélie Bouglé ainsi que la basse Jeroen Bredewold, et, dans Come, Holy Ghost, les sublimes soprano Amandine Trenc et ténor Benjamin Aguirre Zubiri, dont les chants s’envolent littéralement hors du cadre. Troisièmement, faire une sorte de clin d’œil intellectuel ou culturel en faisant se suivre Remember not, Lord, our offenses de Purcell et Remember, O Lord (2003) d’Harvey, façon de souligner une inspiration et une filiation.
Le public aura pu communier avec des chanteurs nuancés à l’extrême et dirigés par leur chef, Léo Warynski, visiblement reconnaissant envers ses musiciens et très heureux d’être parmi nous.
Léo Warynski, maître d’œuvre de ce vendredi de lumière avec Gérard Pesson
Entre pages chorales et musique instrumentale, transcriptions et pièces originales, dont une création mondiale, le concert-portrait que le Festival d’Automne consacre à Gérard Pesson fait circuler dans l’espace ouvert de Saint-Eustache des effluves sacrées.
C’est le piano qui résonne en premier lieu, sous les doigts (et seulement la main droite !) de Lise Baudouin dans un extrait de Musica Ficta de 2018 : d’une beauté hypnotique, Un tribut à Johann Jakob Froberger est écrit dans l’esprit des préludes non mesurés du maitre allemand dont la musique s’invente à mesure ; elle est quasi monodique, ligne errante secouée par quelques figures ornementales, n’étaient ces tenues d’un violoncelle et d’une clarinette invisibles qui viennent prolonger la résonance de certaines notes et esquisser une polyphonie.
La transcription est pour Gérard Pesson cet exercice d’admiration auquel il aime s’adonner. Au programme de ce soir, trois pages chorales et autant de compositeurs qu’il a voulu honorer à travers un travail de réécriture. L’ensemble vocal Les Métaboles et son chef Léo Warynski ont investi le plateau pour interpréter trois mélodies de Ravel agrandies au dimension du chœur. Avec ses quintes parallèles et la transparence de l’écriture, Ronsard à son âme est d’une délicatesse exquise dans l’interprétation des Métaboles. Plus effusives et colorées, L’Indifférent et La Flûte enchantée extraites de Shéhérazade, ne sont pas moins séduisantes, même si l’importante réverbération du lieu nuit à la compréhension des paroles.
Dans Preuve par la neige (2008), Pesson se penche sur la musique instrumentale de Scriabine, le piano en l’occurrence, avec le Prélude n°13, op.11, l’Étude n°4 op.42, Feuillet d’album n°1 op.45 et Ton image op.57, qu’il transpose pour le chœur en ajoutant des paroles. C’est Elena Andreyev qui réalise le montage du texte, empruntant à Constantin Balmont (des traductions en russe de poèmes anciens) et à Ossip Mandelstam dont le texte referme le cycle : poésie de l’envol rejoignant l’élan ascensionnel de l’écriture scriabinienne dont le chœur et le pupitre féminin très en vedette expriment toute la ferveur.
De la plume du compositeur cette fois, Chants populaires de 2008 pour chœur a cappella puisent leur argument littéraire dans le livre éponyme de Philippe Beck qui se présente « comme des déductions de contes des frères Grimm », nous dit le compositeur. On retrouve l’écriture cursive de Pesson serrant de près l’articulation du texte. Il installe de longues tenues et procède par blocs vocaux qui se répondent dans La force de l’homme est le point où les sifflets étirent le registre vers l’aigu. Les pieds frappent le sol dans Une peau est seule : « Son nom est tambour / Tambour décrit une armée qui arrive ». Boucles, homorythmie, scansion et jeu avec les phonèmes animent ce deuxième chant restitué avec autant de précision que de vitalité par Les Métaboles.
C’est pour rompre avec « l’onctuosité immédiate des voix » (dixit Pesson) qu’alternent quelques pièces instrumentales du maître. L’archet est exploratoire (celui de Pablo Tognan) dans Trois pièces brèves (2005) pour violoncelle dont seules les deux premières sont entendues : musique de gestes soigneusement chorégraphiée qui diversifie les figures et la qualité du son, gras ou filtré, sec ou résonnant. Catch Sonata (2016), a été écrit pour le Trio Catch. Pesson y joue sur l’ambiguïté des sources instrumentales, les sons (souffle, chocs, glissades, etc.) circulant avec fluidité entre piano préparé (Lise Baudouin), violoncelle (Pablo Tognan) et clarinette (Bogdan Sydorenko). Ils sont ce soir submergés par la vague de résonance, ne laissant percevoir, des Moments 2 et 3 du trio, que le reflet du reflet…
blanche page langue bue, dont le titre est déjà musique, est une commande du Festival d’Automne passée à Gérard Pesson. L’œuvre pour soprano, clarinette et chœur a été écrite pour les voix des Métaboles et la haute voûte de Sainte Eustache : aussi les silences articulent-t-ils la musique qui s’y déploie. Thrène pour un ami disparu, cette page chorale d’une rare beauté met en musique la poésie du jeune Haïtien Jean D’Amérique, le compositeur puisant dans les cinq poèmes de son recueil Atelier de silence : blanche page, haute en colère, invisible étreinte, cendres, passage à l’acte dernier. Au chœur traité le plus souvent par registres, Pesson associe les aigus vertigineux (jusqu’à un contre-mi!) Anne-Claire Baconnais et la clarinette de Bogdan Sydorenko qui rejoint le soprano et le prolonge dans son registre lumineux. L’instrument est conducteur, qui infiltre l’écriture du chœur et en magnifie l’onctuosité ; stable, sur une note entretenue en bisbigliando, l’instrument laisse parfois la voix soliste s’inscrire sur la toile légère du chœur pour donner au texte de Jean D’Amérique (présent dans les rangs du public) sa pleine lisibilité.
Anne-Claire Baconnais nous surprend, montée en chaire et dominant le public pour chanter sa partie soliste dans Kein deutscher Himmel, troisième transcription de cette soirée dans laquelle les voix des Métaboles, plus soyeuses encore que les cordes, chantent des fragments vénitiens d’August von Platen (collage de Martin Kaltenecker) sur l’Adagietto de la Cinquième Symphonie de Mahler : moment d’extatique bonheur auquel nous convie Léo Warynski, maître d’œuvre de ce vendredi de lumière avec Gérard Pesson.
Un programme savamment agencé tel que Léo Warynski les affectionne.
En concert comme au disque, Léo Warynski et ses Métaboles nous gâtent ! On a retrouvé le chef et ses choristes aux Rencontres musicales de Vézelay, le 25 août dernier, pour ce qui constituait leur première apparition dans le cadre de la manifestation en tant qu’ensemble associé à la Cité de la Voix (jusqu’en 2025) ; un rendez-vous d’autant plus impatiemment guetté que les Métaboles se présentaient en grand effectif dans un programme comprenant l’une des réalisations chorales les plus extraordinaires de la fin du dernier siècle : le Concerto pour chœur d’Alfred Schnittke. La partition n’aura eu que plus d’impact placée comme elle l’était au terme d’un programme (intitulé « Symphonie chorale ») savamment agencé tel que Léo Warynski les affectionne.
Kaléidoscope d’images
Le motet Spem in alium à 40 voix de Thomas Tallis ouvre la soirée : prise de possession de l’immense espace de la basilique par le chœur (disposé en cercle sur la scène pour ce morceau), d’autant plus saisissante pour l’auditeur que Warynski manifeste d’emblée toute sa maîtrise d’un matériau sonore que l’oreille a la sensation de palper. Dans sa pleine expansion, comme dans son expression la plus infinitésimale : on le mesure avec le Tutto in una volta de Francesco Filidei (1973), pièce de 2020 sur un poème de Nanni Balestrini (où l’écrivain joue sur la fragmentation, le mot, la syllabe : une manière de retour, dans l’Italie des années 60, à ce que Marinetti et ses compères futuristes (1) ont offert avant la première guerre mondiale, en revendiquant une démarche non moins anti-bourgeoise) au cours de laquelle, selon Filidei, la musique accompagne le texte « en enchaînant des séries d’accords qui font muter légèrement la couleur à chaque instant dans un kaléidoscope d’images. » Processus que Warynski et ses choristes traduisent et poétisent avec un confondant art de la nuance infime ... du presque-rien ...
Mahler métamorphosé par Gérard Pesson
Changement de climat avec la transcription par Gérard Pesson du fameux Adagietto de la 5èmeSymphonie de Mahler. Il s’agit ici pour le chef des Métaboles de pétrir à pleines mains le matériau d’une transcription dans laquelle Pesson prend appui sur des extraits (choisis par Martin Kaltenecker) des Sonnets vénitiens et du Journal de 1824 d’August von Platen. Véritable prouesse que le passage de l’orchestre à l’univers choral, accompli avec un extraordinaire sens des timbres : la pièce prend place très haut dans la liste des transcriptions de l’orchestre vers le chœur. Irisations des pupitres féminins, abyssale profondeur des basses, souplesse et densité sans lourdeur de la masse chorale ... L’illusion est d’autant plus parfaite que Warynski a, on le sait, un goût prononcé pour de tels arrangements et peut compter sur les interventions de solistes admirables : Anne-Laure Hulin (sop.), Laura Muller (alto), Marco van Baaren (ténor).
Sa réussite tient aussi à sa profonde attention au sens des mots ; ceux de Von Platen en l’occurrence, poète homosexuel allemand réfugié à Venise au début du siècle romantique ; plus loin ceux du moine, mystique et compositeur arménien du Xe siècle Grégoire de Narek – des extraits de son Livre des lamentations.
Glaise humaine et quête d’absolu
De cet ouvrage (traduit en russe par les soins de Naum Grebnev), Alfred Schnittke, converti au christianisme en 1982, tira quatre fragments et se plongea entre 1984 et 1985 dans la rédaction du Concerto pour chœur. 49 chanteurs, une partition pour formation mixte à seize parties : un architecte des sons particulièrement aguerri est impérativement requis pour se confronter à pareil monument. On le tient – et de quel ordre ! – avec Léo Warynski. Des moments spectaculaires, le Concerto n’en manque pas et le chef, suivi par des chanteurs d’une justesse d’intonation irréprochable d’un bout à l’autre, sait les mettre en relief. Reste que la force d’émotion de son approche tient d’abord, on y revient, à sa capacité à toujours ancrer sa lecture dans les mots.
La richesse poétique et spirituelle des écrits de Grégoire de Narek, le guide continûment. « J’ai écrit pour justes et les pêcheurs [...], pour les opprimés et les grands princes » ... Rien de désincarné, mais tout au contraire un mélange de glaise humaine et de quête d’absolu auquel Schnittke s’identifie totalement au fil d’une composition inscrite dans la grande tradition de la musique orthodoxe russe – dans le droit fil de la Liturgie de Tchaïkovski et des Vêpres de Rachmaninov. Une expérience proprement bouleversante, à laquelle trois solistes admirables ont apporté une contribution particulière : Maya Villanueva (sop.), Marco Van Baaren (ténor) et Guillaume Olry (basse).
Exactement contemporain du Concerto pour chœur, le deuxième des trois Hymnes sacrés de Schnittke proposé en bis achève de combler l’auditoire, totalement conquis. Une soirée inscrite dans les annales des Rencontres musicales de Vézelay. Formons le vœu que les Métaboles nous offrent un jour, proche on l’espère, un enregistrement du Concerto pour chœur ...
La précision de l’intonation, qualité emblématique des Métaboles
Les rencontres musicales de Vézelay, nouveaux chemins de choeurs
Creuset des Rencontres musicales de Vézelay, la Basilique Sainte-Marie-Madeleine est un écrin idéal pour les grandes formes vocales, dans des mises en espace évocatrices. Le premier concert de la résidence triennale des Métaboles au festival – où il était déjà un invité régulier – s’inscrit dans cette tradition de scénographies chorales, avec une mise en écho des répertoires et esthétiques comme aime à les imaginer Léo Warynski. Le programme s’ouvre sur un des chefs-d’oeuvre du contrepoint de la Renaissance anglaise, le motet Spem in alium de Tallis, écrit pour quarante voix. Réunis en assemblée close sur elle-même, les solistes font émerger le flux polyphonique, ondulant au gré des entrées. L’immersion de l’intelligibilité des mots dans la texture sonore n’en oublie pas pour autant la précision de l’intonation, qualité emblématique des Métaboles depuis leurs débuts, et donne à cette page hors-norme de l’époque élisabéthaine une plasticité picturale. Bien que le sens des bribes poétiques de Nanni Balestrini sur lesquelles Francesco Filidei a composé Tutto in una volta pour double choeur n’ait guère d’importance, ce tissu d’esquisses verbales constitue une trame aux confins du souffle, avec des effets percussifs feutrés, à partir duquel se développe un autre tableau mouvant de voix. Depuis les premiers accents murmurés, le tissu hybridant chant et matière vocale brute s’étoffe par strates successives jusqu’à la densité d’un climax avant de se découdre progressivement vers le silence.
Cette expérience où le geste formel et musical transforme l’abstraction du texte en un théâtre miniature est prolongée par la réécriture chorale de l’iconique Adagietto de la Symphonie n°5 de Mahler que Gérard Pesson a réalisée sur un collage de Martin Kartenecker à partir de textes de August van Platen – poète romantique redécouvert par Thomas Mann au moment où il écrivait Mort à Venise et dont les penchants esthétiques ont inspiré l’adaptation de Visconti qui a contribué à décupler la renommée de la partition de Mahler. Plus qu’une simple transcription, c’est une réinvention de la traversée poétique du mouvement symphonique, dans des pastels parfois irradiants qui rappellent également la stase du film, et s’étendent jusqu’aux limites instrumentales de la voix. Si la première intervention soliste de l’alto Laura Muller tire parti de la douceur du médium, celle, longue, d’Anne-Laure Hulin met à l’épreuve sa tessiture de soprano, sans pour autant altérer la puissance évocatrice de la pièce – qui, discutée par certains, s’inscrit néanmoins dans la poétique de la trace développée par Pesson au fil de son œuvre. Quant au Concerto pour choeur de Schnittke qui referme la soirée, cette fresque en quatre parties où les première et troisième affirment un saisissant foisonnement qui contraste avec une deuxième plus intime et une conclusion condensée, trouve dans la nef de Vézelay une magnifique caisse de résonance propice redonner à cet opus majeur du répertoire choral la place qu’il mérite dans un concert où se répondent deux piliers de la polyphonie.
Le superbe voyage dans le temps des Métaboles à Vézelay
Quelques heures après le concert exceptionnel donné par l'Ensemble Correspondances à Vault-de-Lugny, le public des Rencontres musicales de Vézelay est de retour en ce vendredi soir dans la majestueuse Basilique pour le très attendu programme donné par le chœur Les Métaboles (placé sous la direction de Léo Warynski), intitulé « Symphonie chorale » – ce qui aura certainement attisé la curiosité de plus d’un mélomane.
En fait, c’est à un voyage dans le temps que les auditeurs sont conviés, puisque c’est par l’illustre motet à 40 (!) voix Spem in alium (1570) de Thomas Tallis que s’ouvre la soirée. Les chanteurs sont ici réunis en cercle autour du chef, et on reste admiratif autant de la façon dont fuse à tout moment la musique que par la qualité de l’exécution. Le reste du programme ne fera que le confirmer : on est ici en présence d’un ensemble de première force réunissant – selon les œuvres – jusqu’à 49 chanteurs tous jeunes, parfaitement sûrs sur le plan technique autant qu’enchanteurs sur celui de la beauté et de la fraîcheur vocales. Quant à Léo Warynski, il sculpte la musique (comme il le fera tout au long de la soirée) avec un remarquable sens de la construction.
Ce tour de force de la Renaissance est suivi par une œuvre récente (2020) de Francesco Filidei (né en 1973). Composée sur un texte assez décousu, en vers très brefs du poète Nanni Balestrini, la pièce voit le compositeur italien recourir à une vaste gamme de techniques vocales, maîtrisées sans problèmes par cette excellente formation. C’est ainsi que l'ouvrage commence par une alternance d’inspirations et d’exhalaisons avant de passer à des notes tenues. Filidei a recours à une dynamique très étendue, passant du murmure à des crescendos débouchant sur une véritable houle sonore. Ici, l’intelligibilité du texte est secondaire par rapport à la liberté rythmique et à l’indépendance des voix. Cette intéressante partition se conclura comme elle avait commencé, sur un souffle. Le chef, invariablement souriant et élégant dans sa gestuelle, peut compter sur un ensemble de premier ordre, les sopranos éthérées et les mezzo-sopranos fruitées se faisant particulièrement apprécier.
Le célébrissime Adagio de la Cinquième Symphonie de Mahler n’est pas donné ici dans la transcription pour chœur bien connue de Clytus Gottwald, mais dans une version du compositeur Gérard Pesson à treize voix qui prend pour texte des poèmes et des extraits du journal du poète allemand August von Platen, rédigés à Venise – où se passe justement le film de Visconti qui a beaucoup fait pour la popularité de ce morceau. Des trois solistes, la soprano Anne-Laure Hulin est particulièrement sollicitée et s’en tire avec les honneurs, comme ses collègues Laura Muller (alto) et Marco van Baaren (ténor).
Le sommet de la soirée est atteint par le rare Concerto pour chœur (1985) d’Alfred Schnittke, écrit sur une traduction russe d’un chef-d’œuvre de la poésie arménienne médiévale, le Livre des chansons tristes du moine Grégoire de Narek. Écrite en quatre parties, cette œuvre de grandes dimensions (trois-quarts d’heure) et d’une réelle hauteur de vues n’est pas de celles qui révèlent tous leurs mystères à la première écoute. L’écriture, très dense, est parfois percée de prenants solos où s’illustrent à nouveau Marco van Baaren ainsi que la soprano Maya Villanueva et la basse Guillaume Olry.
Schnittke réussit ici l’exploit de la fidélité à la musique liturgique orthodoxe et à son style homophonique et sonore couronné de vocalises extatiques. Ce n’est cependant pas une copie servile qu’il nous propose ici dans cette partition hors du commun, mais une fascinante exploration d’une tradition, dans une œuvre qui réussit à faire aller de pair l’humilité du croyant face à la grandeur de la Création, la foi inébranlable et émerveillée comme la joie et la gratitude qui transportent le fidèle. L’ensemble s’achève sur une très belle impression de lumineuse sérénité. Le chef et son remarquable ensemble se sont impliqués totalement pour nous donner une interprétation aussi virtuose que prenante de cette partition hors du commun.
Du grand art, servi par des Métaboles en pleine forme.
« Symphonie chorale » à Vézelay : Les Métaboles voient grand !
Après la Passion selon Saint-Matthieu, rendez-vous de nouveau à la basilique Sainte-Madeleine, dans le cadre des Rencontres musicales de Vézelay, pour une folie chorale embrassant quatre siècles de composition, avec des pièces de Thomas Tallis, Gustav Mahler transcris par Gérard Pesson, Alfred Schnittke et Francesco Filidei. Du grand art, servi par des Métaboles en pleine forme.
Très finement pensé, le programme est bâti sur des liens solides et parfois secrets. C’est ce que révèlent Léo Warynski et Guy Gosselin, réunis autour d’Emmanuelle Giulani à la traditionnelle « mise en oreille » qui précède le concert. Pont entre les époques, ce dernier dégage des connexions entre œuvres et musiciens, joués ou non ce soir : la pluralité des chœurs dans le Spem in alium (date inconnue) de Thomas Tallis (c. 1505-1585) et Tutto un una volta (2020) de Francesco Filidei (né en 1973) ; l’inspiration que ce dernier puise dans le Lux æterna de György Ligeti ; le « polystylisme » de Gustav Mahler (1860-1911) et d’Alfred Schnittke (1934-1998), compositeurs empruntant à des sources diverses ; enfin, les multiples affinités tissées par Gérard Pesson (né en 1958) transcrivant dans Kein Deutscher Himmel (1996-1997) l’Adagietto de la Symphonie n°5 (1901-1902) de Mahler. Précisément, pour Pesson, qui, dans un entretien portant sur le travail de transcription, cite le nom de Salvatore Sciarrino, par parenthèse l’un des anciens professeurs de composition de Francesco Filidei, « un compositeur n’est jamais né sous X. ». Il ne faudrait pas oublier les racines slaves d’un chef de chœur qui au menu a inscrit comme plat de résistance le Concerto pour chœur (1984-1985) de Schnittke. Voulue comme telle par Léo Warynski, cette soirée joue ainsi sur le double tableau de l’invention et de la mémoire afin que les auditeurs vivent quelques chocs sans avoir perdu tout repère.
Les Métaboles forment un cercle complet sur la scène avant d’entonner le Spem in alium à 40 voix de Tallis. Il faut imaginer les chanteurs placés devant dos au public. Hommes et femmes alternent par petits groupes de 2 ou 3. Donc une spatialisation particulière pour un morceau qui ne l’est pas moins, écrit pour 8 chœurs et 5 voix sur des paroles latines dont l’origine est le Livre de Judith. Cette composition contrapuntique exprime une supplication adressée à Dieu, émise tout d’abord très humblement par deux sopranos et enflant progressivement en contaminant tous les registres. Une longue phrase qui s’étire, s’enrichit, se découpe et redouble en cellules rythmiques, se meurt avant d’être reprise en crescendo pour éclater en tutti sur des mots d’importance tels que Deus meus. L’auditoire se trouve enveloppé dans un long continuum en perpétuel changement et rarement interrompu. La délicatesse et la ferveur d’une telle pièce sont parfaitement rendues par les chanteurs.
De père anarchiste et de mère catholique pratiquante, Francesco Filidei, lui-même organiste notable, a donc hérité de cette double tradition, ce qui se ressent dans sa production musicale, comme ici avec Tutto in una volta – « Tout à la fois » – inspiré d’un texte du poète avant-gardiste Nanni Balestrini (1935-2019), « Ma noi facciamone un’altra » (1966), que l’on peut traduire par : « Mais essayons encore une fois ». Calquant sa composition sur un poème déstructuré qui rejette lyrisme et narration (« Il n’y a plus / De temps pour / Mais tout / En à la / Fois ce que / Nous nous sommes / Déjà dit / Comme ça sur / Le papier / Tout à / La fois…), Filidei joue sur ce qui reste, des syllabes, en plaquant « des séries d’accords qui font muter légèrement la couleur à chaque instant dans un kaléidoscope d’images. » On commence par entendre des « ah » murmurés ici et là dans tout le chœur nous faisant face, au très bel effet de bulles crevant à la surface d’une mare, puis ce qui ressemble très fortement au début du Lux aeterna de Ligeti, également chœur mixte a cappella écrit en canon et dans une micropolyphonie évoluant imperceptiblement. La vague enfle lentement, la tension baisse puis s’amorce un long decrescendo jusqu’au retour des « ah » initiaux. Il est difficile d’oublier Ligeti et d’apprécier à la même hauteur ce Tutto in una volta pourtant réussi.
La même difficulté se présente à l’oreille, fidèle mais naturellement paresseuse, à l’écoute du Kein Deutscher Himmel de Gérard Pesson, transcription de l’Adagietto de la Symphonie n°5 de Mahler : peut-elle oublier le modèle ? Mais le poil se hérisse et des picotements parcourent le corps aux premières mesures, quand résonnent piano les voix souples des altos reprises en solo tout à droite de la scène par celle très timbrée de Laura Muller. C’est beau à pleurer. Tout en respectant la partition originale, le compositeur a cherché à reproduire l’univers acoustique très riche et subtil de la lagune de Venise, non seulement grâce à la complicité de Martin Kaltenecker, qui a ajouté des extraits des Sonnets vénitiens ainsi que du Journal du poète romantique allemand August von Platen (1796-1835), mais aussi et surtout par la fine variation des timbres et le recours aux aigus extrêmes d’une soprano (Anne-Laure Hulin, magistrale) afin de contourner l’inévitable réduction de l’ambitus du chœur par rapport à celui de l’orchestre. Il fallait l’excellence d’un ensemble comme les Métaboles pour interpréter cette métamorphose.
Last, but not least : les quatre mouvements du Concerto pour chœur, d’Alfred Schnittke, d’une durée de 45 minutes environ. Dans la tradition orthodoxe russe, « concerto » est à comprendre comme « motet » ou « cantate ». Le texte : le Livre des lamentations du moine et poète arménien Grégoire de Narek (951-1003), dans la traduction russe de Naum Grebnev. Attention, ici préside l’excès, de la méditation à l’incantation et de la confidence à la transe mystique, avec des crescendos et des tutti très puissants, les très beaux mélismes de voix solistes s’envolant au-dessus de la masse (la soprano Maya Villanueva, le ténor Marco Van Baaren), des vagues successives d’intensité croissante ou encore le « chagrin noir » d’une prière instante. Lui-même très recueilli, l’ensemble des choristes rend parfaitement le lyrisme, la dramaturgie et la dévotion qui sous-tendent cette pièce spirituelle de bout en bout. L’espace de la basilique aura offert tout au long de la soirée (en tout cas dans les premiers rangs) l’espace qu’exige cette musique chorale.
Le généreux Léo Warynski annonce en bis le deuxième des Trois Hymnes sacrés (1984) du même Schnittke. Merci, Maestro !
La magie sonore de Métamorphose(s) marque une étape supplémentaire dans l’accomplissement d’un des projets artistiques les plus remarquables de la scène musicale d’aujourd’hui.
Irradiantes métamorphoses musicales à Metz
Artistes en résidence à la Cité Musicale de Metz, Léo Warynski et son ensemble vocal Les Métaboles referment leur saison lorraine avec un programme, Métamorphoses, qui, avec le violoncelle de Marc Coppey, propose une parenthèse extatique nourrie d’échos entre les répertoires. Dans la salle de l’Arsenal, à l’acoustique boisée idéale, plébiscitée à juste titre pour les enregistrements discographiques, les accords du Prélude de la Suite n°2 pour violoncelle de Bach avec lesquels s’ouvrent le concert plongent d’emblée dans un recueillement évident, porté par la concentration d’un jeu qui, dans une définition sonore parfaitement calibrée, n’a nul besoin d’effort pour rencontrer l’auditeur. La réponse que développe la transcription pour violoncelle et chœur de la Chaconne de Bach par Noriko Baba fait entendre une métamorphose contemporaine d’une des plus célèbres pages pour violon sur le texte d’une cantate du Cantor de Leipzig, Christus lag in Todesbanden, BWV 4. A rebours des usages habituels dans l’accompagnement instrumental de l’écriture vocale, le phrasé vocal, sur un tempo ample, prend l’allure d’un écrin décanté pour la volubilité mélodique du violoncelle. Ce n’est que vers la fin de la partition, sur des paroles de louange, que l’équilibre se renverse vers un lumineux frémissement de la ligne de chant. L’intériorité des mots liturgiques est renforcée par celle d’une tessiture plus grave que le violon et d’une patine de l’intention expressive qui se substitue aux brillants chatoiements originels.
Commande passée à la compositrice japonaise pour ce programme, Ondes II, également pour violoncelle et chœur, déploie une mosaïque de gestes sonores sur des Caligrammes d’Apollinaire. Ce parcours poétique à l’apparence éclatée et hétéroclite, où les écholalies syllabiques voisinent avec sifflets et appeaux, distille une ivresse ludique nourrie par un authentique pouvoir évocateur et la précision des pupitres des Métaboles. La netteté des attaques se conjugue à une souplesse soyeuse et aérée des textures, façonnant ainsi la lisibilité du mot et de sa couleur qui est l’une des qualités reconnaissables de l’ensemble que l’on retrouve dans les deux opus de John Taverner.
Une beauté chorale extatique
Pour chœur seul sur un poème de Blake, The Lamb cisèle une ferveur feutrée avec, à la fin de chacune des deux strophes, des modulations délicates aux vertus hypnotiques que prolonge Sviaty. Sur la lente pulsation du violoncelle isolé en hauteur dans les tribunes arrière de la salle, avec un sens de la scénographie acoustique, le chœur décline des boucles liturgiques en slavon, dont les répétitions font glisser l’auditeur dans une sorte d’apesanteur quasi mystique. La transcription chorale sur les paroles de l’Agnus Dei par Barber de son Adagio pour cordes s’inscrit dans cette veine extatique, magnifiée par la sensibilité de l’étagement polyphonique sous les mains vigilantes de Léo Warynski. Le voyage se referme avec l’œuvre qui donne son nom au concert. Cycle de sept mélodies pour chœur et violoncelle sur des textes de détenus écrit dans le cadre d’une résidence artistique, Métamorphoses de Philippe Hersant propose un condensé d’humanité que fait irradier l’excellence engagée des interprètes. Au fil des témoignages poétiques sur le thème des quatre saisons réalisés par les prisonniers au cours d’ateliers d’écriture, l’album fait entendre, dans une belle palette modale, le tic-tac de l’attente, le frémissement ou la tension de l’impatience, parfois la souffrance, une mélopée solitaire, mais encore le voile aérien de l’espoir ou celui des ailes d’un oiseau qui a peut-être le mieux inspiré le compositeur. Si Léo Warynski et Les Métaboles se sont distingués depuis leurs débuts il y a une dizaine d’année par une construction soignée de leurs programmes, la magie sonore de Métamorphoses marque une étape supplémentaire dans l’accomplissement d’un des projets artistiques les plus remarquables de la scène musicale d’aujourd’hui. On attend désormais les reprises et la gravure discographique de ces Métamorphoses.
Plein succès – mérité – pour la première. Léo Warynski maîtrise au plus degré l’art de bâtir un programme, de tisser entre les œuvres quantités de correspondances, évidentes ou bien plus secrètes.
Métamorphose(s) par le Métaboles à la Cité musicale-Metz – Correspondances secrètes – compte-rendu
Vingt-quatre heures avant de s’envoler vers l’Argentine pour diriger Einstein on the Beach au Colón de Buenos Aires, Léo Warynski était à l’Arsenal avec ses Métaboles et le violoncelliste Marc Coppey dans un nouveau programme inscrit dans le cadre de la résidence de trois ans (2021-2024) de la formation chorale à la Cité musicale-Metz. Léo Warynski, on l’a plus d’une fois souligné, maîtrise au plus degré l’art de bâtir un programme, de tisser entre les œuvres quantités de correspondances, évidentes ou bien plus secrètes.
Après « Vox Naturae », conçu autour du compositeur canadien Raymond Murray Schafer, en janvier dernier, le chef a une nouvelle fois profité de la liberté que lui offre Michèle Paradon, directrice artistique de l’Arsenal, pour oser un programme aussi singulier que cohérent : « Métamophose(s) »
Un prélude d’abord, tiré de la 2e Suite BWV 1008, tout en simplicité sous l’archet de Marc Coppey ; un Bach on ne peut plus familier. Celui de la Chaconne de la Partita pour violon BWW 1004 l’est plus encore ... mais pas dans l’adaptation qu’en propose Noriko Baba (née en 1972), compositrice japonaise établie en France depuis la toute fin des années 1990. Celle-ci transpose en effet la pièce au violoncelle et, plus étonnant encore, « pose » sur elle le texte de la Cantate BWV 4 « Christ lag in Todesbangen » chanté par le groupe vocal (dans son effectif à 16 chanteurs pour ce concert). L’expérience – double métamorphose, de la musique et du texte – déroute quelque peu au départ, mais le cheminement vers la lumière que traduisent la Chaconne aussi bien que les paroles, le fait vite oublier, pour mieux laisser savourer l’ascension vers l’Alleluia conclusif.
Changement complet d’atmosphère, avec Onde II pour violoncelle et chœur de Noriko Baba, en création. Commande des Métaboles destinée à s’insérer dans le programme « « Métamorphose(s) », la pièce s’inspire des Calligrammes d’Apollinaire ( Voyage plus précisément ; « Adieu Amour ... / Télégraphe ... / Où va donc ce train ... / La douce nuit ... » ). Boîtes à musique, appeaux, bruits de pieds, claquements de mains se mêlent aux interventions des voix : la fragmentation domine cette partition surprenante qui, conduite avec une rare précision par Léo Warynski, fait corps avec la présentation graphique du poème adoptée par Apollinaire : l’auditeur la visualise ... par l’oreille !
Suivent deux morceaux de John Taverner, The Lamb (L’Agneau), pour chœur, sur un poème de William Blake. La musique flotte dans l’espace de l’Arsenal, aussi prenante par la parfaite intonation des chanteurs que l’intensité avec laquelle ils vivent la pièce. Elle fut écrite par le compositeur britannique pour son fils de trois ans, mais procure le sentiment de regarder infiniment plus haut ... Pas de doute à ce sujet quant à Sviaty pour chœur et violoncelle, inspiré par le rite funéraire orthodoxe oriental (Taverner s’est rappelons-le converti à la religion orthodoxe en 1977). Le violoncelle incarne ici le Prêtre et, Marc Coppey, installé en hauteur, côté cour, dans les gradins de fond de scène, noue un fervent dialogue avec le chœur qui, répétant la brève formule implorant la pitié de Dieu, en métamorphose et amplifie la portée. Métamorphose encore que celle du fameux Adagio de Barber dans sa version Agnus Dei – comme une réponse au premier ouvrage de Taverner. Aucune facilité dans l’approche, mais une tenue et une ferveur admirables.
Et « Métamorphose(s) » de se conclure par Métamorphoses de Philippe Hersant, pièce pour violoncelle et chœur de 2013 écrite sur des poèmes de détenus de la centrale de Clairvaux. Rêves de liberté, d’infini, d’amour, paroles émouvantes (dont le septième et dernier poème en corse : « Acellucciu cù e to ale »/Petit oiseau qui a des ailes), sentiments infiniment humains que le compositeur a mis en musique. Léo Warynski souligne la variété de texture de la partition, du n° 4 « Portrait d’un misérable », dont le bruissement-murmure rend volontairement les mots presque incompréhensibles, au n° 6 « Je rêve » qui, après un très belle introduction du violoncelle procure une onirique et troublante sensation de dilation de l’espace – avec de belles interventions du ténor Benjamin Aguirre Zubiri. On n’est pas moins conquis par l’Immortal Bach du Norvégien Knut Nystedt, donné en bis avec une bonne partie de l’effectif installé sur les deux escaliers dans la salle.
Plein succès – mérité – pour la première exécution d’un programme que l’on réentendra le 22 juin, à Noyers-sur-Serein (Yonne), dans le cadre de Chants libres (1), festival d’art choral itinérant de la Fondation Bettencourt Schueller (2) qui, du 22 au 26 juin, irrigue cinq régions françaises de près d’une cinquantaine de rendez-vous. Si l’occasion se présente à vous : pas une hésitation !
La précision d’intonation et la justesse d’expression
Créée lors de l’édition 1994 du festival Musica, Messe pour un jour ordinaire offre certainement l’un des meilleurs condensés de l’esthétique de Bernard Cavanna, confrontant la liturgie catholique avec le destin d’une jeune toxicomane découvert dans un documentaire de Jean-Michel Carré, Galères de femmes. Le perfectionnisme du compositeur ne pouvait s’abstenir de reprendre sa partition, fût-elle magistrale. Il a ainsi voulu en donner une nouvelle version, conçue pour l’ensemble les Métaboles et jouée à l’Arsenal de Metz, au cœur d’un temps fort de la saison de la Cité musicale, Voix libres !, dans un concert qui contribuera à une gravure de l’opus remanié, à paraître en 2023 sous label NoMadMusic.
L’œuvre s’ouvre par une toccata où s’affirme l’hybridation idiomatique entre trivial et sublime de l’écriture de Cavanna, dans un héritage où Zimmerman côtoierait Fellini, avant de suivre l’ordonnancement d’un office. Entre effets d’archaïsme et dramatisation, le Kyrie fait alterner les éléments choraux qui mêlent les chanteurs amateurs de Gradus ad musicam aux effectifs des Métaboles, et prépare la tension théâtrale du Gloria, martelée d’injonctions concaténant des bégueuleries qui ne voudraient pas souiller leur foi dans la fange du réel. Les ministres du rituel, le soprano Emilie Rose Bry, et plus encore le ténor Kiup Lee, glissent vers l’hystérie, tandis qu’Isabelle Lagarde décline les turpitudes matérielles de Laurence, la toxicomane juste sortie de détention, avec une sincérité éclatée dans le morcellement de la ligne.
La vigueur des cuivres et des cloches, soutenue par l’orgue, contribue à la bigarrure de la ferveur solennelle, accentuée par une facture orchestrale où se distingue un trio d’accordéons. Enchaînés, le Credo et le Sanctus prolongent cette transformation de la messe : la crudité de la violence affleure au gré des traductions, jusqu’aux confins du nazisme avec le ténor reprenant la défense de Klaus Barbie à son procès. La déclamation de Laurence, accompagnée par le diaphane violon solo de Noëmi Schindler, se départit de la véhémence de la masse et offre une conclusion où l’apaisement se confond avec murmure et silence.
Si l’engagement des interprètes se révèle évident, l’acoustique de l’Arsenal, très clairsemé en ce samedi de Pentecôte, montre plus de bienveillance dans les pièces a cappella de Francis Poulenc données en première partie de soirée. En résidence à la Cité musicale, Les Métaboles défendent, sous la battue soignée de Léo Warynski, la décantation de la cantate profane Un soir de neige, sur des poèmes d’Éluard, avant Quatre motets pour un temps de pénitence, et Exultate Deo. On y reconnaît la précision d’intonation et la justesse d’expression des solistes de l’ensemble, que l’impression des textes dans le programme n’eût point altérées dans l’oreille de l’auditeur. Moine et voyou selon le mot de Claude Rostand, Poulenc se fait l’interlocuteur à point nommé de l’incroyante religiosité de Cavanna, dans laquelle le blasphème peut très bien être la plus belle louange, celle de l’attention à la vulnérabilité – retour aux sources du message christique qui n’a pas échappé à certaines robes ecclésiastiques, selon le témoignage livré par le compositeur avant le concert, puis en bord de scène après.
L’écoute de Messe un jour ordinaire constitue un choc ; partout fulgurent des images, des sonorités, des confrontations saisissantes
Entièrement a cappella, la première partie du programme donne à entendre le versant « moine » de Francis Poulenc en qui Claude Rostand décelait, dans une formule appelée à faire fortune, un moine et un voyou. La veine sombre et dramatique des Quatre Motets pour un temps de pénitence (1939) se traduit par des lignes charbonneuses aux basses et une intonation par endroits plus couverte. Dans le troisième motet, le tragique « Tenebræ factæ », Léo Warynski modèle des éclats orchestraux préfigurant les Cinq Rechants (1948) de Messiaen. Les échappées solistes ne sont pas en reste : ainsi du soprano solo de l’ultime « Tristis est anima mea », inquiet et instable. Le bref Exultate Deo (1941) se place résolument sous le signe de la jubilation. En écho au titre de la cantate sur des textes de Paul Eluard, Un soir de neige (1944), le chœur des Métaboles, actuellement en résidence à l’Arsenal de Metz, fait valoir une polyphonie d’une transparence aveuglante, comme éclairée par le soleil de midi – les images contradictoires confrontées par le poète n’en surgissent que plus crûment. L’injustice (assauts chromatiques de « La Bonne Neige »), la mort (agrégats de « Bois meurtri »), la violence (atomisation des pupitres de « La nuit le froid la solitude ») se reflètent dans la gestique tranchante de Léo Warynski.
Le chœur amateur Gradus Ad Musicam se joint aux Métaboles et à l’ensemble instrumental Multilatérale pour la seconde partie. Composée entre 1993 et 1995, Messe un jour ordinaire s’est rapidement imposée comme l’œuvre la plus emblématique de Bernard Cavanna (né en 1951). Le compositeur, à l’image de Pierre Bonnard retouchant en cachette ses toiles dans les musées, a apporté au fil du temps divers amendements à sa partition ; à telle enseigne qu’il s’est senti fondé à en éditer une nouvelle version. Les parties chorales y sont davantage mises en valeur, avec des phénomènes d’émanation et de stase absents de la version originale, plus courte d’environ huit minutes. Parmi les ajouts, relevons la toccata orchestrale introductive (sorte de mixte du prélude des Soldats et d’un orphéon fellinien).
A gauche de la scène, Isabelle Lagarde incarne Laurence : mots simples, monceaux de phrases dont l’horizontalité tranche sur la verticalité du dogme catholique que le livret n’hésite pas à injurier (derniers mots : « maries‑salopes »). Contraste total avec la vocalité plus outrancière du ténor (Kiup Lee, pas toujours très audible dans les graves) harangueur de foule – le compositeur dit s’être inspiré des prêtres américains. Emilie Rose Bry complète parfaitement ce binôme lyrique un peu bouffe (interjections « ha ha ») dont les postures empruntées contrastent avec la sincérité désarmante de Laurence. Celle-ci a un double instrumental dans le violon tout en bruissements de Noëmi Schindler. Un instrumentarium insolite – on reconnaît les membres de l’Ensemble intercontemporain Nicolas Crosse (contrebasse) et Alain Billard (clarinette) – donne la part belle aux percussions résonantes (les cloches de la liturgie) et aux vents : trombone, cor, trompette, saxophone, clarinette, orgue, auxquels s’ajoutent trois accordéons. Harpe et contrebasse complètent la formation souvent sollicitée dans les tessitures extrêmes – l’environnement hostile à quoi Laurence est en butte. L’écoute de Messe un jour ordinaire constitue un choc ; partout fulgurent des images, des sonorités, des confrontations saisissantes. Idéale dans Poulenc, l’acoustique de l’Arsenal, disons‑le, n’a pas toujours rendu justice à l’orchestration pneumatique de Bernard Cavanna, compactant des alliages timbriques subtilement dosés dans la partition. Puisse l’enregistrement annoncé de ce beau programme y remédier.
Les Métaboles livrent une prestation électrisante, véritable tour de force qui déchaîne l’enthousiasme du public.
Singing Ravel par les Métaboles à l'Arsenal de Metz - Transcrire... toute leur âme est là
Lorsqu’on est chef de chœur et que l’on veut faire chanter du Ravel à son ensemble, le bilan est vite fait : l’auteur de Daphnis et Chloé a laissé à peine dix minutes de musique pour chœur a cappella, les Trois Chansons de 1915, dont il avait également écrit les textes. Léo Warynski (photo) a donc naturellement mis cette œuvre au centre du programme « Singing Ravel » que Les Métaboles ont créé l’été passé lors des Rencontres de Vézelay. Trois pièces assez courtes mais contrastées, un triptyque où deux volets comiques encadrent le nettement mélancolique « Trois beaux oiseaux de paradis », qui inclut l’intervention d’un soprano solo (bravo à Lorraine Tisserant !).
Restait à trouver tout le reste, en faisant appel aux travaux de ces bonnes fées des ensembles vocaux que sont les transcripteurs. « Singing Ravel » donne à entendre quatre d’entre eux, chacun ayant sa propre manière d’aborder l’exercice, en fonction de sa personnalité.
On sait l’amour de Gérard Pesson pour Ravel, compositeur dont il est proche par son goût de la concision et des alliances de sonorités inattendues. On lui doit une version chorale d’une mélodie assez rare, « Ronsard à son âme » (1924), et surtout la transcription de deux des trois parties de Shéhérazade : omettant « Asie » (trop long, peut-être), il s’est directement attaqué à « La Flûte enchantée » – où l’on admire particulièrement la prestation virtuose d’Anne-Claire Baconnais, se substituant à la flûte – et à « L’Indifférent ».
Thierry Machuel, lui n’a retenu que deux des cinq pièces formant Ma Mère l’Oye : la « Pavane de la Belle au bois dormant » et « Le jardin féerique » (cette dernière pièce donnait son nom au dernier disque des Métaboles, sorti en 2020).(1) Pourquoi celles-là, et pas « Laideronnette » ou les « Entretiens de la Belle et de la Bête », par exemple ? Peut-être les deux autres se prêtaient-ils mieux à la mise en voix. Il a aussi fallu trouver un texte à mettre en musique, et Thierry Machuel a eu la chance de pouvoir compter sur Gérard Richter pour lui écrire sur mesure un poème adapté aux contours de la partition.
Le même problème a été habilement résolu pour la transcription de « La Vallée des cloches », cinquième des Miroirs : pour passer du piano à la voix, c’est un poème de Verlaine qu’a utilisé Clytus Gottwald. Ce compositeur et musicologue allemand né en 1925 a une façon extrêmement personnelle de concevoir l’exercice de la transcription, avec un résultat assez stupéfiant, comme c’est aussi le cas pour « Soupir », le premier des Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé, et surtout pour « Toi, le cœur la rose », bref passage de L’Enfant et les sortilèges, mélodie d’une grande simplicité et que l’orchestre laisse presque à nu dans l’opéra, mais qui, dans la transcription, se transforme et acquiert un scintillement étonnant en étant éclaté entre les 12 voix de femmes réunies pour l’occasion.
Enfin, pour compléter ce programme, Léo Warynski a commandé deux transcriptions nouvelles à Thibault Perrine, dont on connaît notamment le travail de réduction sur des partitions d’opérette pour Les Brigands. La Pavane pour une infante défunte a parfois un peu de mal à s’accommoder du texte de la célèbre Pavane de Thoinot Arbeau, mais on reste bluffé par la version du Boléro imaginée par Thibault Perrine, qui a recours à toutes sortes d’onomatopées, de sifflements, de frappements de pied et de claquements de mains pour traduire vocalement les effets orchestraux de Ravel. Les Métaboles livrent une prestation électrisante, véritable tour de force qui déchaîne l’enthousiasme du public ; les chanteurs en reprendront même les ultimes minutes en guise de bis, suscitant la même euphorie.
Si toute la magie ravélienne se révèle cet après-midi, c’est bien grâce à l’interprétation des Métaboles.
Léo Warynski et Les Métaboles, héros de Ravel à l’Arsenal
Un singulier Boléro vient de clôturer le concert de ce dimanche après-midi à l’Arsenal, et Léo Warynski prend la parole pour avouer sa frustration aux spectateurs venus nombreux. Au grand dam du chef des Métaboles, Maurice Ravel n’a pas composé beaucoup de musique chorale : en tout et pour tout Trois Chansons pour une durée totale qui ne dépasse pas la dizaine de minutes. Fort heureusement, des compositeurs et arrangeurs réputés (Gérard Pesson, Thierry Machuel, Clytus Gottwald) ont signé des adaptations pour chœur a cappella de pièces ravéliennes, ce qui a permis à Warynski d’élaborer un programme 100% Ravel auquel le chef a ajouté une touche créative : à son invitation, l’excellent Thibault Perrine s’est attelé à la confection de deux nouvelles transcriptions, dont le fameux Boléro.
Comme on a pu le constater en un peu plus d’une heure dans la belle Salle de l’Esplanade, les arrangeurs ont bien fait les choses, ajoutant la plupart du temps des paroles qui réinventent intelligemment le texte musical de Ravel. La tâche n’était pourtant pas sans risque ; calquer sur la fameuse Pavane pour une infante défunte le non moins célèbre « Belle qui tiens ma vie » de Thoinot Arbeau aurait pu par exemple tourner au mariage forcé. Mais force est de constater que Thibault Perrine a fait le bon choix : la prosodie du poème du XVIe siècle correspond à s’y méprendre aux rythmes et aux carrures de l’œuvre ravélienne, donnant une fluidité naturelle au phrasé, et l’arrangeur attribue habilement du sens aux voix intermédiaires pour mettre en relief le parcours harmonique. Au sein du programme, seul le texte de Verlaine ajouté à La vallée des cloches ne s’avère pas totalement convaincant, sans doute à cause du caractère très pianistique de la version originale dont Clytus Gottwald ne parvient pas à retranscrire la poésie de timbres purs.
Les deux pièces de Ma Mère l’Oye sont à l’inverse particulièrement émouvantes, le texte de Benoît Richter apportant un sens nouveau au Jardin féérique (à la fois réserve naturelle foisonnante et espace intime) et venant nourrir directement le verbe musical de Thierry Machuel : en conclusion de la pièce, la répétition régulière du mot « souffle » et de ses consonnes finit par donner l’impression saisissante d’une marche dans l’herbe haute balayée par le vent.
Mais si toute la magie ravélienne se révèle cet après-midi, c’est bien grâce à l’interprétation des Métaboles. Du duo de la Pavane de la Belle au bois dormant (Anne-Claire Baconnais et Laura Muller) au grand solo des Oiseaux du Paradis (Lorraine Tisserant), les chanteurs se montrent impeccables individuellement. Quant au collectif, il est tout simplement bluffant. Sous la direction toujours discrète et efficace d’un Léo Warynski extrêmement à l’écoute de ses troupes, c’est un véritable chœur-orchestre, riche en textures et en timbres, qui prend peu à peu possession de l’acoustique idéale de la Salle de l’Esplanade. Aussi à l’aise dans les harmonies étales de Soupir que dans le catalogue virtuose de la Ronde, le chœur finit en apothéose dans le Boléro. La transcription de Thibault Perrine est pourtant exigeante : ici, pas de paroles pour soutenir les notes (ce qui donne tout d’abord envie de retrouver Le Parti d’en rire de Pierre Dac et Francis Blanche…), pas d’effet facile pour éviter l’inconfort des premières minutes à l’orchestration minimaliste. L’arrangeur a opté pour un subtil jeu de timbres, d'onomatopées et de bruitages, tout droit sorti d’une partition de Satie : les chanteurs se métamorphosent les uns après les autres en instruments inouïs, sifflent, jouent de percussions corporelles, imitent la caisse claire et les cymbales… Si le premier tiers de l’œuvre reste ingrat, c’est pour mieux monter en puissance : les dissonances dues à la polytonalité sont assumées avec une intonation toujours claire, la balance entre les différents pupitres est parfaitement équilibrée, le crescendo mené avec une endurance remarquable (René Ramos-Premier tenant la caisse claire avec le sourire !). À voir la réaction du public conquis, il faudra que le chœur se rende à l’évidence et grave d’urgence ce Boléro inédit, en compagnie du reste du programme…
Léo Warynski, un chef à chœur ouvert.
Il faudrait plus qu’un virus, même pandémique, pour saper l’enthousiasme dont déborde le chef d’orchestre alsacien Léo Warynski, fondateur de l’ensemble vocal Les Métaboles. Ne comptez pas sur ce presque quadragénaire à la silhouette de jeune premier, au sourire chaleureux et au verbe clair, pour vaticiner sur le poids des restrictions sanitaires et les projets empêchés. Oui, il a pu craindre que ses musiciens soient « engloutis par la vague », oui, « une épée de Damoclès » reste suspendue au-dessus de leurs têtes. Mais, préfère-t-il souligner, « en 2020, nous avons été soutenus, protégés. Et nous avons pu travailler et retrouver, ensemble, un métier qui est aussi toute une vie ».
De fait, grâce aux captations, on n’a jamais cessé d’admirer sa gestuelle souple, précise et habitée. Sa façon empathique de chercher le regard des musiciens, et de faire corps avec eux tout en les guidant. Son approche rigoureuse et sensible des œuvres, fruit d’une insatiable curiosité, qui s’applique aux compositeurs du présent comme à ceux du passé. Le répertoire a cappella des Métaboles va du médiéval au contemporain, volontiers mélangés : « Je veux embrasser tous les répertoires, pour m’émerveiller à tout bout de champ. » Comme dans ce concert filmé en janvier 2021 à la Philharmonie de Paris, où la création française du Requiem de Francesco Filidei (né en 1973), confié aux Métaboles et à l’Ensemble intercontemporain, dialogue le plus naturellement du monde avec le Stabat Mater de Palestrina (1525-1594).
Une enfance mélomane
Né à Colmar en 1982, un an avant la première édition de Musica, il a fréquenté le festival très jeune, dans le sillage d’une famille où la musique n’est pas une profession — les parents sont médecins —, mais « un ciment ». Avec un père guitariste, une mère chanteuse et flûtiste, des frères qui jouent du violon, comment s’étonner qu’il ait si tôt manifesté sa mélomanie ? Venue écouter Le Messie, de Haendel, quelques jours avant qu’il naisse, sa mère lui a souvent raconté à quel point il avait bougé pendant le concert…
Il a 4 ans quand un oncle luthier lui offre, pour Noël, un petit violoncelle. Ravi, l’enfant passe la soirée à le manipuler : « Je me souviens du plaisir que j’ai eu à chercher des sons, à le sentir vibrer. » Confié à un professeur recommandé par le même oncle, il a « la chance d’apprendre par la pratique et l’écoute, et d’être tout de suite dans le son », la théorie validant plus tard ce qu’il a saisi intuitivement. Il goûte cette même « expérience sensible » à la maîtrise de Colmar, dirigée par Arlette Steyer, où ses parents l’inscrivent avec ses frères : « Chaque garçon se voyait proposer un parcours idéal. On en sortait avec un bagage qui allait bien au-delà des compétences musicales. » Parfois Arlette Steyer chante avec ses ouailles : « Elle avait une grande voix de mezzo-soprano, très timbrée, qui nous couvrait tous, alors que nous chantions à tue-tête ! J’adorais cela. »
Le goût des vibrations instrumentales, l’émotion liée à la voix… Tout est déjà là. Il a 8 ans quand la direction lui cligne de l’œil pendant une Symphonie nº 3, de Gustav Mahler (1860-1911). « Notre maîtrise était la petite partie d’un grand tout. Nous chantions d’abord seuls : “bim bam, bim bam…”, puis le grand chœur et l’orchestre nous ont rejoints. Je regardais le chef, Eliahu Inbal, et sentais que ce devait être exaltant de diriger tout cela. » Peu après, il découvre qu’il a l’oreille absolue. « Les notes me parlent dans ma tête », confie-t-il à sa mère, apprenant alors qu’il s’agit d’un don. Sa vocation se précise à l’adolescence, quand il constate qu’il n’a pas la patience pour l’énorme travail technique que requiert le métier de violoncelliste, et que l’apprentissage de la direction lui permettra de continuer à creuser des matières qui le passionnent autant que la musique, comme l’histoire ou le français. Son instrument, c’est décidé, sera l’orchestre tout entier. Il en fonde un au lycée, assorti d’un chœur, pendant sa terminale.
Le choix du chœur
Deux concerts consacrent cette première expérience avant le départ pour Paris, où, après une hypokhâgne et une khâgne au lycée Fénelon, il intègre le Conservatoire et la classe de direction du chef François-Xavier Roth. De ce dernier, fondateur de l’orchestre Les Siècles, qui l’engagera comme assistant, il retiendra « le côté instinctif, celui d’un chef-né, pour qui une idée claire entraîne un geste clair », et la double casquette « de chef d’institution et d’entrepreneur ». Pierre Cao, chef et fondateur du chœur Arsys Bourgogne, lui enseignera ensuite comment ne pas se laisser dicter ses choix artistiques par des (im)possibilités techniques, non sans lui avoir glissé (il en rit encore) : « Si le chef ne dérange pas trop les musiciens, c’est déjà très bien ! »
Avec ces deux mentors, Léo Warynski apprend à conjuguer rigueur et spontanéité. Ne reste plus au chef tout neuf, qui veut « prendre [son] destin en main », qu’à créer son ensemble. Ce sera un chœur. Pas seulement du fait de son extrême sensibilité au grain des voix et à leur alchimie, qui peut lui donner des insomnies en cas d’absence d’un chanteur (« parce que je sais que cela va enlever quelque chose au son dont j’avais rêvé »), mais parce que le répertoire orchestral est déjà bien couvert par les formations existantes. Il existe en revanche plus de mille ans de répertoire vocal, rarement chanté, et pas comme il le souhaite.
Ainsi naissent, en 2010, Les Métaboles, d’abord sur le mode amateur. Libre de composer ses programmes comme il l’entend, Léo Warynski profite de la plasticité des voix, et de la virtuosité technique de ses recrues, pour varier les styles sans avoir à changer d’instrument. Et s’efforce, avec succès, d’obtenir une fusion chorale qui n’arase pas les personnalités : « Le chef ne produit pas le son, il est donc tributaire de l’imagination des chanteurs. Je leur demande souvent de faire des propositions, et je me vois un peu comme un émondeur, taillant et sculptant des herbes folles, pour homogénéiser sans annihiler. » Il mettra six ans à se rapprocher de son idéal sonore, réalisant alors que le chœur peut aller toujours plus loin, et que leur quête d’un graal musical est sans fin.
Une curiosité tous azimuts
Entre-temps, il a compris, avec la professionnalisation des Métaboles, qu’un ensemble dit indépendant « n’en a que le nom ! On dépend des programmateurs, du contexte financier, des contacts que l’on prend… C’est un immense échiquier, où il faut avancer ses pions et réussir à tirer son épingle du jeu ». Assimilant sur le terrain le difficile métier d’entrepreneur, il poursuit aussi une carrière de chef invité. La rencontre du metteur en scène Antoine Gindt lui « ouvre le champ du théâtre ». Leur duo assure en 2013 la création d’Aliados, de Sebastian Rivas (né en 1975), un opéra où Léo Warynski dirige l’ensemble Multilatérale.
Les Métaboles livrent une performance remarquable, qui est pour beaucoup dans l’ovation générale suscitée par l’audition de cette œuvre magistrale.
Dans un programme constitué de grands classiques de la musique française, se détache une pièce majeure de la compositrice française Édith Canat de Chizy.
Commandée dans le cadre des 800 ans de la Cathédrale Saint-Étienne de Metz, cette œuvre ambitieuse aurait dû être créée en décembre 2020, mais la création dut être reportée en raison de la pandémie mondiale. Inspirée par des textes de Hildegarde von Bingen, de Nostradamus ainsi que de l’Apocalypse de Saint Jean, l’ouvrage, partiellement écrit au cours du premier confinement de l’année 2020, ne manque pas de faire le lien entre les sept fléaux de Babylone et la crise sanitaire que nous avons traversée ces derniers mois. La Covid-19 est en effet indirectement évoquée par le compte à rebours du cinquième mouvement de la pièce (« Dix, neuf, huit, etc. ») et, de fait, tout le texte d’Apocalypsis, une réunion de fragments écrits en français, en latin et en anglais, peut se lire comme un avertissement adressé à l’humanité. Comment réagirons-nous à l’issue de cette crise, quelles leçons saurons-nous en tirer, quelles en seront les répercussions dans le déroulement de notre vie, telles sont les interrogations livrées au public ? La deuxième partie de l’œuvre, qui fait suite au silence assourdissant qu’annonce la chute de Babylone dépeinte lors de la séquence n°5, introduit un message d’amour et d’espoir qui rappelle que, étymologiquement, le terme « Apocalypse » ne signifie rien d’autre que la révélation finale. Écrite pour chœur et orchestre, cette œuvre de toute beauté, qui semble explorer à l’infini toutes les possibilités vocales et orchestrales des effectifs qu’elle convoque, est évidemment de la plus grande exigence pour la totalité de ses interprètes. Particulièrement sollicités pour la recherche de couleurs rauques et gutturales, également mis à l’épreuve dans les extrêmes graves et aigus de leur voix. Les 32 chanteurs de l’ensemble Les Métaboles, préparés par Denis Comtet, livrent une performance remarquable, qui est pour beaucoup dans l’ovation générale suscitée par l’audition de cette œuvre magistrale.
Une église comble pour une soirée chorale de haute tenue.
Faire entendre Ravel a cappella : c’est la très belle idée exposée par Léo Warynski et les Métaboles dans le cadre des Rencontres musicales de Vézelay, organisées par la Cité de la Voix. Un Ravel revisité par quatre transcripteurs : Clytus Gottwald, Thierry Machuel, Gérard Pesson et Thibault Perrine. Quand le chant choral enfle un univers tout de grâce et de couleur…
Au programme, une douzaine de chants, certains issus d’opus directement écrits pour la voix, ainsi les Trois Chansons, la seule œuvre a cappella de Ravel ; les autres pour instruments, voire orchestre, comme le Bolero, lequel sera un peu la vedette de la soirée. Immersion en douceur avec Pavane pour une infante défunte (1899-1910), transcrite pour chœur par Thibault Perrine, qui viendra saluer en fin de concert. Il emprunte le texte à une autre pavane, très célèbre celle-ci : Belle qui tiens ma vie. La souplesse des voix et l’homogénéité de l’ensemble s’apprécient d’emblée, ainsi que la gestion des effets, comme cette suspension au bord du silence avant la réexposition du thème. Le même Perrine conclura la soirée avec l’étincelant Bolero (1928). Ce succès devenu planétaire, d’ailleurs à la grande surprise de son compositeur, connaît ce soir la même adhésion spontanée du public, qui non seulement a dans l’oreille l’original, mais apprécie les grandes qualités de l’arrangement pour ensemble vocal. Et c’est effectivement un bonheur de voir autant que d’entendre le lent crescendo d’une mélodie répétitive soutenue par un rythme intangible. Les thèmes, chantonnés par une ou deux voix masculines, circulent de pupitre en pupitre puis enflent en étant repris par un nombre croissant de choristes. Félicitations également aux hommes chargés de siffler entre les dents l’ostinato, originellement frappé sur une caisse claire. Un martellement au pied sur l’estrade se fait entendre timidement avant sa propagation générale. A la fin, cet effet de grosse caisse se dédouble lorsque les hommes battent leur poitrine tandis que les femmes se frappent les cuisses. Le pittoresque et l’allégresse de l’œuvre sont rendus avec un certain humour par les sifflotements qui accompagnent les deux thèmes et les « ouah, ouah » des ténors qui les commentent. Plébiscité, le Bolero sera même redonné en partie à l’occasion du second bis.
La difficulté ou la gêne, à l’écoute d’une musique arrangée, c’est la mémoire de la référence dans son effectif originel, et l’on peut regretter que beaucoup de transcriptions, si réussies soient-elles, donnent l’impression de coller à leur modèle. Ce n’est sûrement pas le cas de la Pavane de la belle au bois dormant (1908-1912), adaptée par Thierry Machuel, qui fait entendre distinctement les quatre pupitres, traduisant ainsi l’élégance diaphane de l’univers ravélien. Un sifflotement discret renforce encore l’impression de distance ou de fausse légèreté émanant d’une telle musique comme d’un jardin fleuri. Marquante également est la transcription de Soupir (1913) par Clytus Gottwald, dont le frémissement des voix aigües superposées évoquent irrésistiblement Lux aeterna de Ligeti. Ce morceau est d’ailleurs une commande de Gottwald, qui le créa en 1966, l’année de sa composition, avec son ensemble, la Schola Cantorum de Stuttgart. Certaines pièces tranchent par leur côté joyeux et sautillant, ainsi Nicolette, première des Trois Chansons (1914-1915). D’autres par l’envol de voix solistes, telle La Flûte enchantée (1903), extraite de Shéhérazade et arrangée par Gérard Pesson (né en 1958), où se détache en volutes la soprane Amandine Trenc (sublime !) sur un tapis de notes basses.
Plaisant clin d’œil que celui occasionné par cette 21e édition du festival, qui tisse un lien secret entre deux Apaches, Maurice Ravel (1875-1937) et le chef d’orchestre Désiré-Émile Inghelbrecht (1880-1965). En effet, de 1900 jusqu’à la Première Guerre mondiale s’est réuni le cercle amical parisien auto-baptisé la Société des Apaches, au sein de laquelle ont été créées toutes les œuvres de Ravel. Quant à Inghelbrecht, il passa très souvent ses étés, de 1923 jusqu’à sa mort, dans sa maison de la rue Saint-Étienne, située à quelque 150m de la basilique Sainte-Marie-Madeleine, comme le rappelle une plaque. Une église comble aujourd’hui pour une soirée chorale de haute tenue.
Un concert ensorcelant et poétique.
En soirée : Singing Ravel par les Métaboles
C’était à la basilique de Vézelay qu’avait lieu le concert fortement attendu en soirée, à 21h. Les Métaboles, placés sous la direction de Léo Warynski nous proposaient un programme original avec « Singing Ravel ». L’entrée en scène était à la fois grandiose et tout en douceur avec la célèbre Pavane pour une infanterie défunte, morceau au caractère lent et nostalgique originairement destiné à la princesse Polignac. L’essentiel des chants étaient des retranscriptions adaptées de l’oeuvre de Ravel, notamment faites par des compositeurs tels que Gottwald, Pesson pour Ronsard à son âme, ou encore Thibault Perrine pour la fameuse Pavane, morceau qui a ouvert en beauté ce concert dans la basilique bourguignonne. Ces retranscriptions rendent par la voix la finesse des compositions de Ravel.
Un art de la retranscription
Ce programme s’est voulu être un hommage à l’oeuvre chorale de ce compositeur du tournant du XXe siècle, dont l’écriture a cappella est assez rare mais quand même mais existante – celle-ci s’en tient strictement aux Trois Chansons, sa seule oeuvre du genre. Mais le compositeur semblait vouloir rendre ses œuvres malléables, puisqu’il a déjà composé des morceaux pour orchestre avant d’être adaptées par lui-même au piano, et vice-versa. Ronsard à son âme condense parfaitement ces deux formes, la version chantée étant même plus douce qu’au piano.
L’harmonie des voix et des instruments
Tout était par ailleurs parfait avec l’acoustique de la basilique, équilibré et émouvant. Les voix des solistes qui se relayaient étaient puissantes, chacune d’entres elles portant très bien la structure musicale du choeur. Ravel est parfait pour une église, rappelons-nous que celui-ci avait déjà travaillé avec des voix, choeurs ou solistes dans cet esprit – on peut penser au Requiem n°48 qui se compose d’un soliste et qu’il a adapté avec un orgue- il avait composé le morceau dans une église. Tantôt le choeur s’est assemblé de manière fluide, tantôt les solistes ont dominé. L’agilité dans les retranscriptions, qui imitent avec perfection les effets que produisent les instruments d’orchestre..
Le Boléro
Le clou du spectacle était Le Boléro, œuvre la plus glorieuse et spectaculaire du compositeur. Et le chœur ne l’a pas ratée. En commençant en mezzo piano, avec une très grande douceur. On entendait presque les instruments à vents, les violons, et surtout la puissance des cuivres, à mesure que le crescendo se fait très progressivement. L’un d’entre eux imitait même les cymbales. Le morceau en ressortant était grandiose, l’ensemble du choeur trépignait et tapait du pied : les chanteurs achevaient le concert puissants, leurs corps se mouvant en musique avec une parfaite synchronie.
Avec un art consommé de la retranscriptions (dont certaines datent de notre millénaire) Les Métaboles ont interprété un Ravel résolument moderne, qui lui-même appréciait les retranscriptions. Et avec des interprétations aux accents quasiment cinématographiques et aux envolées vocales entrainantes, nous nous sommes sentis voyager. Il y a aussi eu des attentes, du suspens. Singing Ravel a donc été un concert ensorcelant et poétique, à l’image de L’Enfant et les sortilèges.
La fin magistrale arrache les bravi et l’ovation d’un public enthousiaste.
Maurice Ravel a trop peu composé pour chœur a cappella, tant les couleurs raffinées de sa musique semblent pourtant s’y prêter. Alors, forts de leur savoir-faire et curiosité musicale, Léo Warynski et son ensemble Les Métaboles offrent au public des Rencontres Musicales de Vézelay un programme de retranscriptions rendant hommage à son œuvre :
Sans doute par la recherche d’authenticité et la consolidation d’une pensée puriste de l’interprétation musicale, la retranscription n’est plus un procédé très habituel, alors qu’il était courant jusqu’à l’ère contemporaine. Face au développement des ensembles vocaux en France, la demande d’un catalogue de chefs-d’œuvre pour le répertoire a cappella appelle de nouveau ce procédé essentiel. Les Métaboles en sont un important exemple, diffusant des transcriptions déjà créées par d’avisés compositeurs-transcripteurs tels Thierry Machuel, Gérard Pesson ou Clytus Gottwald, ou en commandant de nouvelles auprès de Thibault Perrine. En collaboration avec la Cité musicale de Metz, l’ensemble propose ainsi une redécouverte de l’œuvre de Maurice Ravel, autour de ses Trois chansons pour chœur a cappella.
C’est avec la création mondiale de la retranscription de la Pavane pour une infante défunte pour chœur à quatre voix mixtes par Thibault Perrine, sur le sublime poème Belle qui tiens ma vie de Thoinot Arbeau, que débute le concert de ce soir, en la fastueuse Basilique de Vézelay. La direction de Léo Warynski se débarrasse de tout superflu, suggérant par ses gestes souples et ronds la matière sonore du chœur, elle-même très ronde, moelleuse. Dans l’acoustique généreuse de la basilique, la prononciation des textes et la précision des attaques semblent d'abord souffrir de cette recherche prioritaire de la beauté du son. Petit à petit, les artistes du chœur prenant de l’assurance, ces légers défauts s’amoindrissent. À plusieurs moments, l’auditeur est happé par de délicieuses harmonies colorées avec grand soin, comme la nuance piano proposée sur « Que l’amour qui m’époint décroisse d’un seul point ». L’auditeur est transporté par les couleurs évidemment féériques du Jardin féérique de Ma Mère l’Oye, dont la conduite globale des dynamiques est pensée de manière progressive jusqu’à la note finale, puissante mais absolument pas écrasante. Le contre-ré de la soprano Anne-Claire Baconnais a la qualité rare (voire incroyable pour de telles hauteurs) de mener, sûr et fin, vers la partie cadentielle (conclusive). Le pianissimo éthéré de « Toi, le cœur de la rose » extrait de L’Enfant et les Sortilèges, hypnotise. Les couleurs qui sont proposées sont comme du pastel avec effet aquarelle, légères et transparentes, mais dans une performance tellement intense qu'un des sopranos en tombe. La frayeur passée (et la chute étant en fait due à une indisposition), Amandine Trenc reviendra quelques temps plus tard, rejoignant l’ensemble en restant assise pour assurer sa partie, particulièrement importante pour "La flûte enchantée", retranscription de Shéhérazade. Malgré sa grande fatigue, la chanteuse fait entendre une voix cristalline, légère et agile comme une flûte. Pour les Trois chansons pour chœur a cappella dont la musique et les textes sont de la main même de Ravel, la soprano Lorraine Tisserand intervient en soliste sur Trois beaux oiseaux du Paradis, sur un beau tapis du chœur et quelques échos, faisant entendre une voix lumineuse et très tendre.
Pour final, Les Métaboles offrent en création mondiale la retranscription du Boléro pour 16 voix mixtes par Thibault Perrine. Le choix laisse d'abord interrogatif quant à la possibilité de transcrire pour voix seules une œuvre dont toute la saveur est l’instrumentation. Certes, l’ostinato rythmique (figure répétée) paraît d’abord un peu irrégulier, mais il gagne néanmoins en assurance au fil de l’œuvre. La fin de la deuxième phrase mélodique est cependant toujours trop basse dans les registres pour bien sonner et l’endurance nécessaire à cette longue œuvre fait parfois craindre à une baisse notable de justesse. Toutefois, Les Métaboles valorisent le travail de retranscription, réussissant tout de même à reconstituer certains timbres des instruments, comme les « wah wah » de cors par les ténors, également complétés par de la percussion corporelle. Les harmonies riches, avec octaves et quintes, fonctionnent très bien grâce aux voix féminines, dont les parties sont quasiment individuelles. La fin magistrale, sur un coup de pied collectif, arrache les bravi et l’ovation d’un public enthousiaste. Bien qu’appréciant en bis le Jardin féérique, qui avait fait l’objet d’un clip lors du premier confinement, le public redemande le Boléro. Léo Warynski cède et donne le dernier cinquième de l’œuvre, avec un tempo un rien pressé et un ostinato vraisemblablement fatigué, mais ne manquant pas d’enthousiasme partagé !
Photo : François Zuidberg
La voix des anges des Métaboles.
De Palestrina à Jonathan Harvey, en passant par William Byrd et Henry Purcell, ce nouvel opus discographique des Métaboles, The Angels, mené sous le regard expert de son fondateur Léo Warynski, est fondamentalement dédié au célèbre compositeur britannique disparu en 2012.
Les premières notes de cette programmation font écho à l’une des caractéristiques propres de l’écriture musicale du maître contemporain, l’interprétation choisie pour l’Ave verum corpus de Byrd atténuant toute dualité au profit d’une lévitation spirituelle inscrite au coeur d’une pleine communion d’un ordre supérieur. Son ancrage dans la musique sacrée anglicane et le plainchant dès ses premières œuvres de jeunesse, puis son implication dans l’activité musicale de la Cathédrale de Winchester au début des années 80, marqueront profondément Jonathan Harvey, particulièrement intéressé par une réflexion alliant inspiration et spiritualité. Léo Warynski fait donc le choix d’accorder les seize chanteurs a cappella selon les aspirations mystiques du compositeur britannique, et cela même si les ouvrages ne sont pas de son fait ni de son époque.
Ce sera ainsi le même parti pris pour Remember not, Lord, our offences de Henry Purcell qui sera traité selon une approche similaire : celle d’une lévitation des textures sonores, métaphore de la grandeur spirituelle chrétienne, que la basse continue initiale ne pouvait qu’encrer dans le réel. Pour Giovanni Pierluigi da Palestrina, c’est le double chœr du Stabat Mater qui est sous l’emprise de la plénitude d’Harvey, les voix se modelant pour une consistance pleine et fusionnelle sans contrastes marqués. Les choix de Léo Warynski sont risqués, mais fonctionnent admirablement selon ce fil conducteur particulièrement intellectualisé, et surtout ancré au cœur même d’une écriture musicale contemporaine. Entre I love the Lord, Come, Holy Ghost, Plainsongs for peace and light, extraits du Livre des Psaumes, Remember, O Lord, ou encore The Angels qui donne le titre à ce disque, le choeur évolue selon des compositions variées de Jonathan Harvey : du plain-chant à seize solistes, de cinq voix mixtes à un double choeur… La performance des Métaboles est aussi irréelle que cette conduite temporelle extatique menée d’une main de maître par Warynski durant ces quarantecinq minutes de musique. Mais comme souligné précédemment, on est loin de la contemplation : la démarche est complexe, rigoureuse et précise, positionnant l’auditeur dans une concentration que ce format court discographique rend véritablement rendre possible.
Les gestes musicaux sont intégralement mis au service d’une conception spirituelle, le temps et l’espace sortant des codes habituels, les mélodies et les harmonies en devenant d’une luminosité monumentale, chaque composante compositionnelle et interprétative s’éclairant mutuellement. La transparence des textures sonores portée dans une fusion des voix superbe, la flexibilité idéale dans la conduite des voix pour porter une pensée artistique complexe… Entre rationnel et mystique, entre intellectualisation et intuition, la voix des anges des Métaboles se met au service d’un disque magistral.
4 F - Les Métaboles font vibrer a cappella le répertoire de fameux Anglais, de Purcell à Jonathan Harvey.
Dans l’écrin acoustique de l’abbaye de Royaumont, les Métaboles font vibrer a cappella le répertoire de fameux Anglais, de Purcell à Jonathan Harvey.
Le chef Léo Warynski et le label NoMadMusic ont été bien inspirés de graver ce fascinant programme de musique sacrée a cappella, créé en 2019 dans l’accueillante acoustique de l’abbaye de Royaumont, et enregistré sur place par France Musique. Si le compositeur britannique Jonathan Harvey (1939-2012) en est la figure centrale, ses pièces sont mises en résonance avec d’autres styles et époques. On perçoit ainsi à quel point son écriture contemporaine s’enracine dans celles de ses prédécesseurs, à commencer par William Byrd (1539/40-1623), dont l’Ave verum corpus, chanté par un quatuor vocal d’une troublante sérénité, inscrit les pièces qui suivront dans la riche tradition chorale anglaise. À Henry Purcell (1659-1695) et son psaume Remember Not, Lord, Our Offences, répond, dans une tonalité voisine, un Remember, O Lord, pour chœur a cappella. Et le thème musical qui ouvre le Stabat Mater de Giovanni Pierluigi da Palestrina (1525-1594) revient au début de The Annunciation, où Jonathan Harvey met en musique, de manière très picturale, un texte infiniment poétique d’Edwin Muir.
Souples, claires et chaleureuses, les voix des Métaboles sont aussi capables d’intervenir en solistes et d’assurer la netteté des lignes de chant, que de se fondre dans la polyphonie chorale. Elles font merveille dans ce répertoire d’une modernité sans âge, qui joue avec un plain-chant grégorien enrobé d’une brume vocale et parcouru de turbulences (Plainsongs for Peace and Light), sculpte le son au gré d’envoûtants enchaînements harmoniques (I love the Lord), et nous entraîne, pour finir, dans une autre dimension (The Angels), d’une beauté flottante et étrangement réconfortante.
... limpidité des timbres, transparence, flexibilité et raffinement des textures.
L'attrait de cet album est la mise en miroir de compositions de l'anglais Jonathan Harvey avec des pièces des grands maîtres baroques du chant a cappella. Comparaison fascinante qui, à travers le croisement des époques et des styles, révèle d'inattendues correspondances et montre en tout cas la vitalité du chant choral outre-Manche.
Ce programme, capté live lors du festival de Royaumont à l'automne 2019, fait dialoguer présent et passé de la musique anglaise a cappella, Jonathan Harvey, Byrd et Purcell. Là où les voûtes du réfectoire des moines font écho à celles des cathédrales gothiques. Chantre de la musique électronique, qu'il a travaillée auprès de Stockhausen, Jonathan Harvey (1939-2012) s'est aussi intéressé au domaine du chant choral. Rien d'étonnant de la part d'un musicien qui a connu dans sa jeunesse le monde de la maîtrise anglaise des Colleges. Avec des techniques originales de traitement des voix se référant au plain-chant grégorien, et des sonorités audacieuses d'élargissement dans l'espace qu'on peut définir comme une sorte d'amplification irisée. Ainsi en est-il dans la pièce ''I love the Lord''. Celle titrée ''Come, Holy Ghost'' débute sur un rappel du thème du ''Veni creator'', chanté par une voix soliste, reprise par le chœur. La fin du morceau semble se déliter dans un fouillis remarquablement organisé, comme si le son venait de diverses sources. Le phénomène d'élargissement dans l'espace, avec ses effets d'écho, se retrouve dans les Plainsongs for peace and light. Là encore une voix soliste débute chaque strophe, rejointe par le chœur dans une sorte de fourmillement, comme s'il s'agissait d'un soubassement orchestral, pour un effet proprement magique. Qu'on retrouve dans le morceau ''The Angels'', si bien nommé, pour double chœur : sur une pédale à bouche fermée, le discours s'anime et se répand doucement. La seconde partie amplifie la première, toujours sur ce contrepoint murmuré quasiment instrumental.
Disposées soit en prélude, soit en répons, les pièces de l'époque baroque montrent une réelle filiation et combien Jonathan Harvey s'est placé dans les pas de ces maîtres. Car ''Remenber, O Lord'' semble prendre naturellement la suite de ''Remenber not, Lord, our offences'' de Purcell, et l'"Ave verum corpus" de Byrd annoncer ''I Love the Lord''. De même le bref "Stabat Mater "de Palestrina annonce-t-il la pièce ''The Annunciation'' du compositeur anglais actuel. Qui reprend à son compte leur sens de l'architecture vocale et, dans un langage moderne, recrée le mystère émanant des pièces de ses lointains prédécesseurs.
Les 16 chanteurs de l'ensemble vocal Les Métaboles, sous la direction à la fois sensible et rigoureuse de Léo Warynski, montrent limpidité des timbres, transparence et flexibilité, comme le raffinement des textures. Et surtout un étonnant éclectisme si l'on en juge par un précédent album d'inspiration bien différente, ''Jardin féerique''. La prise de son live réalisée par les équipes de Radio France - France Musique restitue l'étonnante impression de spatialité de ces musiques conçues pour des édifices religieux plus que pour des salles de concert.
Avec the Angels, les Métaboles nous illuminent.
En un an de musique confinée et de concerts annulés, Les Métaboles ont réussi le pari de sortir un disque. Un défi pour un chœur de chambre qui préférera toujours le concert pour faire briller la lumière de ses voix. Leur dernier né, The Angels, est pourtant une illumination.
Rares sont les ensembles vocaux qui peuvent faire entendre autant de genres différents en gardant à chaque fois la même exigence. Depuis dix ans, Les Métaboles cultivent un savoir-faire qui les a amené au sommet de leur art en 2020, avec un enregistrement éblouissant consacré aux Jardins féeriques des compositeurs du XXème siècle.
Le répertoire a capella est leur domaine privilégié, et les programmes originaux concoctés par leur chef Léo Warynski, leur marque de fabrique. Sur la lancée de leur dernière sortie, ils nous offrent cette année The Angels, une rêverie lumineuse enregistrée à l’abbaye de Royaumont (Val-d’Oise), un très saint lieu de la musique vocale. Dans les rayonnages d’un disquaire, la jaquette n’attire pas forcément l’œil, mais une fois le disque dans la machine, c’est un univers fascinant qui s’ouvre à nous. Si si, on vous assure !
Pour un chœur de chambre aussi fin et précis, les hauts-parleurs de nos salons sont des persiennes à travers lesquelles nous ne sommes autorisés qu’à deviner les contours d’une musique faite pour être jouée toutes fenêtres ouvertes, dans la pleine acoustique d’une église ou d’un auditorium. Depuis un an, nous avons appris à nous contenter de cette obscurité, ne recevant du monde musical qu’une ombre projetée, aussi fidèle que la résolution de notre matériel d’écoute le permet.
Il y a en ce moment un risque réel pour la musique et en premier lieu pour la musique vocale a capella, dont l’expérience est étroitement liée à la définition des timbres, dans un espace en trois dimensions. Dans cette étroitesse imposée par le disque, Léo Warynski et ses chanteurs arrivent néanmoins à nous faire parvenir un peu de lumière, par la force de leurs voix assemblées. Dans cet effort, ils sont bien aidés par l’acoustique parfaite de l’abbaye de Royaumont où ils sont en résidence.
Le répertoire
La lumière de The Angels est un assemblage dont la musique de Jonathan Harvey, compositeur contemporain anglais, est le fil rouge. L’esthétique est fascinante, alliant le chant grégorien simple et hypnotique au kaléidoscope des harmonies modernes. Il résulte de ce mélange une musique d’une grande majesté, qu’on écoute comme on regarde un vitrail dans une église : à chaque pas, on y découvre une lumière nouvelle. L’oreille y fonctionne comme la rétine en éclairant chaque accord de l’impression persistante de celui qui précède. On sort de l’écoute de ce disque avec une sensation curieuse, une sorte de doux éblouissement dont il faut quelques minutes pour se remettre. À la voix des anges, la musique contemporaine vient prêter un peu de son mystère, et on resterait bien en leur compagnie quelques minutes de plus. On sort de l’écoute de ce disque avec une sensation curieuse, une sorte de doux éblouissement dont il faut quelques minutes pour se remettre.
C’est pour qui ?
Si vous découvrez Les Métaboles, nous vous conseillerons plutôt de commencer avec leur deux dernières parutions, le Jardin Féérique et Une Nuit américaine, plus accessibles et tous les deux très réussis. Car The Angels s’adresse aux passionnés de musique vocale en premier lieu. Aux nostalgique de ces moments magiques où le son arrive de partout, enveloppant le corps entier dans un mystère acoustique, dont seules les églises ont le secret.
À ceux-là, The Angels apporte une évocation, un souvenir lointain gravé à plat sur un disque. Dans ces conditions, il faut aussi avoir l’habitude du langage contemporain, sans quoi on ne profitera pas autant de l’expérience. Pour les oreilles moins habituées à cette esthétique, quelques pièces baroques (Purcell, Palestrina) ramènent en terre familière.
Une ponctuation bienvenue pour laquelle l’acoustique de l’abbaye de Royaumont semble faite sur mesure, notamment dans ce surprenant Stabat Mater de Palestrina en double chœur. Dans cette disposition, il nous manque néanmoins les trois dimensions de la mise en espace, indispensable pour profiter de l’effet sonore. On attend vivement le concert…
Pourquoi on aime ?
- Pour l’ensemble du travail des Métaboles, dont au moins les trois derniers disques sont vraiment magnifiques !
- Pour la qualité vocale des interprétations, qui rendent à la musique a capella les trois dimensions qui manquent parfois au format disque.
- Pour le répertoire qui alterne avec intelligence les répertoires ancien et moderne pour une expérience quasi-mystique…
The Angels ou les Métaboles dans toute leur pureté.
À l’heure où les salles de concert restent privées de public en raison de la crise sanitaire, la parution de l’album The angels enregistré par Les Métaboles lors d’un concert pendant le festival de Royaumont en septembre 2019 conjugue l’excellence de l’interprétation à ce que d’aucuns appelleraient le syndrome de la madeleine. On retrouve dans ce disque la pureté de la ligne et le cisèlement des choeurs des Métaboles, sous la direction de Léo Warynski, dans un programme qui fait dialoguer les époques, la polyphonie de la Renaissance et du baroque avec celle de la musique contemporaine, mise en miroir qui compte parmi les marques de fabrique de l’ensemble français et de son directeur musical.
Ici, c’est le corpus de Jonathan Harvey, nourri par la pratique chorale, véritable institution outre-Manche, qui est mis en regard avec quelques grands maîtres du passé – Byrd, Purcell et Palestrina. De Harvey, on retiendra la décantation et la beauté des modulations de I love the Lord, les halos évocateurs de Come, Holy Ghost, la synthèse magistrale entre le sens du verbe et de l’effet dans The annunciation ou encore le remarquable et éponyme
The angels, initié sur des sons bouche fermée avant de se déployer dans un diaphane double choeur. Un témoignage fascinant d’une maîtrise d’un des meilleurs ensembles français d’aujourd’hui, récompensé l’an dernier par le Syndicat de la critique, et que l’on espère retrouver en salles dès que les restrictions seront levées.
... un art de la résonnance profonde, offrant un dialogue fusionnel entre passé et présent
Le chœur Les Métaboles se prête souvent, sous la direction de Léo Warynski, au jeu des croisements historiques entre les œuvres du répertoire et la musique contemporaine. C’est de nouveau le cas dans ce très beau disque, The Angels, qui confronte des œuvres chorales de William Byrd, Henry Purcell et Giovanni Pierluigi da Palestrina avec des compositions de Jonathan Harvey.
Qu’est-ce qui rend les associations entre les musiques des XVIe et XVIIe siècles et celles de notre temps si naturelles et si fructueuses ? Certes, les harmonies mouvantes et la liberté formelle déployées entre Renaissance et baroque, à la conquête d’un figuralisme maniéré et de dissonances expressives, rejoignent certaines recherches d’aujourd’hui. L’écriture chorale et la vocalité, quelles que soient l’époque et les grammaires adoptées, se chargent inévitablement d’une même humanité touchante aux oreilles des auditeurs. Enfin surtout, le sacré est intemporel par nature, et le choix d’œuvres du passé – Ave verum corpus de Byrd, Remember not, Lord, our offences de Purcell et Stabat mater de Palestrina – ne peut qu’entrer en résonance avec la profonde quête de spiritualité de Jonathan Harvey (1939-2012), avec laquelle il a renoué durant les années soixante-dix.
Après une enfance bercée par les polyphonies anglicanes de la Renaissance, le jeune homme s’était en effet un temps éloigné de la religion, prônant un athéisme rationaliste nourri de science et de philosophie. La rencontre avec Karlheinz Stockhausen, la lecture assidue de Rudolf Steiner, l’initiation au bouddhisme tibétain et à la méditation védique, associées à la redécouverte attentive des textes bibliques, lui font franchir ce nouveau cap, influençant grandement ses compositions à venir. Ainsi, le catalogue d’Harvey comporte de nombreuses œuvres chorales sacrées, centrées sur la quintessence vocale du chant a capella, alors qu’il use dans de nombreuses autres compositions des technologies informatiques les plus avancées. Certaines de ces pièces sont destinées au chœur de la cathédrale de Winchester, où chante son fils.
L’écriture des six œuvres sélectionnées dans cet album s’étale entre 1976 et 2012. Souvent simples d’apparence et entièrement au service du texte, comme la psalmodie initiale qui ouvre I Love the Lord, elles sont toutes d’une grande finesse d’écriture et témoignent d’une parfaite maîtrise des timbres et des équilibres, certainement due en partie à la pratique électroacoustique du compositeur. Ainsi, le début de Come, Holy Ghost, très proche du chant grégorien monodique, se peuple rapidement de bourdons résonants, évoquant des sonorités de cloches, puis se développe en une fascinante architecture polyphonique à double chœur. C’est également le cas des Plainsongs for Peace and Light pour seize voix solistes, probablement sa dernière œuvre achevée au seuil de la mort. The Angels, qui donne son titre à ce disque – enregistré le 7 septembre 2019 par Radio France lors d’un concert à l’Abbaye de Royaumont – le clôture avec des harmonies subtiles et mystérieuses, dans un doux balancement, reposant sur un double chœur. C’est d’un même élan expressif que Les Métaboles interprètent l’ensemble du programme, avec une clarté cristalline et un art de la résonance profonde, offrant un dialogue fusionnel entre passé et présent.
Les Métaboles dialoguent avec les anges
Les Métaboles dialoguent avec les anges
Le Chœur de chambre Les Métaboles dirigé par Léo Warynski donne un concert sans public, enregistré et retransmis en direct sur la plateforme RecitHall dans la sublime salle du réfectoire des moines de l’Abbaye de Royaumont. Le programme est consacré aux grands maitres de la musique vocale a cappella.
The Angels est un programme dédié à la grande tradition chorale anglaise. Cette pratique pluri-séculaire se perpétue au Royaume-Uni depuis le Haut Moyen-Age jusqu’à nos jours par le biais de grandes institutions religieuses et scolastiques qui font la part belle au chant choral et à ses illustres fondateurs, notamment Byrd et Purcell. Britten et Harvey sont non seulement les héritiers de cette tradition ancienne mais ils revendiquent cette filiation par leur écriture. L’ordre du programme n’est de ce fait pas chronologique mais plutôt conçu pour mettre en lumière les correspondances entre ces compositeurs que des siècles séparent. Par exemple John Harvey compose The Annunciation en reprenant l’introduction du Stabat Mater de Palestrina ou encore façonne son Remember, O Lord dans la même argile que celle que Purcell utilisait quatre siècles plus tôt dans son Remember not, Lord, our offenses.
Toutes les pièces du programme portent une attention particulière au texte sacré et à l’intelligibilité liturgique. Elles procèdent toutes d’un caractère contemplatif dû à leurs tempi plutôt lents parfaitement adapté à l’acoustique du lieu et qui donne à l’ensemble un caractère hypnotique.
À l’origine, Léo Warynski a créé son ensemble Les Métaboles en 2010 pour défendre le répertoire a cappella des XXe et XXIe siècles. Ce programme concentre donc une grande partie de leur répertoire de prédilection et met de ce fait en valeur les qualités principales de cet ensemble : équilibre soigné entre les pupitres, homogénéité des timbres, écoute très fine des chanteurs entre eux, grande technicité vocale permettant une justesse irréprochable et des nuances extrêmes. Par exemple dans l’Ave Verum de Byrd chanté à quatre, les pianissimi de plus en plus imperceptibles sur les mots "O dulcis" sont saisissants. Ou encore la justesse impeccable dans le Come Holy Ghost de Harvey permet d’entendre les strates harmoniques complexes et d’aboutir subitement à des unissons parfaits.
La maitrise des chanteurs de l’ensemble est telle que chaque début de pièce est pris au diapason individuellement sans la moindre émission extérieure de son avec une grande assurance. Chacun des choristes est également apte à assumer des soli. Les suraigus des sopranos exempts de vibrato sonnent très cristallins dans les nuances piano, et parviennent de manière délibérée à un son saturé en harmoniques aigus dans les fortissimi. Les ténors, pour aller dans le sens de l’esthétique prisée par le chef, passent systématiquement en voix mixte dans l’aigu, évitant ainsi soigneusement tout effet opératique. Pour soutenir la richesse harmonique, l’ensemble est pourvu d’un pupitre de basse remarquablement sonore et au focus impressionnant.
Léo Warynski est un chef extrêmement attentif à ses chanteurs : regard soutenu, prononciation en simultané des paroles, gestique souple et invitante. Sa démarche esthétique semble favoriser une grande précision d’émission et de justesse accentuée par une absence quasi-totale de vibrato et un son particulièrement lisse et homogène. Cette exigence aboutit parfois à un manque de théâtralité et d’accentuation, notamment dans le Stabat Mater de Palestrina où la douleur de la Vierge semble très contenue.
Ce concert, à l’heure où tant d’ensembles vocaux sont contraints au silence, relève presque de l’exploit. Organisé dans un grand respect des règles sanitaires (tous les chanteurs soigneusement espacés et préalablement testés), cet évènement revêt du même coup un caractère aussi exceptionnel que précieux.
Éblouissant
Il existe des moments de musique miraculeux que la "mise en boîte" n'étouffe pas. Saisis dans l'air du réfectoire des moines de l'abbaye de Royaumont, les anges au programme chantent a cappella les XVIe et XVIIe de Palestrina, Byrd et Purcell, et les XXe et XXIe de Jonathan Harvey. La ferveur spirituelle est la même, comme la pâte de verre du vitrail sonore ; sans doute s'irise-t-elle d'harmonies plus inouïes encore dans les œuvres de l'anglais notre contemporain, mais ce ne sont que des degrés dans l'éclat, éblouissant. Le livret témoigne de l'enchantement : "Ce disque est la mémoire de ce moment d'uneremarquable densité. On dit parfois qu'elle enjolive le passé. Ici, elle a plutôt comme vertu de la conserver"
... un charme, une chaleur, un tact, bref une humaine intelligence qui atteint sa cible en plein mille
Léo Warynski et les Métaboles nous gâtent ! Tandis que vient de paraître un magnifique enregistrement intitulé « The Angels » (NomadMusic) – une réussite sur laquelle nous reviendrons bientôt –, le chef et ses chanteurs étaient à la salle Cortot au début du mois pour un programme Liebeslieder Walzer dont la création a eu lieu dans le cadre du Festival de Royaumont, le 20 septembre dernier. Pour ceux qui l’avaient manqué, comme ceux qui l’ont déjà savouré, le bonheur était grand de le retrouver dans le cadre d’un concert diffusé en direct sur la plateforme Recithall.
L’intitulé pourrait faire accroire que Les Métaboles donnent l’intégrale des Liebeslieder Walzer (Op. 52 & 65) de Brahms ; il n’en est rien. Léo Warynski s’est limité à l’Opus 52 et s’en est servi comme point de départ à la construction d’un programme ouvrant sur des aspects bien plus rares de la production chorale de Brahms – sûrement l’un des pans les moins connus de l’œuvre du musicien allemand. Et de choisir deux des treize Canons op. 113 (les nos 7 et 13), les Quartette op. 112a, les Gesänge op. 42 ou encore les Quartette op. 31 pour précéder le cahier op. 52.
Inspiré par le thème de Der Leiermann, dernière pièce du Winterreise schubertien, le Canon op. 113 n° 13 sur un poème de Rückert « Einförmig ist der Liebe Gram » (le chagrin d’amour est monotone) introduit de façon mystérieuse et prenante l’auditeur dans un labyrinthe qui se prolongera jusqu’aux Liebeslieder Walzer, placés en conclusion. De part en part, l’oreille est séduite par la qualité de la réalisation, tant en ce qui concerne l’intonation que la souplesse de la phrase, l’équilibre entre les lignes et le relief apporté au texte musical. On n’est pas moins admiratif du sens de la caractérisation avec lequel chaque pièce est explorée, qu’il s’agisse de compositions de jeunesse, pleines de charme, tel l’Opus 31, ou de réalisations tardives, et, bien évidemment, dans la première série des Liebeslieder Walzer que Warynski et ses chanteurs abordent avec un charme, une chaleur, un tact, bref une humaine intelligence qui atteint sa cible en plein mille.
À cette justesse du propos, la présence pour l’accompagnement des chanteurs d’un piano Streicher de 1847 (prêté par La Nouvelle Athènes), que se partagent Yoan Héreau et Benjamin d’Anfray, apporte beaucoup par la dimension intimiste de la sonorité – parfaitement en situation dans la merveilleuse acoustique de Cortot. Un instrument qui, à quatre mains, permet deux très opportunes parenthèses pianistiques avec les Danses hongroises nos 1 et 2 et quelques valses tirées de l’Opus 39.
Espérons que la reprise de Liebeslieder Walzer, prévue au Floréal musical d’Epinal le 21 mai, pourra se dérouler devant un public nombreux. Pour l’heure, il faut encore compter sur le streaming : c’est par ce biais que Léo Warynski et Les Métaboles donneront le 25 mars le concert de sortie du disque « The Angels », en direct de l'abbaye de Royaumont où ils sont en résidence.
La musique vocale de Brahms, sous la direction attentive de Léo Warynski, parle au cœur autant qu’à l’esprit.
Ce nouveau programme de l’Ensemble vocal Les Métaboles dirigé par Léo Warynski, entièrement consacré à Johannes Brahms, présenté en avant-première en septembre dernier en l’Abbaye de Royaumont (lieu privilégié de résidence de ces musiciens et chanteurs) revient, Salle Cortot et en streaming :
Avec les Liebeslieder Walzer de Johannes Brahms, Léo Warynski ouvre une nouvelle page plus romantique au sein de la programmation déjà riche de son ensemble vocal Les Métaboles. Il a souhaité pour ce faire mettre en valeur un piano à queue de Johann Baptist Streicher datant de 1847, aimablement prêté par La Nouvelle Athènes, Centre des Pianos Romantiques. Cette marque de piano était la préférée du compositeur, qui a beaucoup écrit et joué sur cet instrument durant sa période de maturité artistique, ceci jusqu’à sa disparition en 1897. Sur ce projet, Léo Warynski a collaboré avec deux pianistes spécialistes de l’interprétation sur piano d’époque, Yoan Héreau et Edoardo Torbianelli, ce dernier malheureusement retenu en Italie du fait des contraintes sanitaires est remplacé par le jeune et talentueux chef de chant Benjamin d’Anfray actuellement en résidence au sein de l’Académie nationale de l’Opéra de Paris. L’entente artistique des deux pianistes, qui jouent donc à quatre mains, apparaît idéale et particulièrement flagrante. Sur cet instrument qui résonne de façon toute particulière au sein de la petite Salle Cortot, conçue toute en bois, loin du flamboiement des pianos de concert modernes, les Liebeslieder Walzer pour 8 solistes vocaux, se parent d’une authenticité basée sur l’émotion première et sur la saveur de l’essentiel. Les voix se mêlent et se démêlent dans un camaïeu de couleurs et de timbres, ce dans une intimité propice et presque bienveillante. La musique vocale de Brahms, sous la direction attentive de Léo Warynski, parle au cœur autant qu’à l’esprit.
En première partie de soirée, l’émotion déjà démontre sa présence avec deux canons de l’opus 113 (7 et 13) durant lesquels les solistes vocaux font preuve d’une maîtrise complète et d’une qualité d’ensemble de premier plan, aspects significatifs renforcés par l’interprétation a cappella du Weltliche Gesänge (chants profanes) opus 42. Les Danses hongroises 1 et 2 pour piano à quatre mains et plusieurs courtes Valses de Brahms tirées de l’opus 39 complètent une soirée de qualité qu’il est possible de retrouver, soit sur la plateforme en ligne Recithall ou au Floréal Musical d’Épinal le 21 mai prochain.
Intelligibilité du texte, clarté de l’émission, luminosité des voix, souci du détail, attention aux sens des mots chantés...
En quelques années, Les Métaboles, sous la houlette de leur chef Léo Warynski, sont devenus un ensemble incontournable dans le chant choral français. Outre l’extrême qualité de leurs interprétations, c’est également l’originalité de leurs programmes qui les signale régulièrement à l’attention du mélomane. Des programmes qui n’ont de cesse de faire dialoguer les époques et les esthétiques, comme dans ce nouveau CD intitulé The Angels (du nom de la pièce de Jonathan Harvey par laquelle se clôt l’enregistrement), où des pages des seizième et dix-septième siècles anglais et italien (Byrd, Palestrina, Purcell) côtoient des œuvres du compositeur anglais, l’une des grandes figures de la musique contemporaine britannique, dont l’œuvre est souvent empreinte de spiritualité et de mysticisme.
Comme dans les albums précédents de l’ensemble, on est impressionné par le raffinement mais aussi la rigueur et la précision des choristes. Le plus étonnant réside sans doute dans le fait que les chanteurs réunis conservent leurs qualités propres et leur individualité (pas seulement lorsqu’ils sont amenés à intervenir seuls, comme dans The Annunciation), sans pour autant que l’homogénéité de l’ensemble soit remise en cause. Intelligibilité du texte, clarté de l’émission, luminosité des voix, souci du détail, attention aux sens des mots chantés (ineffable douceur du « O dulcis, O pie, O Jesu » de l’Ave verum corpus de Byrd, fougueux « Then called upon the name of the Lord » du I love the Lord de Harvey), subtil équilibre entre densité et légèreté, dépouillement et intensité sont autant de qualités préservant fort heureusement la spiritualité qui émanait du concert donné par Les Métaboles le 7 septembre 2019 à l’Abbaye de Royaumont, avec un programme très proche (les pièces étaient interprétées dans un ordre différent et une œuvre de Jack Sheen, Fitzgerald pirouette, avait été créée à l’occasion). On pouvait craindre que, privé du cadre sobre et hiératique du grand réfectoire de l’abbaye, la musique perde de sa puissance spirituelle : il n’en est rien.
« Ce sont des intelligences aussi vieilles que le lever du soleil, qui n’ont jamais appris à distinguer la droite de la gauche, l’avant de l’après, ne connaissant qu’une seule direction vers Dieu ; qu’un seul moment, maintenant ».
Ces paroles, extraites de la pièce The Angels, offrent comme une mise en abyme de l’art des Métaboles tel qu’il se fait entendre dans cet album : un chant ardent dont la ferveur abolit les frontières spatiales et temporelles pour unir dans une même ferveur compositeurs du passé et du présent, et dont chaque accent témoigne d’une intense ferveur spirituelle.
... la pureté de la couleur chorale et la précision du chant
Six mois avec un premier concert à Royaumont en fin septembre 2020, où la relative accalmie de la pandémie avait autorisé le public, c’est à huis clos, salle Cortot, et avec une diffusion sur RécitHall, que l’ensemble Les Métaboles redonne, en ce vendredi 5 mars 2020, le programme articulé autour des Liebeslieder Walzer de Brahms, qui, par ailleurs, met en valeur un piano d’époque, confié aux doigts de Yoan Héreau et Benjamin d’Anfray, ce dernier remplaçant Edoardo Torbianelli, retenu par les restrictions imposés aux déplacements internationaux en ces temps de crise sanitaire et politique.
La soirée s’ouvre sur deux Canons de l’opus 113, n°s 7 et 13, reprenant deux lieder du Winterreise de Schubert. Si le rubato de l’écriture romantique est moins familier aux solistes des Métaboles, experts dans le répertoire contemporain, la pureté de la couleur chorale et la précision du chant sert la lisibilité de la polyphonie comme celle du texte et d’émotions distillées avec une belle pudeur. On retrouve cette retenue dans les deux Quartette op. 112a et les trois Quartette op. 31, dans lesquels le dessin vocal esquisse de délicates aquarelles, équilibrées avec soin. Les Weltliche Gesänge op. 42 confirment ce cisèlement du matériau, dans une évidente alchimie entre le verbe et la texture chorale éclairant la musicalité de la langue allemande.
Ce corpus est tressé de deux séquences purement instrumentales, à quatre mains, qui mettent en avant la clarté de la sonorité et de l’articulation harmonique de l’instrument, en parfaite symbiose avec l’esthétique défendue par Léo Warynski et son ensemble Les Métaboles. Les deux premières Danses hongroises WoO1, dans leur version princeps pour clavier, distillent un balancement galbant d’élégance la source populaire et folklorique, qui s’affirme également dans les cinq numéros puisés dans le recueil de Walzer op.39 (les n°s 1, 4, 5, 15 et 16).
Ce sens de la carrure et de l’expression est magnifié dans le cycle des Liebeslieder Walzer op. 52, qui, dans la déclinaison d’une remarquable variété de configurations aux confins d’un mini-théâtre intime, offre à la plupart des solistes une tribune à sa singularité vocale, sans que ce camaïeu n’altère l’unité de l’ensemble. Le recueil se parcourt ainsi comme un album de miniatures – en un héritage que d’aucuns pourraient dire schumannien. A la fois attentifs aux détails comme à la dynamique et à l’architecture de ce voyage musical, les interprètes livrent une lecture sensible de ces Liebeslieder Walzer refermant une soirée brahmsienne intime qui pourra peut-être rencontrer à nouveau un public autre que derrière un écran, à Epinal, si les restrictions sont levées le 21 mai prochain.
Le nouvel album des Métaboles allie sensualité et spiritualité
Le chef d'orchestre Léo Warynski tutoie les anges
Témoignage d’un concert à Royaumont, le nouvel album des Métaboles sous la direction de Léo Warynski allie sensualité et spiritualité. Ou comment, lorsqu’elles excellent, les voix s’approchent tout près des sphères célestes.
Salués pour leur très haut niveau, les Métaboles, fondées en 2010, se promènent avec aisance dans un vaste jardin musical, de la Renaissance à nos jours
5 étoiles - la perfection d'intonation des Métaboles sous la direction ciselée de Léo Warynski.
Enregistré dans les murs du réfectoire des moines à l'abbaye de Royaumont, le programme entièrement a cappella panache périodes anciennes et contemporaines. L'Ave Verum de William Byrd témoigne d'emblée de la perfection d'intonation des Métaboles sous la direction ciselée de Léo Warynski. Un espace s'y déploie, du quatuor de soliste liminaire, depuis la chaire, à l'effectif complet. Celui-ci de voit agencé en double chœur pour le sublime Stabat Mater de Palestrina, pris à un tempo relativement rapide. En découle un jaillissement choral d'une grande fluidité que la qualité d'exécution prémunit de toute précipitation, notamment lors des monnayages en brèves valeurs rythmiques.
On retrouve cette urgence dans le Remember Not de Purcell, dont l'intensité agit comme un geste déprécatoire. Lui fait écho le Remember de Jonathan Harvey, à qui l'album rend un bel hommage neuf ans après sa disparition. Compositeur de musique électronique le plus important de Grande-Bretagne, ce fervent catholique n'en cultiva pas moins assidûment le répertoire choral. Le style rappelle celui de ses compatriotes Britten ou Tipett. De Come Holy Ghost, fondé sur le Veni Creator grégorien, au très modal Remember, O Lord, en passant par The Angels, où une partie du chœur vocalise autour de quelques accord pentatoniques en clusters, l'accomplissement spirituel des Métaboles irradie telle une douce lumière blanche. Seul regret : la brièveté du minutage.
la science des équilibres des Métaboles, et leur constant souci de l'écoute
Moments classiques / ma selection par Thierry Hillériteau
Cette fois, c'est un programme puisé 100% aux sources de l'île d'Albion que nous propose son chef Léo Warynski. Et à défaut de jeter des ponts par-delà les frontières entre les nations, c'est à travers les siècles qu'il tisse cette fois son jeu de correspondances musicales. Avec comme principal point d'ancrage le compositeur contemporain Jonathan Harvey, dont l'onirique The Angels, aux harmonies serrées et douces comme du coton, donne son titre au disque qu'il referme. Une pièce a cappella, comme l'ensemble des opus présents sur le disque, qui reflètent à la fois la science des équilibres des Métaboles, et leur constant souci de l'écoute (d'où ils tirent cette justesse exemplaire d'un bout à l'autre).
L’excellence chorale est manifeste
Avec une belle constance, les Métaboles ont signé plusieurs enregistrements que l’on peut qualifier de singuliers. Le premier (2014), intitulé « Mysterious Nativity » révélait les richesses du répertoire russe depuis un siècle, puis vinrent la « Nuit américaine » (2016), et l’extraordinaire « Jardin féérique » (2020) qui avaient imposé l’ensemble parmi les références chorales de notre temps. Ils signent aujourd’hui « The Angels », titre emprunté à l’une des pièces de Jonathan Harvey, sur lequel est centré le CD. Léo Warynski nous a accoutumés au croisement des styles et des époques au travers de ses albums. Il poursuit sa quête en associant au compositeur britannique trois grands noms de la polyphonie sacrée (Palestrina, Byrd et Purcell). Le programme est conçu avec habileté, ménageant les juxtapositions, les continuités comme les mutations. Ce disque demeure le témoin d'un concert donné à Royaumont en septembre 2019.
Les deux-tiers de l’enregistrement sont réservés à Jonathan Harvey. Celui-ci fit irruption en 1980 avec son fascinant Mortuos plango, vivos voco, créé à l’IRCAM, oeuvre pour sons concrets traités par ordinateur, dont chacun se souvient par l’exploitation des harmoniques d’une cloche monumentale. Disparu en 2012, il s’est imposé comme une figure majeure de la musique britannique, laissant une œuvre variée dont le signe distinctif est la quête de spiritualité. Sa musique chorale a connu un succès équivalent à celui d’Arvo Pärt, particulièrement au Royaume-Uni, où tous les ensembles et chœurs réputés ont enregistré les œuvres que nous écoutons ici. Aedes, le chœur de Mathieu Romano, avait déjà abordé le répertoire de Jonathan Harvey. Evidemment son langage s’est approprié nombre de techniques contemporaines, proprement vocales ou influencées par l’électroacoustique. Les polyphonies font appel à des formations variées, de l’unisson du plain-chant, du quatre ou cinq voix mixtes, du double chœur, avec des pièces qui font de chacun des seize chanteurs un authentique soliste.
Dans ce répertoire, la preuve est faite qu'un chœur français peut se hisser au niveau des meilleures institutions britanniques. S’il force l’admiration, le résultat n’emporte pas forcément l’adhésion. D’essence immatérielle, désincarnée, cette musique d’inspiration religieuse, par la pureté de sa nature, remplira d’aise les chercheurs de spiritualité. On se prend à évoquer Arvo Pärt et ses disciples planants, souvent orientalisants, qui ont le pouvoir de conférer une certaine sérénité, quittes à devenir ennuyeux – faute de propositions – au bout d’un certain temps.
Le récital s’ouvre sur l’Ave verum corpus de Byrd, populaire ici comme outre-Manche. Tout est d’une beauté lisse, d’une fusion idéale des voix, d’où les contrastes semblent amoindris, voire gommés. Ainsi, le Remember not, Lord , de Purcell, privé de sa basse continue, apparaît-il plus dépouillé que jamais. Le déroulé est émouvant, les modelés de la supplique centrale (Neither take your vengeance) parfaitement rendus, bien que retenus. Quant au Stabat mater de Palestrina, étonnamment puissant, projeté, avec des soli admirables, on regrette seulement que les oppositions des deux chœurs ne soient pas davantage soulignées. L'écriture appelle autant l’union des voix que l’opposition des groupes, point n’est besoin de rappeler l’histoire de la polychoralité.
Les Métaboles n’ont plus à démontrer leurs qualités : équilibre, plénitude, précision et clarté d’émission. L’excellence chorale est manifeste. Pour autant, cette musique séraphique manque de battements d’ailes, propres à donner corps à une expression musicale moins désincarnée. L’enregistrement s’adresse davantage aux passionnés d’une polyphonie a cappella, comme aux néophytes en quête spirituelle, qu'aux mélomanes qui attendent du discours musical expression renouvelée et dynamique.
Petit regret : le temps est suspendu, mais le disque est avare. Certes l’écoute exige une attention de tous les instants et l’on peut comprendre que Léo Warynski ait veillé à éviter une forme de saturation de l’auditeur, mais le support n’autorisait-il pas d’aller au-delà de quarante-cinq minutes ?
La qualité transcendante du concert de l’Ensemble intercontemporain et du chœur des Métaboles
Mais on retiendra avant tout la qualité transcendante du concert de l'Ensemble intercontemporain et du chœur Les Métaboles dirigés par Léo Warynski. La fluidité et les dégradés de nuances dont il fait preuve dans le très subtil Cummings ist der Dichter confirment un chef de premier ordre. Et comme Boulez préférait la création au musée, justice est rendue à la nouveauté, avec l'éloquent Rite de la nuit noire de François Meïmoun, et surtout le chef-d'œuvre incontestable qu'est le Requiem de Francesco Filidei
Léo Warynski a apporté une nouvelle preuve de son talent et de son éclectisme
LÉO WARYNSKI DIRIGE LES MÉTABOLES ET L’EIC À LA CITÉ DE LA MUSIQUE (STREAMING) – LE CHOC FILIDEI
Presque un an après un superbe disque « Jardin féerique » à la tête de son chœur Les Métaboles, quelques semaines après avoir dirigé avec succès Akhnaten de Philip Glass avec les forces de l’Opéra de Nice, Léo Warynski a apporté une nouvelle preuve de son talent et de son éclectisme à la Cité de la musique lors d’un concert Boulez, Palestrina, Filedei et Meïmoun (avec Les Métaboles et l’Ensemble Intercontemporain) inscrit dans le cadre de la Biennale Boulez. Un rendez-vous sans public diffusé en streaming, auquel la presse pouvait assister avec toutes les précautions d’usage.
Aussi remarquable chef de chœur que d’orchestre, Léo Warynski ouvre le programme par Cummings ist der Dichter de Boulez (une pièce sur un texte de e. e. Cummings élaborée en 1970 et révisée en 1986) : on ne peut qu’être admiratif de la précision avec laquelle il explore l’ouvrage ; précision jamais sèche ni excessivement tranchante qui sait restituer toute la vie intérieure de la partition.
Saut dans un passé lointain ensuite avec le Stabat Mater pour double chœur de Palestrina que le chef et ses choristes abordent avec autant de fluidité que d’équilibre. La présence du compositeur de la Renaissance finissante dans ce contexte peut a priori étonner ; elle se comprend mieux en fonction de l’ouvrage qui lui succède, de l’Italien Francesco Filidei (né en 1973), un compositeur admiratif de la « perfection quasi magique » des œuvres de l'ancien maître de chapelle de Saint-Pierre de Rome.
Son Requiem pour 16 voix et ensemble instrumental (en première française, la création mondiale a été donnée à la Casa da Música de Porto le 20 octobre 2020, sous la direction de Peter Rundel) obéit à la structure classique (Introït, Kyrie, Dies irae, Agnus Dei). «Un fantôme qu’il faut habiter de l’intérieur », dit F. Filidei de sa rencontre avec la forme requiem – forme « morte » à ses yeux –, maintes fois illustrée dans l’histoire de la musique. Quelle rencontre !, et quel choc pour l’auditeur que cette partition d'un seul tenant, d’une densité rare qui, dès les premières notes vous happe, telle une berceuse infernale, et vous tient en haleine une demi-heure durant, jusqu’au libérateur Agnus Dei conclusif, par la nécessité de son propos, la variété de ses textures – et une théâtralité fièrement revendiquée ! Forme morte que le requiem ? En ce début de XXIe siècle, Filidei ajoute en tout cas un authentique chef-d’œuvre à une liste déjà longue.
Conclusion purement orchestrale, Le Rite de la nuit noire. Voyage d’Artaud au Mexique pour seize instrumentistes (en création) de François Meïmoun (né en 1979) s’inspire du « rite du soleil » chez les indiens tarahumas. «J’ai voulu composer et mettre en scène une musique droguée », confie le jeune compositeur au sujet d’une pièce, fermement conduite par L. Warynski, qui capte certes l’attention durant ses premières minutes mais se prend trop à son jeu, paraissant bientôt longuette tant par sa répétitivité que son excessive compacité.
Honneur à Boulez à la Philharmonie par les Métaboles et l’Intercontemporain
On comprend que Pierre Boulez (1925-2016) ait été séduit par la poésie d’E. E. Cummings (1894-1962), centrée sur la grammaire et radicale dans son exploitation des pouvoirs insoupçonnés de l’écriture, tout comme de ceux de la typographie et de la disposition du texte sur la page. Qu’il le considère ainsi comme « Le » poète (« der Dichter ») et qu’il ait voulu donner à entendre ce qui joue sur les effets de sens les plus imperceptibles, en déplaçant, masquant, défigurant les signes linguistiques et les marques de ponctuation. Elle-même jubilatoire, foisonnante et vibrionnante, Cummings ist der Dichter (1970), superpose les longues tenues vocales et une activité orchestrale fébrile et plus discontinue. Résultat : la fusion heureuse d’une nappe sonore suspendue à sa lente transformation et le surgissement d’événements brefs qui viennent la bousculer. La pièce de Boulez est ainsi perçue, à l’égal du poème de Cummings, comme ce qui arrive. Visiblement heureux de la diriger, Léo Warynski, tel un prédicant, se tourne à la fin en brandissant la partition. Stabat Boulez !
« Cummings » est le titre de cette célébration musicale, sans doute pour insister sur la place éminente que le Verbe y occupe. Composé sur un texte médiéval relatant la souffrance de Marie éplorée devant son fils crucifié, le Stabat Mater (c. 1590) de Palestrina pour huit voix est écrit dans le style antiphoné, seize chanteurs étant séparés en deux chœurs. D’emblée, l’auditeur est porté par ce qui fleure bon le chant grégorien et touche au sublime avec une sorte de détachement, mais sans froideur. Et c’est avec une impression de naturel que les Métaboles portent ce très beau moment flottant où impersonnel rime avec intemporel.
La magie que dégage une perfection atteinte, c’est ce que relève Francesco Filidei (né en 1973) au sujet de Palestrina, qu’il cite d’ailleurs dans son opéra Giordano Bruno (2016). Les polyphonies de la Renaissance sont encore là dans son Requiem (2020), commande de l’Ensemble Intercontemporain, des Métaboles et de la Casa da Musica de Porto, donné aujourd’hui en création française. Y alternent, dans une dynamique dramatique, des plages méditatives et des épisodes précipités d’une « théâtralité opératique », comme l’indique lui-même le compositeur. Ainsi le rhombe commence-t-il par nous faire entrer dans la danse du temps, manifestant le présent dans sa permanence et l’inscrivant dans un temps immémorial dans lequel lentement sont gravées par des chanteurs hiératiques (16 en tout) les premières syllabes du requiem. Un climat est posé. C’est magnifique. Les instruments (17 en tout) font progressivement leur entrée, tout d’abord les cordes frétillant dans des tremolos pianissimos, avant que l’orchestre ne gonfle dans un crescendo qui finit par s’éteindre abruptement, comme souvent chez Filidei. Introït, Kyrie, Dies Irae, Agnus Dei : le canon liturgique est respecté à la lettre ; à la musique, et seulement elle, de réinventer un genre ancien et figé. Si la présence lointaine de Ligeti peut se faire entendre dans le Kyrie, le Dies Irae, beaucoup plus charnel, plus fort, plus rythmé, se place sous le signe de Verdi. La tension retombe dans la lente respiration du chant qui s’élève et décline dans une fin apaisée. Le souffle léger du rhombe referme la boucle. Nul doute que le Requiem de Filidei fera date !
Pour finir, une pièce purement instrumentale, commandée par l’Ensemble Intercontemporain et donnée en création mondiale. Le Rite de la nuit noire / Voyage d’Artaud au Mexique (2020) de François Meïmoun (né en 1979) se présente comme une œuvre d’un seul geste lancé sur un pied de guerre dans le registre grave, le beau chaos d’une écriture très serrée et sans aucune relâche. Le compositeur a voulu transcrire l’effet du peyotl sur la musique, qui semble effectivement hallucinée. Du peyotl, petit cactus poussant au Mexique, les indiens Tarahumaras tirent une drogue qu’ils utilisent lors d’un rite de transe. En 1936, Artaud assista à l’un d’eux. Un thème se déploie à plusieurs vitesses, porté par les bois et les cuivres, tandis que les deux timbaliers s’en donnent à cœur joie et que le piano tente d’exister dans sa solitude de soliste. Tout est joué forte et presto. Presque une épreuve pour l’auditeur. Un œuvre réussie pour conclure ce programme, marqué par un engagement total.
... la combinaison de clarté dynamique et d'agile énergie qui caractérise Léo Warynski
Naissance et Re-Naissance, passionnées et passionnantes, sont au programme de ce concert capté dans la Cité de la Musique-Philharmonie de Paris. La musique de Pierre Boulez continue ainsi de renaître cinq ans après sa mort, la musique continue de naître avec le fascinant Requiem de Francesco Filidei (né en 1973 et qui avait notamment marqué le monde lyrique par son opéra L'Inondation), d'autant que cette renaissance résonne avec le Stabat Mater de Palestrina (compositeur de la Renaissance musicale : au XVIe siècle à Rome). La musique continue ainsi de renaître même en temps de confinement, captée et à huis clos mais grâce à l'immense travail continu de l’Ensemble intercontemporain, de l'Ensemble vocal Les Métaboles et de Léo Warynski. Le chef rappelle même, avant le concert, combien les musiciens ont besoin de ce retour à la musique et de cette présence physique.
Le plaisir de retrouver la musique est ainsi visible et audible, pour ces instrumentistes et chanteurs qui tous et ensemble, exploitent la richesse de leurs timbres individuels au service du projet musical commun (guidés par la combinaison de clarté dynamique et d'agile énergie qui caractérise Léo Warynski). Pourtant, que les timbres et jeux sont riches dans ces musiques ! Une disposition le figure, parmi bien d'autres : les cuivres partagent les pupitres mais chacun a une petite table avec ses différentes sourdines (comme autant de variations sonores à exploiter). La contrebasse à elle seule traduit cette richesse : loin de seulement jouer les utilités en doublant le son du violoncelle dans le grave, elle a ici une place soliste de choix et même d'honneur, au premier rang, en face à la droite du chef (la place d'un premier violoncelle).
Cette richesse instrumentale dialogue pleinement avec la richesse vocale dans Cummings ist der dichter de Boulez et le Requiem de Francesco Filidei. La première détaille et nimbe à la fois la fascination des poèmes d'E. E. Cummings (1894-1962). La seconde articule chaque syllabe liturgique du Requiem, avant de ressouder les phrases. Les deux composent un indissociable lien de dialogue entre musique instrumentale et chant : deux plaques tectoniques qui se répondent, résonnent et s'affrontent dans un équilibre savant même dans leurs plus grands éclats d'intensité. Les voix doivent et savent déjà filer, dès les puissantes intensités sur les grands accents, la douceur et longueur de souffle qui se prolongera dans les résonances decrescendo. Les Métaboles mettent la richesse universelles et individuelles des voix dans le Stabat Mater de Palestrina au service de Boulez et Filidei, le motet de la Renaissance tardive étant idéalement placé entre les deux pièces contemporaines.
Le concert se referme sur une cavalcade : Le Rite de la nuit noire. Voyage d’Artaud au Mexique (création mondiale de François Meïmoun). De rares clairières musicales sur des mélodies pentatoniques (aux couleurs d'Asie) reconfigurent des rythmes obstinés martelant cette œuvre, constamment intense et frénétique. Une pièce qui aurait bien mieux convenu pour débuter le programme en lançant le geste énergétique, une pièce qui était initialement attendue en deuxième place du programme mais qui a visiblement due être reportée en fin de concert pour aider les musiciens à prendre le temps de se chauffer, de se déconfiner musicalement.
Un échauffement qui contribue aussi à ce sentiment de Re-Naissance.
...on a la certitude d’avoir assisté à l’éclosion d’une œuvre majeure de notre temps
Hommage à une des figures majeures de la musique de la seconde moitié du vingtième siècle – et des premières années du vingt-et-unième, la Biennale Boulez à la Philharmonie de Paris s’affirme comme un des grands rendez-vous de la saison en matière de musique contemporaine. Le programme présenté par Léo Warynski à la tête de l’Ensemble Intercontemporain et de son ensemble Les Métaboles condense idéalement cette inscription de la musique d’aujourd’hui au cœur même du répertoire.
C’est avec une pièce relativement peu jouée de Boulez que s’ouvre le concert, Cummings ist der Dichter, pour seize voix et orchestre. Organisée autour de la superposition de la couche vocale, tissu modulatoire de phonèmes plutôt que de mots, et d’une ponctuation instrumentale recherchée et évolutive, la pièce met en valeur la qualité des solistes des Métaboles, avec une articulation aussi souple que précise au plus près de la matière sonore, et que l’on retrouve dans l’admirable décantation du Stabat Mater de Palestrina, interprété dans une disposition de consort quasi intimiste assez en usage dans la musique de la Renaissance. La polyphonie se déploie avec un dépouillement et une pureté qui résonnent comme une évidence, et dont la décantation répond au complexe kaléidoscope boulézien.
Créé à la fin de l’année 2020 à la Casa da Musica de Porto, commanditaire conjoint avec l’Intercontemporain, le Requiem, pour voix et ensemble, de Francesco Filidei, donné en première française, est le fruit d’un musicien inspiré en pleine possession de ses moyens. Sans céder à la facilité, l’oeuvre est de celles qui affirment assez de générosité pour attirer vers elles l’auditeur et l’inviter à l’exploration de leur univers musical. Car la richesse de l’écriture, tant orchestrale que vocale, de la pièce façonne une dramaturgie aux confins du rituel, où l’effet s’enracine dans une plongée au cœur du grain sonore. La longue séquence étale inaugurale immerge dans un espace indéfini, teinté de mystère et d’attente, et habité par des couleurs parfois étranges qui se confrontent à la plasticité du silence. Le Dies Irae dégage une puissance irrésistible, où l’empreinte implacable du rythme modèle de façon organique l’entropie harmonique. Le raffinement et le cisèlement des saveurs instrumentales, constant tout au long des quarante minutes de la partition, se conjugue à une authentique jubilation imprégnée d’une spiritualité indifférente aux chapelles religieuses. Cette œcuménisme que l’on retrouve dans une palette aussi large que personnelle n’hésite pas à distiller un lyrisme d’une pureté ineffable, comme dans le Lacrymosa. A la fin de ce Requiem qui, chose assez rare dans la création contemporaine, marque durablement l’auditeur, on a la certitude d’avoir assisté à l’éclosion d’une œuvre majeure de notre temps. Le prolixe et touffu Rite de la nuit noire – Voyage d’Artaud au Mexique de François Meïmoun, autre commande de l’Intercontemporain, donné en guise d’épilogue, contraste par son écriture au fond passablement fruste, propice à une jouissance furieuse, du moins des instrumentistes. Le choix du mélomane, lui, sera sans doute fait.
Biennale Pierre Boulez - Créations signées François Meïmoun et Francesco Filidei
Alors qu’il travaille à Oubli, signal lapidé, une pièce pour douze voix sur des vers d’Armand Gatti (retirée du catalogue) que l’Ensemble Marcel Courau créerait à Cologne à l’automne 1952, Pierre Boulez découvre, à l’invitation de John Cage, l’œuvre du poète étasunien Edward Estlin Cummings. Plongé dans l’univers de Mallarmé qui le conduira, à partir de 1958, à construire Pli selon Pli volontiers considéré par les commentateurs comme son chef-d’œuvre, le musicien fait en 1970 une halte du côté de Cummings dont la poésie lui semble d’emblée offrir une continuité plus ou moins mallarméenne. À sa création à Ulm le 25 septembre 1970, cummings ist der dichter – contrairement à l’allemand qui convoque la majuscule pour chaque nom commun (Dichter) et à la convention de la majuscule pour le nom propre, le titre n’utilise que des minuscules, comme en double-écho à la signature usuelle du poète qui s’en privait (e. e. cummings)– a nécessité deux chefs (Boulez lui-même et Clytus Gottwald), tant la pièce présentait de difficulté. Lorsqu’il la révise en 1986, l’auteur la simplifie considérablement, en favorise la perception optimale et renonce à sa dimension ouverte d’origine. De cette page moins fréquentée conçue pour seize voix mixtes et vingt-sept instruments – parmi lesquels trois harpes, déjà, qui solutionnent les affres de l’écriture pour ce médium –, l’on goûte, dans la lecture vive de Léo Warynski, à la tête du chœur Les Métaboles et de l’EIC, la fort belle profondeur des timbres, mise en relief par la clarté des voix.
Après une interprétation subtile du bref Stabat Mater de Giovanni Pierluigi da Palestrina qui en livre toute la finesse, le programme se poursuit par la première française du Requiem pour voix et quinze instrumentistes de Francesco Filidei dont la création mondiale fut assurée par Peter Rundel à la tête du Coro Casa da Música et du Remix Ensemble, le 20 octobre 2020 à Porto. Évoquant volontiers le genre requiem comme « un fantôme à habiter de l’intérieur » dans l’entretien mené par Thomas Vergracht (brochure de salle), le compositeur toscan s’affirme bien conscient du poids du passé, à la fois liturgique et musical : plutôt que d’opter pour une attitude timorée, ce qui aurait d’ailleurs risqué de limiter l’approche au renoncement pur et simple, l’artiste se saisit des archétypes, entre le théâtre appuyé de Verdi pour le Dies iræ et la suspension extatique de Duruflé quant au Kyrie, entre autres références avouées. Après une entrée fort intrigante où accordéon et rhombe se marient dans une sonorité mystérieuse, un ostinato s’enrichit progressivement jusqu’à la rupture, soit l’arrivée du texte : re-qui-em choral espacé, fragmenté, dont frappe la radicale dessiccation. Suspendu aux cloches, le Kyrie se révèle dolent au fil d’une sorte de continuo enveloppant. Des scansions chuchotées donnent au Dies iræ un lustre presque tribal que rehaussent percussions et sifflets. En quasi-surplace, l’électricité répétitive de Rex tremendæ est confrontée à l’instrumentarium inventif cher au musicien. Soudain surgit une manière de chants populaires, séduisante bigarrure surnuméraire bientôt suivie par quelques cris confiés aux instrumentistes eux-mêmes, quand les choristes revêtent le masque actuellement réglementaire. Succédant à l’isolement solistique du Lacrymosa, l’écriture de l’Agnus Dei se pare d’un archaïsme saisissant, pour finir dans le funèbre zéphir liminaire.
Auteur du brillant essai La construction du langage musical de Pierre Boulez, François Meïmoun s’est tôt attaché à l’œuvre entière d’Antonin Artaud. En réponse à la commande de l’EIC, il s’est penché sur l’un des textes réunis dans Les Tarahumaras (L'Arbalète, 1955) : Tutuguri, Le rite de la nuit noire et de la mort éternelle du soleil. C’est dans ce texte même que Boulez avait trouvé l’inspiration de Marges, opus imaginé pour Les Percussions de Strasbourg sur lequel il travailla entre 1961 et 1964 sans le mener à terme et dont il reportera dix ans plus tard certains éléments sur Rituel in memoriam Bruno Maderna (1974). En 1936, Artaud rencontre les peuples du Mexique et assiste à leurs rites. Il rédige la description de l’érotique du peyotl dont aujourd’hui Meïmoun se saisit par une danse sans fin, à l’énergie autorégénérante, déroulé de plus en plus rapide auquel se superpose sa coagulation lente, conforme aux propos qu’il a pu recueillir de personnes ayant expérimenté les vertus psychotropes du petit cactus – parmi lesquelles est d’ailleurs extraite la mescaline que fréquenta beaucoup Henri Michaux, autre poète présent chez Boulez dans une œuvre aussitôt retirée du catalogue (Poésie pour pouvoir, 1958). De fait, il y a près de cinq ans François Meïmoun écrivit La danse du peyotl pour piano à quatre mains que Marie Vermeulin et Vanessa Wagner ont créée à l’automne 2016. Le Rite de la nuit noire. Voyage d’Artaud au Mexique pour seize instrumentistes n’est en rien une orchestration de cette page mais l’expression du désir du compositeur d’en étendre l’hyper-registration plus loin encore, grâce aux couleurs mises à disposition de son imaginaire. Une part importante y est accordée aux vents ainsi qu’au piano, socle sur lequel l’omniprésence rythmique se développe, par-delà la convocation d’une percussion parfois explosive. De ce geste déflagrant et répété, varié, condensé, qui prolifère sur lui-même en ses incises fifrées, surgit un lyrisme étonnant. Dans sa Notation II pour orchestre (1980), Boulez explorait comparable forge, à ceci près que cela durait deux minutes : l’œuvre fiévreuse de Meïmoun tient le pari vingt-cinq minutes durant, sans décrocher de cet extraordinaire frémissement textural que conclut un très puissant sforzato libérateur – un tour de force défendu avec engagement et bravoure par l’EIC et Léo Warynski à qui cette création mondiale est confiée.
Les Métaboles s'impose décidément comme un astre de première importance.
De Ravel à Saint-Saëns ou Britten, le groupe vocal les Métaboles, nous ouvre les portes de son éden
Besoin d'air ? "Jardin féérique", album bucolique, troisième opus des Métaboles, vous tend les bras. On y parcourt ou on y fantasme une nature plus ou moins apprivoisée. Aphrodite, déesse de l'Amour, s'y émeut des sons divins produits par Sainte Cécile, patronne des musiciens, et des créatures surnaturelles peuplent le joli bois d'Ormonde. Les soirées sont longues, méditatives, envoûtantes. Le drame couve quand les oiseaux du paradis reviennent de la guerre, et disparaît lorsque John le paresseux trouve l'amour en coupant des genêts....
Dans ce jardin extraordinaire, on trouve des humains qui chantent l'anglais aussi bien que le français, avec des belles voix expressives, capables de s'adapter à différentes écritures et de (re)créer à chaque fois l'atmosphère qui convient.
Le répertoire mélange pièces connues, comme les "Trois Chansons" de Maurice Ravel (1875-1937), et d'autres qui le sont moins, telles ces transcriptions du "Jardin féerique "et de "La Vallée des cloches", issues des cycles ravéliens "Ma Mère l'Oye" et "Miroirs". Les pièces nostalgiques de Camille Saint-Saëns (1835-1921) sont à redécouvrir, l'"Hymn to St Cecilia", de Benjamin Britten (1913-1976), ainsi que ses "Five Flowers Songs" séduisent particulièrement , et R. Murray Schafer (né en 1933) offre un post scriptum à la vocalité exubérante. Dans la galaxie du chant choral a cappella, l'ensemble les Métaboles, fondé en 2010 et dirigé par Léo Warynski, s'impose décidément comme un astre de première importance.
… Un programme odorant et coloré. A écouter sans modération
Le Jardin vocal de Léo Warynski
Dans son dernier enregistrement, le musicien dirige son ensemble les Métaboles dans un programme odorant et coloré. A écouter sans modération
« Le programme d'un disque ou d'un concert devrait toujours être harmonieux, parfumé et accueillant comme le plus beau jardin », confie Léo Warynski. A fortiori quand il est tissé d'une guirlande de pièces évoquant la nature, enivrante, apaisante ou, parfois, inquiétante.
Le dernier enregistrement du jeune chef à la tête de son ensemble les Métaboles s'ouvre par la transcription pour choeur, signée Thierry Machuel, du "jardin féérique" de Maurice Ravel. « Ce fut le point de départ du projet, la première étape du parcours, explique Léo warynski. Ensuite, de manière libre, j'y ai associé des partitions qui me tiennent à cœur comme les Trois chansons, également de Ravel, qui comptent parmi ses plus extraordinaires créations »
Passant d'un sentier ombreux à une allé ensoleillée, d'une clairière à une fontaine, l'auditeur-promeneur croise Benjamin Britten ou Camille Saint-Saëns. Du premier "L'Hymne à sainte Cécile" sur un poème mystérieux et sensuel d'Auden ou les "Flower songs" aux fragrances entêtantes ; du second, des romances aimables et caressantes « je serai heureux de contribuer à mieux faire apprécier Saint-Saëns, qui n'a pas toujours bonne presse. Il a eu le malheur d'être le contemporain de génies visionnaires – Berlioz, puis Debussy - , qui, par comparaison, lui ont valu une réputation d'académisme ».
La tentation est puissante d'associer aux voix des Métaboles le vocabulaire réservé aux essences rare : texture délicate rehaussée de teintes éclatantes, brillant et flexibilité, raffinement, opulence, griserie et fraîcheur... « Nous cherchons à développer la palette la plus variée et la plus expressive. Un travail qui passe par l'appropriation intime du texte de chaque pièce. Sa signification globale mais aussi la « personnalité de chaque mot, de chaque syllabe... » Et d'expliquer comment la sonorité de la finale « or » de « trésor » doit se distinguer de celle du « ort » de la « mort ».
Depuis l'Alsace où il réside durant le confinement, Léo Warynski s'attache à ne pas perdre le contact physique avec la musique. « Je prends mon violoncelle et nous jouons en duo avec mon père, guitariste. Moments tout simples, moments magiques ». Il préserve aussi le contact avec ses amis des Métaboles et pense aux projets à venir : autour de la musique ancienne puis, en janvier 2021, du Requiem du compositeur italien Francesco "Filidei", dont il assurera la création avec l'Ensemble Intercontemporain. Il détaille aussi avec émotion un programme auquel il tient particulièrement : le Britanique Jonathan Harvey y est mis en regard avec des maîtres du passé comme Byrd, Purcell mais Palestrina. « La dernière œuvre de Harvey, avant son décès en 2012, est une magnifique Annonciation, écrite sur un thème issu du "Stabat Mater" de Palestrina. Quel symbole ! »
La place de premier plan que les Métaboles occupe dans le paysage choral.
Près de quatre ans après la sortie d’ « Une nuit américaine », admirable panorama de la production chorale a cappella étatsunienne entre 1920 et le tout début de ce siècle, le chœur Les Métaboles nous gâte à nouveau avec « Jardin féerique », album à dominante française qui vient rappeler la place de premier plan que la formation fondée et dirigée par Léo Warynski occupe dans le paysage choral.
Le disque est dès à présent disponible et on ne peut que chaudement recommander à tous les amateurs de ce répertoire de s’y plonger ; il fera leurs délices !
Un délicieux voyage choral et floral
On ne peut que saluer ici la qualité des équilibres sonores et de la diction des dix-huit chanteurs des Métaboles. Tant dans l'exercice de la transcription (Jardin féérique, adapté de Ma mère L'oye par Thierry Machuel) que le répertoire plus contemporain (Miniwanka de Schafer). Un délicieux voyage choral et floral.
5 diapasons
Ce jardin féérique confirme que l'amateur de choeur a cappella peut désormais compter sur l'ensemble de Léo Warynski. Le jeune chef a la main assez verte pour cultiver un riche territoire et filer la métaphore naturaliste.
...un répertoire original et, surtout, une forte identité musicale
Le son d'ensemble des Métaboles est intéressant, à la fois solide et raffiné, très précis et clair, avec des solistes du plus haut niveau. Il est évident que, sous la direction de Léo Warynski, cet ensemble s'est forgé un répertoire original et, surtout, une forte identité musicale.
Un programme audacieux, original et intelligemment conçu
L’ensemble Les Métaboles, conduit par son chef et créateur Léo Warynski, poursuit son exploration du répertoire choral a capella.
Cela nous vaut quelques belles découvertes de pièces rarement entendues, comme par exemple les Trois chansons pour chœur a capella de Ravel, sur un texte du compositeur, ou encore un certain nombre de pièces de Saint-Saëns dont l’une, Les Fleurs et les arbres a également été écrite par son compositeur.
La cohérence thématique du programme est assurée par le sujet récurrent de la nature, qui informe autant les pièces des compositeurs français que les Five Flower Songs de Britten, dont le texte est emprunté à différents poètes. Du grand musicien anglais, on entend avec plaisir le superbe Hymn to St. Cecilia, pièce bien connue Outre-Manche mais, de façon inexplicable, rarement jouée en France. Ce cycle écrit sur un texte du poète W.H. Auden était censé renouer avec la tradition des Odes à Sainte-Cécile de la fin du dix-septième siècle anglais.
Le CD s’achève sur le très contemporain Miniwanka or The Moments of Water du compositeur Raymond Murray Schafer, ouvrage qui complète astucieusement le programme thématique de l’album par ses tentatives d’imitation du bruit de l’eau.
Riche sans luxe inutile, l’interprétation des Métaboles séduit toujours par la justesse des dosages
Pour témoigner du niveau d’excellence qu’il a atteint après dix ans d’existence, l’ensemble Les Métaboles ne saurait trouver mieux que la première plage de ce disque. La superbe transcription du "Jardin féérique" de Ravel, réalisée par Thierry Machuel, lui permet de se déployer à l’infini dans un espace choral que viendront ensuite traverser d’autres planètes au séjour tour à tour apaisant ("Romance" du soir de Saint-Saëns), onirique ("La Vallée des cloches", de Ravel, transcrite par l’orfèvre Clytus Gottwald) et hédoniste (diverses pages de Britten). Riche sans luxe inutile, l’interprétation des Métaboles séduit toujours par la justesse des dosages que sait obtenir leur chef, Léo Warynski. En particulier, dans le savoureux "Miniwanka or the Moments of Water", de Raymond Murray Schafer, qui clôt ce parcours enchanteur
Ovationnés par un public d'abord étonné, puis surpris et enfin conquis
Moderniser l'ancien
Avec marc-Antoine Charpentier et son cadet d'une (grande) génération Johann Sebastian Bach, l'auditeur sait que, sauf cataclysme improbable, il va naviguer dans les eaux sécurisantes bien que quelque fois surprenantes d'une esthétique rodée, d'une thématique connue ; il va guetter le "petit rien" qui fait la signature du chef ou du soliste, leur audace à sortir de sentiers mille fois battus en mettant en lumières des opus peu joués... Léo Warynski a fait tout cela avec "ses" Métaboles, donnant une dimension à couper le souffle à la messe des morts du compositeur français, jouant des contrastes et de complémentarités sonores entre les différentes voix, mettant en espace, quasi quadriphonique, le "Transfige dulcissime Jesu" avant de proposer une lecture très enlevée du choral "Aus tiefer Not" du Kantor.
Mais c'est avec le "Psaume CXXX de Philippe Hersant, composé en 1995, que la musique a fait preuve de sa capacité "à abolir à la fois le temps et les siècles", selon les mots du chef de choeur ; un texte identique à celui du choral l'ayant précédé dans le programme, un même instrumentarium réduit à l'essentiel avec une viole de gambe et l'orgue positif qui tissent un climat plus dramatique que chez Bach pour revenir par instants à une intériorité "à la Schütz" sur laquelle le choeur mixte à quatre voix vogue en seigneur.
La modernité, l'actualité chez Hersant, c'est dans ses contrastes, ses fulgurances sonores, ses oppositions entre presque silence et grandes architectures vocales qu'elles se nichent... Ovationnée par un public d'abord étonné, puis surpris et enfin conquis. "
Des chanteurs libérés de toute tension et encore plus rayonnants..
La Fondation Royaumont s'anime traditionnellement vers la fin août, sous l'effet de son académie Voix Nouvelles, destinée à de jeunes compositeurs et compositrices - cette année, la parité exacte s'imposait d'elle-même.
Cette fois a cappella, Les Métaboles sont, avec leur concert « The Angels », au cœur de la thématique « En vol » du week-end. On décolle effectivement avec un programme concocté par le très efficace Léo Warynski, dont la musique vocale de Jonathan Harvey est le cœur et résonne naturellement avec Byrd, Palestrina et Purcell. La pièce commandée par la Fondation Royaumont à Jack Sheen, ancien lauréat de l'académie, prend facilement place dans ce programme dont elle constitue le versant le plus sombre et vacillant, tendue par des pseudo-répétitions obsédantes. Douce et empreinte d'un hédonisme harmonique qui l'apparente à la veine chorale scandinave et baltique, la musique méditative de Harvey reflète son inspiration bouddhiste. Reprise lors du rappel par des chanteurs libérés de toute tension et encore plus rayonnants, la courte pièce The Angels s'inscrit avec plénitude dans l'acoustique du Réfectoire des moines et illumine la soirée.
Le chœur Les Métaboles s’est illustré avec talent et subtilité
Outre les grandes pages du répertoire symphonique toujours interprétées magistralement dans un cadre extraordinaire, le festival de La Chaise-Dieu (Haute-Loire) permet de découvrir des petits bijoux. Découvrez ici l’ensemble vocal Les Métaboles qui se plaît dans le répertoire choral américain.
Samuel Barber ? On connaît son Adagio pour cordes. Aaron Copland ? Morton Feldman ? Ces noms ne sont pas inconnus mais connaissez vous Steven Stucky et Eric Whitacre ? Le chœur Les Métaboles s’est illustré avec talent et subtilité dans l’œuvre de ces polyphonistes, certes peu connues, mais dont la musicalité et l’écriture n’a rien à envier à Palestrina, ou à Gesualdo.
Ces œuvres aux couleurs tantôt acidulées tantôt jazzy et aux tons sombres ou sensuels – les délicieuses dissonances de Whispers signées Steven Stucky donnent en effet des frissons redoutables – ont chatoyé nos oreilles grâce aux voix chaudes et rondes de l’ensemble. Les Métaboles ont fait preuve de beaucoup de générosité et de simplicité. Tout doux, le To Be Sung on the Water de Barber est une caresse. Les œuvres jouent avec les mots et les sonorité, à l’image de Sleep (Eric Whitacre) qui se termine… en chuchotements ! Chanter a cappella tout un concert relève de l’exploit, que le chœur, dirigé de la main toujours mesurée de Léo Warynski, réussi avec justesse.
Nul besoin de toujours vouloir montrer ses muscles donc, car même les petites choses, à l’image de ce beau concert, peuvent séduire le public.
L’excellence vocale des Métaboles
Léo Warynski et Les Métaboles ont choisi de faire dialoguer les œuvres du passé avec celles du présent, dans un concert qui amorce leur résidence de trois ans à la Fondation Royaumont.
Le programme est ambitieux, convoquant les instances sacrées, avec Byrd, Palestrina, Purcell et la musique chorale du Britannique Jonathan Harvey. L’Ave verum de William Byrd donne le ton, dans la perfection du contrepoint renaissant et le temps circulaire propice à la contemplation, qu’aucune pièce de la soirée ne viendra vraiment perturber. Même si s’exprime, à travers les pages chorales d’Harvey, une ferveur que nous communiquent ce soir Les Métaboles : dans Plain Songs for Peace and Light notamment, où le compositeur, habité d’une pensée électronique, écrit la ligne vocale et sa réverbération dans l’espace. L’aura résonnante des voix de femmes et le raffinement des textures obtenues au sein des pupitres nous enchantent. Come Holy Ghost, invoquant le feu céleste, est une des pièces les plus étonnantes, débutant par l’intonation grégorienne et laissant apprécier la couleur et la flexibilité des voix de l’ensemble, dans une écriture qui se complexifie sans perdre sa transparence.
En latin cette fois, le Stabat Mater pour double chœur de Palestrina, entendu dans la plénitude des voix, nous impressionne, par l’impeccable prononciation du texte et le rythme fluide que lui confère Léo Warynski, sensible à toutes les variations de l’écriture. Non moins fluide est le passage de Purcell (Remember not, Lord, our offenses) à Harvey (Remember, O Lord), les deux pièces s’originant sur la même intonation. La création mondiale de Jack Sheen, autre lauréat de Voix Nouvelles 2018 ayant bénéficié d’une commande, est donnée juste avant. Fitzgerald pirouette pour chœur spatialisé est une pièce subtile et sensible, invitant à une écoute immersive au sein d’un temps long où, imperceptiblement, les choses se transforment. Au mitan de l’œuvre, une source sonore extérieure (provenant des smartphones des chanteurs) modifie sensiblement le paysage sonore sans l’affecter profondément. Léo Warynski veille aux dosages et à l’équilibre des forces, dans une interprétation remarquable, laissant advenir le mystère et la profondeur.
En bis, et dans un élan plus spontané encore, le chœur rechante, Remember O Lord et The Angels pour double chœur, deux bijoux de Harvey aux contours ciselés et magnifiés ce soir par l’excellence vocale des Métaboles.
Une expertise entre répertoire et création dans le chant choral a cappella
Nouvellement en résidence à l’Abbaye de Royaumont, Les Métaboles et leur chef Léo Warynski confirment une expertise entre répertoire et création dans le chant choral a cappella autour d’un programme de musique anglaise.
À la thématique de ce premier week-end du Festival de Royaumont (« En vol ») répond « The angels » avec Les Métaboles et Léo Warynski, auréolés du Prix Liliane Bettencourt pour le chant choral en 2018. Avec ce programme, l’ensemble propose un hommage à la tradition chorale anglaise autour de cinq compositeurs brossant autant de siècles : William Byrd, G. P. da Palestrina, Henry Purcell, Jonathan Harvey et Jack Sheen (ce dernier né en 1993 ayant composé pour l’occasion une création intitulée « Fitzgerald pirouette »). Et de révéler les réseaux d’influence, la filiation entre les différentes pages portées sur la scène du réfectoire des moines en privilégiant de manière judicieuse les aller-retour entre les compositeurs plutôt qu’un déroulé strictement chronologique. Les « Remember » introductifs des pièces de Purcell (« Remember not, Lord, our offences ») et de Harvey (« Remember, O Lord ») aux tonalités mineures proches laissent ainsi se déployer progressivement la richesse harmonique du langage musical de ces compositeurs. Une attention particulière reste portée à l’œuvre de Harvey (le choral The angels étant à l’origine du programme) dont le lien intime avec Royaumont comme le décès relativement récent font de ce concert un hommage implicite.
Les seize voix des Métaboles se montrent particulièrement en forme. Outre une redoutable justesse de ton dans l’interprétation, elles proposent un son qui a pleinement mûri au fil du temps, choyé in loco par l’acoustique indulgente du réfectoire où la résonance est privilégiée sans brouiller le discours. Le quatuor vocal introductif de l’Ave verum de Byrd (soprano-alto-ténor-basse) donne la tonalité. Depuis les hauteurs de la chaire, la sobre expressivité trouve une pleine incarnation à travers les postures de statues des chanteurs jointes à des attaques millimétrées où la verticalité (sons simultanés, s'écrivant sur une même verticale dans une partition) est imperturbable. L’effectif au complet, les différentes voix en osmose ne laissent rien au hasard, disciplinées et diapason en main. Forts de leur préparation, l’interprétation du répertoire semble sans effort malgré les dissonances rugueuses et parfois difficiles, en particulier dans les pièces de Jonathan Harvey (« Come, Holy Ghost »), sublimées par ce souci du détail relevant l’interprétation entière. La création de Jack Sheen (« Fitzgerald pirouette »), se bornant à l’esquisse, aux lignes ébauchées et à des jeux de dissonances très attendus, parvient cependant à le déstabiliser quelque peu et à lui faire perdre cette assurance inébranlable jusqu’alors montrée.
À deux chœurs, le concert prend une autre dimension. Les Métaboles quittent leur unité, et s’élancent dans une recherche aboutie de spatialisation du son et du travail des textures. Si le Stabat Mater de Palestrina est bien servi sans toutefois marquer, le choral « I love the Lord » au leitmotiv entêtant, comme « The angels » ravissent l'auditoire. La rondeur englobante des nappes de l’un, parfois même entonnées à tue-tête en des balancements, tapisse l’espace d’une toile de fond harmonique sur laquelle viennent se placer les lignes de l’autre. Dans les unissons dépouillés mais consistants tout à la fois, et les moments de monodie, les tenues respectives des différentes voix restent sans faille.
Suite aux applaudissements, Léo Warynski rappelle toute la joie ressentie par l’Ensemble pour cette résidence au sein de l’abbaye, enthousiasme dont est assurément pétri ce concert qui augure d’autres belles prestations à venir au sein de ce lieu privilégié pour la musique.
Les Métaboles, choeur vaillant
Créé en 2010 par Léo Warynski, Les métaboles est un chœur de chambre qui s’inscrit dans le sillage d’Accentus, fondé deux décennies plus tôt par Laurence Equilbey.
Cependant, comme son nom l’indique, la formation ne cesse de se métamorphoser pour s’adapter à divers types de répertoires. Constituée à l’origine d’une majorité de jeunes, elle compte aujourd’hui des chanteurs chevronnés – Marc Busnel ou Paul-Alexandre Dubois. Chacun est capable de se produire en soliste. Après avoir visité les mouvements du XXe siècle pour chœur a cappella, signés Poulenc ou Rachmaninov, et s’être investi dans de nombreuses créations telles que Papillon noir, l’opéra de Yann Robin, le chœur entame à Royaumont une résidence de trois ans.
En attendant, un disque à paraître cet automne chez NoMadMusic viendra illustrer une quête de l’originalité (l’inattendu Murray Schafer en compagnie de Ravel et de Britten) qui n’est pas près de s’épuiser. « J’ai mille ans de répertoire devant moi » constate malicieusement Léo Warynski.
Qualité et l’homogénéité de la formation chorale
Augurant un florilège au parfum d’éternité, l’Hymne des chérubins (Херувимская песнь), sixième séquence de la Liturgie de saint Jean Chrysostome Op.41 de Tchaïkovski (Литургія Святаго Іоанна Златоустаго, 1879). La suavité de la page, où la sentimentalité du compositeur russe s’affirme en une belle décantation, met tout de suite en évidence la qualité et l’homogénéité de la formation chorale, tuilant avec une douceur inspirée les articulations du poème. Né en 1954 à Vilnius, Vytautas Miškinis livre dans O salutaris hostia (1991), écrit au moment de l’effondrement de l’URSS, un condensé de dépouillement, magnifié par la précision des entrées qui n’accuse jamais les attaques. Cette caresse de textures d’une saisissante luminosité ne néglige cependant pas l’expressivité du verbe, jouant dans « Bella premunt hostilia » (« Les armées ennemies nous poursuivent ») d’effets imitatifs qui rappellent La Guerre de Janequin, avant de revenir à l’intimité initiale. Sans intention moderniste, le morceau se distingue par une intemporalité sincère que les pupitres restituent avec une conviction communicative, au point de le resservir en bis.
D’Arvo Pärt, référence du refuge en réaction aux tumultes d’un aujourd’hui auquel certains refusent la « beauté », Magnificat de 1989 et Nunc dimittis, de douze ans postérieur, affirment un halo d’apaisement ciselé avec soin, jusqu’aux délicats confins du murmure, avant Странное Рождество видевше (Mystère de la Nativité), page de rituel orthodoxe (en russe, donc) composée en 1991 par Gueorgui Sviridov (1915-1998). On retrouve l’atmosphère de ferveur recueillie, dans un élan maîtrisé, avec un grain d’une pureté admirable qui suit les linéaments d’une jubilation intérieure, jusqu’aux éclats d’Alléluias irisés, en conclusion de chacune des deux strophes et climax suspendu à la fin de la dernière.
Du jeune Franco-ukrainien Dimitri Tchesnokov (né en 1982), Trois chants sacrés Op. 43 de 2009 ne démentit pas un monochrome liturgique détaillé sans faiblesse ni redondance au fil de trois numéros (De profundis, Miserere et Pater noster) aux dynamiques formelles complémentaires. Éclaircissant les rangs, Ave Verum Corpus Op.67 pour voix de femmes (créé deux ans plus tard) prolonge cet éther avec une remarquable économie de moyens. Datés de 1983, les Trois hymnes sacrés d’Alfred Schnittke – Je vous salue Marie, Jésus notre Seigneur et Notre Père – reviennent à la langue russe et à l’Église d’Orient, sans trahir le climat installé, quand le bref Свeтй Бoжз (Éternel Dieu) de Sviridov constitue un viatique à l’image des évanescences défendues par Léo Warynski et Les Métaboles, mettant opportunément en valeur les vertus évidentes de l’ensemble.
De l’étoffe dont sont faits les anges : Les Métaboles à Vézelay
Il y aura un deuxième bis. La scène est déserte depuis longtemps, les lumières ont été rallumées mais l’ovation qui salue encore Les Métaboles dans les collatéraux de la basilique de Vézelay incite Léo Warynski, le chef du choeur, à faire demi-tour pour remonter au pupitre. Quelques secondes plus tard, les pépiements surnaturels du O Salutaris hostia de Vytautas Miskinis s’élèvent à nouveau le long des hauts murs centenaires, bientôt rejoints par un choral granitique de voix masculines. On a beau s’y attendre après avoir admiré cette pièce méconnue au début du concert, il est impossible de ne pas frissonner.
Une heure auparavant, le monde des Métaboles s’est ouvert sur le merveilleux Hymne des Chérubins de Tchaïkovski. Les uns après les autres, les chanteurs rejoignent une même voie, un même souffle aérien, enchâssant délicatement leurs timbres sur le même objet sonore. Léo Warynski trace une mesure habitée, claire, souple, aux précisions discrètes : il n’a pas besoin d’user de gestes trop didactiques tant ses chanteurs connaissent leur chemin. Leurs respirations sont inaudibles, à peine perceptibles physiquement.
Le maestro profite des capacités hors norme de ses troupes pour dessiner des phrasés interminables et soigner des progressions dynamiques au long cours ; le fortissimo tendu comme un arc au sommet de la Mysterious Nativity (de Georgy Sviridov) fera trembler la voûte de la basilique. Jamais affectées, toujours impeccablement justes, même face aux accords fournis de Tchesnokov (Trois chants sacrés), Les Métaboles sont décidément de l’étoffe dont sont faits les anges.
Une heure de polyphonies a cappella dans la tradition russe orthodoxe pourrait lasser, même dans une interprétation divine. Toute l’intelligence de Léo Warynski est d’avoir agencé un programme aussi cohérent que varié, attrapant l’auditeur par l’oreille et ne le lâchant qu’après une heure de sensations fortes. Les étages formidables du contrepoint de Miskinis s’aplanissent tout à coup, laissant la place aux fils d’or tissés par Arvo Pärt dans son Magnificat. Puis c’est la procession imperturbable du Nunc dimittis et ses syllabes carillonnantes, la puissance presque agressive du Sviridov, les harmonies éthérées des voix de femmes,
laissées seules dans l’Ave verum corpus de Tchesnokov… Ces Métaboles portent bien leur nom, tant elles savent adapter légèrement leur identité sonore pour donner l’éclat propre à chaque pièce.
Arrive l’exigeante mélopée du « Bogoroditse » de Schnittke. Les chanteurs articulent le texte avec ce juste milieu de précision (indispensable pour rendre audibles les paroles) et de naturel (nécessaire pour ne pas révéler l’artifice). L’acoustique réverbérante pourrait noyer le choral, fondre les voix mais les basses ne dispersent pas leurs graves, les sopranos posent doucement leurs aigus ; les voix intermédiaires sont ainsi parfaitement perceptibles. Chaque pupitre reste homogène et le cheminement harmonique s’écoule avec une limpidité exemplaire. Quelques instants plus tard, quand le méditatif Sviatyï Bozhe de Sviridov marque la fin
du concert, le retour sur terre est brutal. Warynski a l’habileté de proposer, en bis, un extrait de la plus emblématique des oeuvres vocales russes : les fameuses Vêpres de Rachmaninov viennent répondre à L'Hymne des Chérubins et remettent l’auditeur sur les sentiers battus du grand répertoire.
Le pèlerinage polyphonique a cependant paru si bref que certains spectateurs, désireux de prolonger l’expérience métabolique, accourront à la messe du lendemain matin pour le seul plaisir d’y entendre une nouvelle fois le choeur, sollicité pour ponctuer l’office. En mal de vocations, l’Église pourra y trouver matière à réflexion : Les Métaboles ressemblent bien à une arme de conversion massive.
Une expérience sonore exceptionnelle
Il y a des jours comme cela où tout semble soumis au généreux caprice d’une bonne fée. Le temps est admirable, l’air léger, la musique enthousiasmante. Ainsi ce samedi de la fin août, troisième et (déjà !) avant-dernière journée des Rencontres musicales de Vézelay qui célèbrent leur 20 anniversaire.
Une expérience sonore exceptionnelle
Le soir, dans la basilique de Vézelay, autre effectif (24 chanteurs a cappella), autres siècles (du XIX à nos jours), autre ère géographique et religieuse (entre pays baltes et Russie). Au pupitre, Léo Warynski entraîne son ensemble, Les Métaboles, dans un voyage musical dominé par l’introspection, la nuance et la recherche de ces vibrations qui émanent du corps des chanteurs pour s’épanouir dans l’ensemble de l’édifice de pierre, depuis le sol jusqu’aux voûtes les plus élevées. Voici une expérience sonore
où la basilique devient elle-même un immense et lumineux instrument de musique.
De l’enveloppant et tendre Hymne des Chérubins de Tchaïkovski aux rutilants Hymnes sacrés de Schnittke en passant par l’hypnotique Magnificat d’Arvo Pärt ou l’impressionnante Mysterious Nativity de Sviridov, l’évidence est là : la perfection vocale des Métaboles se hisse à un niveau rarement atteint et l’écoute du public s’en ressent immédiatement.
Léo Warynski obtient des chanteurs ce que les meilleurs peintres font naître de leur palette : transparences irisées, textures brillantes, couleurs éclatantes, pastels paradisiaques ou noirs lumineux… Cette plasticité vocale époustouflante et l’intelligence du programme inscrivent cette soirée du 24 août 2019 en lettres d’or dans les annales des Rencontres musicales de Vézelay. Le public ne s’y est pas trompé, fêtant plus que chaleureusement les interprètes et leur chef.
Un engagement plein, avec de l'enthousiasme, de l'énergie
Données en ouverture, " Dans les tranchées de Lagny " et " La Strasbourgeoise " offrent une vision populaire, intime, de la guerre ; la première oeuvre, anonyme, aborde la Grande Guerre avec allant, la seconde, la guerre de 70 avec les mots et interrogations d'un enfant qui apprend qu'il est orphelin ; l'enchantement, s'il est possible que le malheur des uns puisse faire le bonheur d'autres, est tout aussi patent que pour les trois pièces (texte et musique) de Maurice Ravel évoquant toujours la guerre, pour le " Locus iste " de Bruckner et un motet de Felix Mendelssohn-Bartholdy ; les voix sont envoûtantes, la diction claire, l'engagement réjouissant... et communicatif puisque l' " Ode à la joie ", le quatrième et pacifiste quatrième mouvement de la 9e symphonie beethovenienne, a été donnée avec le concours du public.
Un engagement plein, avec de l'enthousiasme, de l'énergie
Pour la création de la " Cantate pour la paix " de Dimitri Tchesnokov, les Métaboles étaient associés à une trentaine d'enfants des classes de quatrième du collège local Victor-Hugo ; chanteuses et chanteurs ont été à la hauteur de l'événement, car ce qui a été propos n'était pas un (petit) tour de chant, approximatif et timide, mais un engagement plein, avec de l'enthousiasme, de l'énergie, une clarté de prononciation, des nuances et une justesse de ton et de rythme... qui ont dû séduire le compositeur, qui en la circonstance avait endossé les habits de pianiste.
En configuration habituelle et en compagnie de Marc Coppey, tout à la fois directeur artistique du festival, violoncelliste multicarte et chef d'orchestre (dès ce mardi soir), les Métaboles ont chanté " Svyati " de John Taverner puis " Métamorphoses " de Philippe Hersant, deux opus " dits " de musique contemporaine. Si le premier (1995) est une longue mélopée extatique quasi monodique au texte réduit au minimum mais sans cesse répété par onze voix, le second, composé en 2013 sur des poèmes écrits par des détenus de la centrale de Clairvaux, est tout en violence retenue, comme un cri sourd « maquillé », le violoncelle ne prenant souvent toute sa part, « lamento », que pour souligner 'urgence ou le désespoir latent. Une grande oeuvre... un ensemble à l'unisson.
Une interprétation superlative
Io, frammento da Prometeo de Luigi Nono déploie ses soixante-quinze minutes d’une musique planante, incroyablement raffinée.
Bien que faisant appel à un matériau sonore très modeste (chœur de chambre, trois sopranos solistes, flûte basse, clarinette contrebasse, magnifié par un dispositif électronique hors norme), le compositeur vénitien atteint d’emblée une faculté d’expression déconcertante. Et le chœur Les Métaboles et des solistes de l’ensemble Multilatérale dirigés par Léo Warynski en donnent dans le vaisseau de l’église Saint-Paul une interprétation superlative.
... l'intensité toujours chevillée au geste de Léo Warynski
L’écoute est exigeante, le temps très étiré mais l’intensité toujours chevillée au geste de Léo Warynski, exemplaire dans cette exécution qui relève de la performance.
Un bel engagement vocal et scénique
Précise et énergique, la direction de Léo Waryniski crée un bel équilibre entre l’orchestre et les autres musiciens (…) les jeunes chanteuses Aliénor Feix (mezzo) et marina Ruiz(soprano) montrent également un bel engagement vocal et scénique – et on pourrait en dire autant de l’ensemble vocal Les Métaboles.
Le chef « en a dans la baguette »
Léo Warynski à la direction, Antoine Gindt à la mise en scène et Philippe Béziat à la vidéo, maîtrisent avec brio la complexité et l’humour de cette oeuvre parfois provocante, souvent drôle et riche de trouvailles musicales dans ses différents styles.
Léo Warynski reste imperturbable. Mais, pour rester dans le ton de Zappa, le chef « en a dans la baguette » : il assure la dynamique, préserve les changements d’atmosphère, pilote la complexité rythmique et articule toutes ces composantes, comme si l’ambiance déjantée qui domine sur scène évoluait en toute liberté.
Prestation vocale impecable
L’œuvre, savant mélange de musique classique contemporaine et pop-rock, est servie magistralement par l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Les Percussions de Strasbours, Les HeadShakers, le chœur Les Métaboles placés sous la direction efficace de Léo Warynski (…) La chœur Les Métaboles joue le rôle du public de l’émission, fébrilement accroché à leur téléphone portable pour filmer ou faire des selfies. Leur prestation vocale impeccable ne dénote que par quelques imprécisions sur les rythmes frappés.
Les chanteurs révèlent les subtilités de l’œuvre...
Du rêve et de la mémoire
Warynski dirige, gestes souples, une douzaine de chanteurs en mode frontal. Derrière lui, les solistes de l’ensemble Multilatérale apportent leur contribution dans deux passages paroxystiques. Susanna Andersson, de sa voix flûtée, tient le registre suraigu avec une autorité impressionnante. Et Raphaële Kennedy et Emilie Rose Bry incarnent un duo vertigineux et tourbillonnant. (…)
Mis en confiance par un Léo Warynski serein, les chanteurs révèlent les subtilités de l’œuvre en les libérant du contexte scénique.
Les chanteurs se révèlent exemplaires
Les chanteurs, ensuite, qui se préparent depuis quelques mois à ces rôles particuliers, avec des textes souvent outranciers, se révèlent exemplaires. Leur qualité vocale ne surprend pas : ils viennent du lyrique et maîtrisent la partition sans difficulté – ils sont même la plupart du temps sous-utilisés, l’œuvre n’étant pas taillée pour randonner dans les voix de contre ou les forêts d’intervalles héroïques. Mais ils séduisent par l’engagement qu’ils mettent non seulement à donner corps à leurs personnages, mais aussi à attiser l’esprit de l’œuvre.
Au pupitre, Léo Warynski gérait son (vaste) monde avec souplesse
Au pupitre, Léo Warynski gérait son (vaste) monde avec souplesse, trouvant des équilibres subtils entre les différents protagonistes et faisant joliment entrer en résonance l'orchestre philharmonique de Strasbourg -peu habitué à tel répertoire, mais qui a semblé réellement s'y amuser -, les Percussions de Strasbourg, l'ensemble vocal Les Métaboles (qu'il a fondé) à l'impeccable cohérence et The HeadShakers, groupe dont l'univers oseille entre funk, jazz et échappée hendrixiennes.
Cette nouvelle version de 200 motels est une grande réussite
Des les premiers accords envoûtants, la magie opère et l’irrésistible pouvoir de séduction de la Grande musique zappaienne, qui balance si naturellement entre le savant et le populaire, stimule notre imaginaire. (…)
Disons le tout net : cette nouvelle version de 200 motels mise en scène par Antoine Gindt (direction musicale Léo Warynski, réalisation vidéo Philippe Béziat) est une grande réussite.
Une interprétation précise et souple
Les Métaboles inaugurent leur résidence à Royaumont dans la nature des choses
Savamment construit, le programme reflète en effet les talents et l'identité des Métaboles (récemment salués par le 28e prix Liliane Bettencourt pour le chant choral) : huit artistes vocaux (formation la plus concentrée de cet ensemble modulable) vantent les mérites de l'art, de la nature et du lien entre polyphonie Renaissance et création contemporaine. Le concert dans le Potager-Jardin montre ainsi la modernité du "Chant des oiseaux" de Clément Janequin (1485-1558), l'envoûtement des nomades "Magic Songs" de Raymond Murray Schafer (compositeur écologiste, théoricien et enseignant canadien, né en 1933) avant "The Nature of Things", une création mondiale de Diana Soh (née à Singapour en 1984, et ayant composé cette oeuvre à l'issue d'une résidence à : un beau passage de relais donc avec Les Métaboles qui y entament la leur).
Parfaite entrée en matière, la pièce de Janequin associe déjà deux qualités cardinales des oeuvres suivantes : une interprétation précise et souple (à l'image de la direction du chef) et un effet de dissémination bruitiste doucement amplifiée par la vingtaine de haut-parleurs. Ceux-ci exprimeront leur plein potentiel en diffusant les retouches en temps réel sur la dernière pièce, avant cela ils soutiennent délicatement sans les trahir, les sons bouches fermées et aspirés des inuits mais également le cri du loup auxquels rend hommage "Magic Songs" de Raymond Murray Schafer.
Le choeur s'éclate alors au pourtour du jardin, entamant avec la création mondiale "The Nature of Things" de Diana Soh, un cheminement à travers la flore et les registres vocaux électroniques (des sirènes jaillissant de scies musicales, un chuchotement devenant didgeridoo digital et les souples cantilènes composant progressivement des extraits du "De Rerum Natura" écrit par l’épicurien Titus Lucretius Carus).
Les chanteurs donnent une vitalité galvanisante à l’ensemble
Cendo croise les univers dans le jour juste avant l'océan
C’est dans l’acoustique généreuse de l’église Sainte-Marie-Madeleine à Gennevilliers, ville où l’ensemble Multilatérale est en résidence, que Léo Warynski dirige en création mondiale "Le jour juste avant l’océan" de Raphaël Cendo, un Objet MusicalNon Identifié (OMNI), selon les termes du compositeur, qui met au centre du projet des textes du Barullo, « livre dodécaphonique » tout en saillies du dramaturge etscénographe hispano-argentin Rodrigo García.
La tâche de Léo Warynski est aussi délicate que bien assumée, au sein d’un univers oscillant entre contrainte et liberté, équilibre des forces et excès de son. Les chanteurs donnent une vitalité galvanisante à l’ensemble et l’énergie passe d’un ensemble instrumental à l’autre. Le titre de cet OMNI reprend celui de Bernard-Marie Koltès, "La nuit juste avant la forêt", dont Raphaël Cendo modifie les termes, préférant quant à lui filer la métaphore de la vague et de la submersion.
Soirée exceptionnelle
Le programme panorama était dédié au répertoire européen « d’un continent à l’autre, est-ouest », interprété a cappella par les voix cristallines et généreuses des sopranos, et des basses profondes et puissantes. Dirigé par Léo Warynski, chef d’orchestre et ancien membre de la Maîtrise de garçons de Colmar, tout comme Guillaume Ory avec sa basse profonde, ce concert a offert une carte de visite prestigieuse tout au long de cette soirée exceptionnelle vécue intensément par les mélomanes.
Une parenthèse divine dans une vie de mélomane
D’une rare intensité émotionnelle, le concert vocal produit pas l’ensemble Les Métaboles mardi soir à l’église Saints-Pierre et Paul d’Eguisheim a littéralement comblé un public venu en nombre.
Le geste précis, calme et professionnel, le chef de chœur Léo Warynski a emporté ses chantres dans un voyage extraordinaire d’Est en Ouest, d’un continent à l’autre comme l’annonçait si bien le titre du concert. Des pièces interprétées avec pureté par l’ensemble des chanteurs laissant s’échapper de profondes basses ou d’époustouflantes tessitures de ténors. Une harmonie vocale qui laissait sans voix le public médusé. (…) Il était dès lors très difficile de quitter les bancs de l’église lorsqu’inexorablement allait prendre fin ce concert et, redescendant sur terre, le public devait encore affronter les éléments. Gardant toutefois un souvenir inaltérable d’un moment de pur bonheur, une parenthèse divine dans une vie de mélomane.
Léo Warynski, qui confirme là sa capacité et celle de son ensemble vocal des Métaboles à rendre mélodieuses les musiques les plus improbables
Création du Papillon noir de Yann Robin - Monologue dans l'au-delà
Il aura fallu neuf ans au compositeur Yann Robin et à l’écrivain Yannick Haenel pour collaborer autour d’une œuvre lyrique. Le résultat n’en est que plus dantesque puisque les deux complices se sont entendus pour décrire le passage de la vie à la mort d’un être humain transgenre. Sous leur influence, cet instant fugace devient un moment d’éternité d’une heure quinze au cours duquel l’auditeur assiste, dans une ambiance de désagrégation sonore, à l’extinction d’un être vivant. Les cordes de l’Ensemble Multilatérale frottent, tapent et grincent, les cuivres aux embouchures retournées produisent des sons soufflés, les percussions battent comme un cœur affolé, tintent comme un glas ou martèlent les temps forts de cette descente aux enfers. Le chœur des Métaboles psalmodie des mantras du Livre des Morts tibétain (le Bardo Thödol) , halète comme une âme à bout de souffle, vocifère des mots secrets sous la direction énergique et inspirée de Léo Warynski.
« C’est une musique très énergique, puissante, déconnectée des notions de tonalité et d’atonalité et où le chœur mélange lyrisme et saturation du son pour que sa granulation fusionne avec celle de l’orchestre, témoigne le jeune chef Léo Warynski, qui confirme là sa capacité et celle de son ensemble vocal des Métaboles à rendre mélodieuses les musiques les plus improbables. Diriger le Papillon Noir implique de travailler sur la pulsation et le rythme et de gérer les énergies produites pour dramatiser l’action. C’est une direction très virtuose
...grande expertise
Voix de l'au-delà au Festival - Les Musiques de Marseille
À chaque Centre National de Création Musicale sa vitrine. Celle du GMEM à Marseille, le festival Les Musiques, levait son rideau avec "Le Papillon noir," ambitieux monodrame opératique de Yann Robin sur un texte de l'écrivain Yannick Haenel, mis en scène par Arthur Nauzyciel. La réunion de l'ensemble vocal Les Métaboles (12 chanteurs) et de l'Ensemble Multilatérale (13 instrumentistes) était assurément une riche idée. En premier lieu, parce qu'elle ouvre de façon flagrante l'écriture d'un compositeur que l'on commençait à associer de façon un peu trop systématique à la «saturation». Les sons écrasés des cordes ou fendus des anches sont certes là, comme les frappes sur la caisse des instruments ou sur les cordes du piano, ainsi que les renforts massifs de percussions. Mais ils ne constituent qu'une partie de la palette, riche aussi de lumières crues façon Ligeti,d'irisations subtiles, de résonances et de mixtures méticuleusement dosées. Chef attitré des Métaboles, Léo Warynski démontre également une grande expertise : son travail sur les équilibres entre les instruments et le chœur est remarquable, tout comme sa préparation de ce chœur aux quarts de ton, à l'exigence de tonus rythmique, et aux modes d'émission diversifiés - plusieurs textures de bruit blanc, registre strohbass, sons diffractés.
Léo Warynski accompagne avec allégresse le développement du discours musical par des mouvements amples et contrôlés
Autour d’un programme minutieusement préparé et presque exclusivement dédié aux compositeurs allemands, l’ensemble des Métaboles, dirigé par le talentueux jeune chef Léo Warynski, célèbre Noël au Collège des Bernardins dans une ambiance conviviale.
Considéré ensemble, ce chœur laisse percevoir une belles sensibilité aux nuances. Du pianissimo aux forte, il forme un tout homogène, et les piano subito sont heureusement attaqués. Léo Warynski accompagne avec allégresse le développement du discours musical par des mouvements amples et contrôlés. Son implication et son énergie sont notables, et ce dernier chante parfois presque avec les artistes, dans un crescendo dramatique
Léo Warynski. Le jeune chef qui monte
Léo Warynski, Le jeune chef qui monte.
Fondateur du chœur Les Métaboles, il est aussi directeur de l'ensemble Multilatérale.
Un artiste charismatique en pleine ascension.
La précision de la direction de Léo Warynski
Le lendemain, le week-end se referme dans le réfectoire des moines sur un programme élaboré autour de "Rothko Chapel" de Morton Feldman. Après un Steve Reich apéritif, "Know what is above you", miniature ciselée par Les Métaboles où se reconnaît l'empreinte du minimalisme hypnotique, "Whispers" (hommage à William Byrd) et "Three new motets in Memoriam Thomas Tallis" de Steven Stucky font retentir une décantation archaïsante magnifiée par les lieux comme par la précision de la direction de Léo Warynski. Augmentés de la percussion d'Hélène Colombotti et du célesta confié aux doigts d’Elisa Humanes, ainsi que de l'alto de Maxime Désert, les effectifs invitent à un voyage aux confins de l'éther dans la création que Feldman avait imaginée pour l'installation picturale laissée inachevée par Rothko à Houston.
La synergie de l’ensemble, l’homogénéité des pupitres et la clarté exemplaire de la diction
Le week-end de la contemporaine à Royaumont
"Know what is above you" de Steve Reich, pour voix de femmes et deux petits tambours, est une entrée en matière aussi courte que galvanisante. Les deux œuvres de Steven Stucky (1949-2016) pour chœur mixte, écrites dans une veine expressive et un langage plutôt consonant, laissent apprécier la synergie de l’ensemble, l’homogénéité des pupitres et la clarté exemplaire de la diction. Elles précèdent le chef d’œuvre attendu de Morton Feldman "Rothko Chapel" pour lequel on installe au entre de la scène le célesta tenu par Elisa Humanes. C’est l’altiste du Quatuor Tana, Maxime Désert, qui est à jardin, faisant face au set de percussions d’Hélène Colombotti. L’acoustique réverbérante des lieux est idéale pour fondre dans un même espace chaque intervention sans en altérer l’identité. L’équilibre fragile de cette musique infime est maintenu avec beaucoup de délicatesse par Léo Warynski.
En phase avec la percussion, l’alto conducteur de Maxime Désert est subtilement dosé, dans les dynamiques, la couleur et le vibrato, jusqu’à l’apparition du chant hébraïque qui apporte au terme de ce rituel étrange une fraicheur nouvelle et surprenante.
Si "Rothko Chapel" a été plusieurs fois donnée dans les mois précédents (notamment au Festival Manifeste), force est de constater que l’expérience d’écoute, renouvelée par l’espace et les interprètes, est chaque fois différente et oujours enrichissante.
L’esthétique sonore des Métaboles ? Grande adaptabilité, plasticité du son en fonction du répertoire, attention aiguë à l’homogénéité et à la justesse
Léo Warynski, entre chœur et orchestre – Un talent bien partagé
Une soirée à l’église des Billettes en décembre 2016 a été le cadre d’un des concerts les plus originaux de la saison dernière à Paris puisqu’il associait des pages de musique chorale a cappella américaine interprétées par le chœur les Métaboles de Léo Warynski à ... des fragrances imaginées par le parfumeur Quentin Bisch ! Étonnante expérience dont Jean-Guillaume Lebrun s’était fait l’écho dans nos colonnes. Léo Warynski est de retour pour une fin d’année bien occupée, de Royaumont à Strasbourg et de Rouen à Paris.
L’esthétique sonore des Métaboles ? Grande adaptabilité, plasticité du son en fonction du répertoire, attention aiguë à l’homogénéité et à la justesse. « Elle m’obsède, reconnaît Léo Warynski ; un chœur qui chante juste c’est un chœur qui sonne bien ! » Il compare la discipline du chœur à celle du quatuor à cordes : « même force émotionnelle qui procède de la fragilité de l’ensemble au départ. »
Les chanteurs, superbement dirigés par Léo Warynski, ont magnifiquement retracé le climat d’une bien étrange nuit américaine
Les Métaboles chantent la nuit américaine
... Les chanteurs, superbement dirigés par Léo Warynski, ont magnifiquement retracé le climat d’une bien étrange nuit américaine, au sein de laquelle se sont épanouies les musiques parfois planantes, toujours touchantes, signées Samuel Barber, Eric Whitacre, Morten Lauridsen, Morton Fedman et Aaron Copland.
Les Métaboles ravissent le public avec leur chant impeccable
Les semaines musicales de Quimper
Deux concerts mémorables. D'un côté, les Métaboles ravissent le public avec leur chant impeccable. De l'autre, le Duo Estampes impressionne par sa maîtrise instrumentale.
Trois rappels. Le public ne pouvait plus laisser partir les chanteurs des Métaboles et leur chef,Léo Waryinski. Il faut dire que le programme était original, peu connu et surtout interprété avec une rare perfection
Le concert a été imaginé par le jeune chef avec plusieurs étapes, du crépuscule à l'endormissement, puis l'aurore... Entre temps, le sommeil, le rêve... En débutant par les "Motets" d'Aaron Copland, cette soirée annonçait une très belle nuit à venir. Puis le "Whisper" de Steven Stucky, très bel hommage à l'"Ave Verum" de Byrd, suivi des pièces de Morton Feldman et le "O magnum mysterium" de Morten Lauridsen dont le caractère méditatif conduisait en toute sérénitévers un sommeil profond.La seconde partie de ce concert était consacrée à Samuel Barber. Le plus connu des compositeurs américains en France, avec la seule pièce qui ait traversé l'Atlantique,l'incontournable AgnusDei, qui fut d'abord un quatuor à cordes, a ému le public. En guise de rappel, les artistes avaient choisi d'interpréter une transcription de "Jardin Féerique" de Maurice Ravel, mais le public a pu savourer de nouveau deux pièces du programme, "Sleep" d'Eric Whitaker, et "O magnum mysterium",encore une fois longuement salué. Le festival touche à sa fin, et restera très certainement marqué par cette soirée avec les Métaboles, placée sous le signe de la perfection.
Il faut saluer la grande beauté de l’ensemble, la pureté des timbres et le raffinement de ces jeunes chanteurs qui leur permettent d’avoir une sonorité unique
Une nuit américaine – œuvres de Copland, Barber, Feldman, Whitacre
Les Métaboles proposent un beau panorama d’œuvres vocales toutes empreintes d’une grande ferveur sans jamais tomber dans un dramatisme pompier, écueil fatal à nombre de compositeurs contemporains actuels. (…)… il faut saluer la grande beauté de l’ensemble, la pureté des timbres et le raffinement de ces jeunes chanteurs qui leur permettent d’avoir une sonorité unique qu’on aimerait entendre dans "Rothko Chapel" de Feldman plutôt que dans l’anecdotique "Christian Wolf in Cambridge".
Excellent disque intitulé « Une Nuit américaine »
La curiosité et l’enthousiasme des Métaboles (…) ont rencontré ceux du public : l’église des Billettes était comble pour un concert qui fait écho à la récente parution sur label NoMadMusic d’un excellent disque intitulé « Une Nuit américaine » (…). L’engagement des chanteurs, sensible tout au long du concert, épouse la direction souple et limpide de Léo Warynski, qui révèle tour à tour le clair et l’obscur, le dense et le ténu.
Les Métaboles poursuivent leur inscription dans un paysage de l’excellence chorale française
Après six ans d’existence, Les Métaboles poursuivent leur inscription dans un paysage de l’excellence chorale française qui, d’Accentus à Aedes, ne manque plus de valeurs sûres.
Le public est manifestement sorti conquis
Un tube pour finir : le célébrissime "Agnus Dei", où se distingue, lors de la montée dans l’aigu, le remarquable pupitre de sopranos des Métaboles. Il faut dire que Léo Warynski veille au grain, en bon maître-horloger du tactus propre à chaque morceau : on perçoit un vrai tempérament de chef (d’orchestre) dans cette manière à la fois souple et charismatique de donner les entrées. Venu très nombreux, le public est manifestement sorti conquis par l’expérience, réservant un triomphe aux artistes.
Les Métaboles excellent dans les nuances
Les Métaboles excellent dans les nuances et la lecture semble, en fait, ne faire qu’un avec la musique elle-même.
Léo Warynski pose petit à petit les pièces qui font de lui un grand chef d’orchestre
Léo Warynski pose petit à petit les pièces qui font de lui un grand chef d’orchestre. La musique s’impose comme un choix de liberté pour le jeune chef. Avec un répertoire large de plus d’un millénaire, Léo Warynski se refuse encore à choisir un style ou une époque précise. Ouvrant sans cesse le champ de ses possibles, il a récemment innové en proposant un album puis un concert autour du thème de la Nuit Américaine.
L'ensemble Les Métaboles se hisse avec cette gravure au premier rang des chœurs européens
Le coup de cœur de cette semaine va au nouvel album des Métaboles, Une Nuit Américaine. On est plein d'admiration pour Léo Warynski, ce jeune chef de choeur et d'orchestre, (...) un interprète moderne, tout à fait excellent, et surtout un très fin musicien qui sait parfaitement mener son ensemble.
L'ensemble Les Métaboles se hisse avec cette gravure au premier rang des chœurs européens, à égalité à mon sens avec le Rias Kamerchor, l'ensemble vocal de la SWR de Stuttgart et les meilleurs chœurs anglais (…) Ils nous surprennent totalement pas leur maturité vocale et musicale alors qu'ils n'existent que depuis 2010.
Un des meilleurs chœurs français à l’heure actuelle
Un programme hors des sentiers battus, assez pointu, par un des meilleurs chœurs français à l’heure actuelle
Une réussite telle que celle du programme Une Nuit américaine...
Une réussite telle que celle du programme Une Nuit américaine, que le chœur Les Métaboles vient d’enregistrer avec le label NoMad Music, mérite d’être fêtée dignement !
Un fastueux bouquet d'émotions
une excellente technique projetée dans un florilège de partitions (…) pour un fastueux bouquet d’émotions. Toujours subtile, l’interprétation est parfaitement maitrisée et ductile.
Un magnifique disque qui ravira les amateurs de chant choral a capella au plus haut niveau
Un magnifique disque qui enchantera tous les amateurs de chant choral a cappella au plus haut niveau ainsi que les curieux qui veulent découvrir des œuvres rarement entendues dans notre pays. L'exécution met en évidence un ensemble vocal professionnel français de grande qualité sur lequel il faudra désormais compter.
Une des grandes formations chorales françaises
En cette semaine d’élections aux États-Unis, le coup de coeur de En Pistes va au dernier disque de l’ensemble vocal Les Métaboles intitulé Une Nuit américaine. Un disque fait de découvertes qui impose les Métaboles comme une des grandes formations chorales françaises.
Sous la direction précise de Léo Warynski, les vingt-huit chanteurs proposent une belle illustration de leurs talent
Une époustouflante immersion dans la musique sacrée de l’ancien bloc soviétique
L’ensemble Les Métaboles signait mardi soir, en l’église protestante Saint-Pierre-le-Jeune, une époustouflante immersion dans la musique sacrée de l’ancien bloc soviétique, a cappella ou accompagné par l’organiste Denis Comtet. Au milieu d’une soirée suspendue durant laquelle le public captif a pu admirer toutes les qualités revendiquées de ce jeune ensemble (…) : homogénéité et justesse exceptionnelles, rondeur de la texture, lecture erratique et objective des partitions.
Le public ovationnait longuement Les Métaboles, leur chef de chœur et leur « chef d’odeurs »
Sur un fond sonore grave et masculin évoquant les dernières lourdeurs du sommeil, les sopranes donnèrent leurs plus beaux aigus pour traduire, d’un crescendo chromatique aboutissant à un fortissimo débordant les voûtes de l’église, le retour du jour et l’explosion de lumière d’un Agnus Dei magnifique de ferveur. Comme ramené à la conscience, le public ovationnait longuement Les Métaboles, leur chef de chœur et leur « chef d’odeurs », obtenant un double bis qui compléta harmonieusement la soirée.
Une belle homogénéité
Le chœur Métaboles fait preuve d’une belle homogénéité, et dans les voix aigus, d’une sensibilité très touchante.
Die faszinierendste Vokalmusik-Veröffentlichung des Jahres
Dies ist – zumindest für mich – die faszinierendste Vokalmusik-Veröffentlichung des Jahres. »
(C'est - tout au moins pour moi - la publication de musique vocale la plus fascinante de l'année.)
L’homogénéité de l’ensemble ne fait aucun doute
Une qualité vocale exceptionnelle
Un choix de répertoire peu interprété, une qualité vocale exceptionnelle, un sens de la nuance et de l’interprétation qui révèlent un travail monumental et un sens de l’écoute très précis.