Le superbe voyage dans le temps des Métaboles à Vézelay

29/08/2023
Bachtrack - Patrice Lieberman
Symphonie chorale

Quelques heures après le concert exceptionnel donné par l'Ensemble Correspondances à Vault-de-Lugny, le public des Rencontres musicales de Vézelay est de retour en ce vendredi soir dans la majestueuse Basilique pour le très attendu programme donné par le chœur Les Métaboles (placé sous la direction de Léo Warynski), intitulé « Symphonie chorale » – ce qui aura certainement attisé la curiosité de plus d’un mélomane.

En fait, c’est à un voyage dans le temps que les auditeurs sont conviés, puisque c’est par l’illustre motet à 40 (!) voix Spem in alium (1570) de Thomas Tallis que s’ouvre la soirée. Les chanteurs sont ici réunis en cercle autour du chef, et on reste admiratif autant de la façon dont fuse à tout moment la musique que par la qualité de l’exécution. Le reste du programme ne fera que le confirmer : on est ici en présence d’un ensemble de première force réunissant – selon les œuvres – jusqu’à 49 chanteurs tous jeunes, parfaitement sûrs sur le plan technique autant qu’enchanteurs sur celui de la beauté et de la fraîcheur vocales. Quant à Léo Warynski, il sculpte la musique (comme il le fera tout au long de la soirée) avec un remarquable sens de la construction.

Ce tour de force de la Renaissance est suivi par une œuvre récente (2020) de Francesco Filidei (né en 1973). Composée sur un texte assez décousu, en vers très brefs du poète Nanni Balestrini, la pièce voit le compositeur italien recourir à une vaste gamme de techniques vocales, maîtrisées sans problèmes par cette excellente formation. C’est ainsi que l'ouvrage commence par une alternance d’inspirations et d’exhalaisons avant de passer à des notes tenues. Filidei a recours à une dynamique très étendue, passant du murmure à des crescendos débouchant sur une véritable houle sonore. Ici, l’intelligibilité du texte est secondaire par rapport à la liberté rythmique et à l’indépendance des voix. Cette intéressante partition se conclura comme elle avait commencé, sur un souffle. Le chef, invariablement souriant et élégant dans sa gestuelle, peut compter sur un ensemble de premier ordre, les sopranos éthérées et les mezzo-sopranos fruitées se faisant particulièrement apprécier.

Le célébrissime Adagio de la Cinquième Symphonie de Mahler n’est pas donné ici dans la transcription pour chœur bien connue de Clytus Gottwald, mais dans une version du compositeur Gérard Pesson à treize voix qui prend pour texte des poèmes et des extraits du journal du poète allemand August von Platen, rédigés à Venise – où se passe justement le film de Visconti qui a beaucoup fait pour la popularité de ce morceau. Des trois solistes, la soprano Anne-Laure Hulin est particulièrement sollicitée et s’en tire avec les honneurs, comme ses collègues Laura Muller (alto) et Marco van Baaren (ténor).

Le sommet de la soirée est atteint par le rare Concerto pour chœur (1985) d’Alfred Schnittke, écrit sur une traduction russe d’un chef-d’œuvre de la poésie arménienne médiévale, le Livre des chansons tristes du moine Grégoire de Narek. Écrite en quatre parties, cette œuvre de grandes dimensions (trois-quarts d’heure) et d’une réelle hauteur de vues n’est pas de celles qui révèlent tous leurs mystères à la première écoute. L’écriture, très dense, est parfois percée de prenants solos où s’illustrent à nouveau Marco van Baaren ainsi que la soprano Maya Villanueva et la basse Guillaume Olry.

Schnittke réussit ici l’exploit de la fidélité à la musique liturgique orthodoxe et à son style homophonique et sonore couronné de vocalises extatiques. Ce n’est cependant pas une copie servile qu’il nous propose ici dans cette partition hors du commun, mais une fascinante exploration d’une tradition, dans une œuvre qui réussit à faire aller de pair l’humilité du croyant face à la grandeur de la Création, la foi inébranlable et émerveillée comme la joie et la gratitude qui transportent le fidèle. L’ensemble s’achève sur une très belle impression de lumineuse sérénité. Le chef et son remarquable ensemble se sont impliqués totalement pour nous donner une interprétation aussi virtuose que prenante de cette partition hors du commun.