Cummings

Un  programme éclectique qui est l’une de ses marques de fabrique de Léo Warynski avec le Stabat Mater de Palestrina dans une soirée clairement orientée vers la musique contemporaine, Cummings ist der Dichter de Boulez et deux créations de François Meïmoun et Francesco Filidei.

Lien vidéo : concert sur le site "live" de la Philharmonie
Lien son : concert enregistré par France Musique

Coproduction les Métaboles, Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris

CUMMINGS


Pierre BoulezCummings ist der Dichter, pour seize voix et orchestre
François MeïmounLe Rite de la nuit noire. Voyage d'Artaud au Mexique
Commande de l'Ensemble intercontemporain, création mondiale
Giovanni Pieruigi da PalestrinaStabat Mater
Francesco Filidei, Requiem, pour voix et ensemble
Commande de l'Ensemble intercontemporain, des Métaboles, de la Casa da Musica de Porto, création française


Les Métaboles (16 chanteurs)
Ensemble Intercontemporain
Léo Warynski, direction

Dans la presse...

La qualité transcendante du concert de l’Ensemble intercontemporain et du chœur des Métaboles

Figaro - Christian Merlin - Cummings

Mais on retiendra avant tout la qualité transcendante du concert de l'Ensemble intercontemporain et du chœur Les Métaboles dirigés par Léo Warynski. La fluidité et les dégradés de nuances dont il fait preuve dans le très subtil Cummings ist der Dichter confirment un chef de premier ordre. Et comme Boulez préférait la création au musée, justice est rendue à la nouveauté, avec l'éloquent Rite de la nuit noire de François Meïmoun, et surtout le chef-d'œuvre incontestable qu'est le Requiem de Francesco Filidei

Léo Warynski a apporté une nouvelle preuve de son talent et de son éclectisme

ConcertClassic- Alain Cochard
 - Cummings

Léo Warynski a apporté une nouvelle preuve de son talent et de son éclectisme

ConcertClassic- Alain Cochard - Cummings

LÉO WARYNSKI DIRIGE LES MÉTABOLES ET L’EIC À LA CITÉ DE LA MUSIQUE (STREAMING) – LE CHOC FILIDEI

Presque un an après un superbe disque « Jardin féerique » à la tête de son chœur Les Métaboles, quelques semaines après avoir dirigé avec succès Akhnaten de Philip Glass avec les forces de l’Opéra de Nice, Léo Warynski a apporté une nouvelle preuve de son talent et de son éclectisme à la Cité de la musique lors d’un concert Boulez, Palestrina, Filedei et Meïmoun (avec Les Métaboles et l’Ensemble Intercontemporain) inscrit dans le cadre de la Biennale Boulez. Un rendez-vous sans public diffusé en streaming, auquel la presse pouvait assister avec toutes les précautions d’usage.
 
Aussi remarquable chef de chœur que d’orchestre, Léo Warynski ouvre le programme par Cummings ist der Dichter de Boulez (une pièce sur un texte de e. e. Cummings élaborée en 1970 et révisée en 1986) : on ne peut qu’être admiratif de la précision avec laquelle il explore l’ouvrage ; précision jamais sèche ni excessivement tranchante qui sait restituer toute la vie intérieure de la partition.
Saut dans un passé lointain ensuite avec le Stabat Mater pour double chœur de Palestrina que le chef et ses choristes abordent avec autant de fluidité que d’équilibre. La présence du compositeur de la Renaissance finissante dans ce contexte peut a priori étonner ; elle se comprend mieux en fonction de l’ouvrage qui lui succède, de l’Italien Francesco Filidei (né en 1973), un compositeur admiratif de la « perfection quasi magique » des œuvres de l'ancien maître de chapelle de Saint-Pierre de Rome.

Son Requiem pour 16 voix et ensemble instrumental (en première française, la création mondiale a été donnée à la Casa da Música de Porto le 20 octobre 2020, sous la direction de Peter Rundel) obéit à la structure classique (Introït, Kyrie, Dies irae, Agnus Dei). «Un fantôme qu’il faut habiter de l’intérieur », dit F. Filidei de sa rencontre avec la forme requiem – forme « morte » à ses yeux –, maintes fois illustrée dans l’histoire de la musique. Quelle rencontre !, et quel choc pour l’auditeur que cette partition d'un seul tenant, d’une densité rare qui, dès les premières notes vous happe, telle une berceuse infernale, et vous tient en haleine une demi-heure durant, jusqu’au libérateur Agnus Dei conclusif, par la nécessité de son propos, la variété de ses textures – et une théâtralité fièrement revendiquée !  Forme morte que le requiem ? En ce début de XXIe siècle, Filidei ajoute en tout cas un authentique chef-d’œuvre à une liste déjà longue.

Conclusion purement orchestrale, Le Rite de la nuit noire. Voyage d’Artaud au Mexique pour seize instrumentistes (en création) de François Meïmoun (né en 1979) s’inspire du « rite du soleil » chez les indiens tarahumas. «J’ai voulu composer et mettre en scène une musique droguée », confie le jeune compositeur au sujet d’une pièce, fermement conduite par L. Warynski, qui capte certes l’attention durant ses premières minutes mais se prend trop à son jeu, paraissant bientôt longuette tant par sa répétitivité que son excessive compacité.

Honneur à Boulez à la Philharmonie par les Métaboles et l’Intercontemporain

Resmusica -Patrick Jézéquel
 - Cummings

Honneur à Boulez à la Philharmonie par les Métaboles et l’Intercontemporain

Resmusica -Patrick Jézéquel - Cummings

On comprend que Pierre Boulez (1925-2016) ait été séduit par la poésie d’E. E. Cummings (1894-1962), centrée sur la grammaire et radicale dans son exploitation des pouvoirs insoupçonnés de l’écriture, tout comme de ceux de la typographie et de la disposition du texte sur la page. Qu’il le considère ainsi comme « Le » poète (« der Dichter ») et qu’il ait voulu donner à entendre ce qui joue sur les effets de sens les plus imperceptibles, en déplaçant, masquant, défigurant les signes linguistiques et les marques de ponctuation. Elle-même jubilatoire, foisonnante et vibrionnante, Cummings ist der Dichter (1970), superpose les longues tenues vocales et une activité orchestrale fébrile et plus discontinue. Résultat : la fusion heureuse d’une nappe sonore suspendue à sa lente transformation et le surgissement d’événements brefs qui viennent la bousculer. La pièce de Boulez est ainsi perçue, à l’égal du poème de Cummings, comme ce qui arrive. Visiblement heureux de la diriger, Léo Warynski, tel un prédicant, se tourne à la fin en brandissant la partition. Stabat Boulez !

« Cummings » est le titre de cette célébration musicale, sans doute pour insister sur la place éminente que le Verbe y occupe. Composé sur un texte médiéval relatant la souffrance de Marie éplorée devant son fils crucifié, le Stabat Mater (c. 1590) de Palestrina pour huit voix est écrit dans le style antiphoné, seize chanteurs étant séparés en deux chœurs. D’emblée, l’auditeur est porté par ce qui fleure bon le chant grégorien et touche au sublime avec une sorte de détachement, mais sans froideur. Et c’est avec une impression de naturel que les Métaboles portent ce très beau moment flottant où impersonnel rime avec intemporel.

La magie que dégage une perfection atteinte, c’est ce que relève Francesco Filidei (né en 1973) au sujet de Palestrina, qu’il cite d’ailleurs dans son opéra Giordano Bruno (2016). Les polyphonies de la Renaissance sont encore là dans son Requiem (2020), commande de l’Ensemble Intercontemporain, des Métaboles et de la Casa da Musica de Porto, donné aujourd’hui en création française. Y alternent, dans une dynamique dramatique, des plages méditatives et des épisodes précipités d’une « théâtralité opératique », comme l’indique lui-même le compositeur. Ainsi le rhombe commence-t-il par nous faire entrer dans la danse du temps, manifestant le présent dans sa permanence et l’inscrivant dans un temps immémorial dans lequel lentement sont gravées par des chanteurs hiératiques (16 en tout) les premières syllabes du requiem. Un climat est posé. C’est magnifique. Les instruments (17 en tout) font progressivement leur entrée, tout d’abord les cordes frétillant dans des tremolos pianissimos, avant que l’orchestre ne gonfle dans un crescendo qui finit par s’éteindre abruptement, comme souvent chez Filidei. Introït, Kyrie, Dies Irae, Agnus Dei : le canon liturgique est respecté à la lettre ; à la musique, et seulement elle, de réinventer un genre ancien et figé. Si la présence lointaine de Ligeti peut se faire entendre dans le Kyrie, le Dies Irae, beaucoup plus charnel, plus fort, plus rythmé, se place sous le signe de Verdi. La tension retombe dans la lente respiration du chant qui s’élève et décline dans une fin apaisée. Le souffle léger du rhombe referme la boucle. Nul doute que le Requiem de Filidei fera date !

Pour finir, une pièce purement instrumentale, commandée par l’Ensemble Intercontemporain et donnée en création mondiale. Le Rite de la nuit noire / Voyage d’Artaud au Mexique (2020) de François Meïmoun (né en 1979) se présente comme une œuvre d’un seul geste lancé sur un pied de guerre dans le registre grave, le beau chaos d’une écriture très serrée et sans aucune relâche. Le compositeur a voulu transcrire l’effet du peyotl sur la musique, qui semble effectivement hallucinée. Du peyotl, petit cactus poussant au Mexique, les indiens Tarahumaras tirent une drogue qu’ils utilisent lors d’un rite de transe. En 1936, Artaud assista à l’un d’eux. Un thème se déploie à plusieurs vitesses, porté par les bois et les cuivres, tandis que les deux timbaliers s’en donnent à cœur joie et que le piano tente d’exister dans sa solitude de soliste. Tout est joué forte et presto. Presque une épreuve pour l’auditeur. Un œuvre réussie pour conclure ce programme, marqué par un engagement total.

... la combinaison de clarté dynamique et d'agile énergie qui caractérise Léo Warynski

Olyrix - Charles Arden - Cummings

Naissance et Re-Naissance, passionnées et passionnantes, sont au programme de ce concert capté dans la Cité de la Musique-Philharmonie de Paris. La musique de Pierre Boulez continue ainsi de renaître cinq ans après sa mort, la musique continue de naître avec le fascinant Requiem de Francesco Filidei (né en 1973 et qui avait notamment marqué le monde lyrique par son opéra L'Inondation), d'autant que cette renaissance résonne avec le Stabat Mater de Palestrina (compositeur de la Renaissance musicale : au XVIe siècle à Rome). La musique continue ainsi de renaître même en temps de confinement, captée et à huis clos mais grâce à l'immense travail continu de l’Ensemble intercontemporain, de l'Ensemble vocal Les Métaboles et de Léo Warynski. Le chef rappelle même, avant le concert, combien les musiciens ont besoin de ce retour à la musique et de cette présence physique.

Le plaisir de retrouver la musique est ainsi visible et audible, pour ces instrumentistes et chanteurs qui tous et ensemble, exploitent la richesse de leurs timbres individuels au service du projet musical commun (guidés par la combinaison de clarté dynamique et d'agile énergie qui caractérise Léo Warynski). Pourtant, que les timbres et jeux sont riches dans ces musiques ! Une disposition le figure, parmi bien d'autres : les cuivres partagent les pupitres mais chacun a une petite table avec ses différentes sourdines (comme autant de variations sonores à exploiter). La contrebasse à elle seule traduit cette richesse : loin de seulement jouer les utilités en doublant le son du violoncelle dans le grave, elle a ici une place soliste de choix et même d'honneur, au premier rang, en face à la droite du chef (la place d'un premier violoncelle). 

Cette richesse instrumentale dialogue pleinement avec la richesse vocale dans Cummings ist der dichter de Boulez et le Requiem de Francesco Filidei. La première détaille et nimbe à la fois la fascination des poèmes d'E. E. Cummings (1894-1962). La seconde articule chaque syllabe liturgique du Requiem, avant de ressouder les phrases. Les deux composent un indissociable lien de dialogue entre musique instrumentale et chant : deux plaques tectoniques qui se répondent, résonnent et s'affrontent dans un équilibre savant même dans leurs plus grands éclats d'intensité. Les voix doivent et savent déjà filer, dès les puissantes intensités sur les grands accents, la douceur et longueur de souffle qui se prolongera dans les résonances decrescendo. Les Métaboles mettent la richesse universelles et individuelles des voix dans le Stabat Mater de Palestrina au service de Boulez et Filidei, le motet de la Renaissance tardive étant idéalement placé entre les deux pièces contemporaines.

Le concert se referme sur une cavalcade : Le Rite de la nuit noire. Voyage d’Artaud au Mexique (création mondiale de François Meïmoun). De rares clairières musicales sur des mélodies pentatoniques (aux couleurs d'Asie) reconfigurent des rythmes obstinés martelant cette œuvre, constamment intense et frénétique. Une pièce qui aurait bien mieux convenu pour débuter le programme en lançant le geste énergétique, une pièce qui était initialement attendue en deuxième place du programme mais qui a visiblement due être reportée en fin de concert pour aider les musiciens à prendre le temps de se chauffer, de se déconfiner musicalement.

Un échauffement qui contribue aussi à ce sentiment de Re-Naissance.

... la combinaison de clarté dynamique et d'agile énergie qui caractérise Léo Warynski

Olyrix - Charles Arden - Cummings

Naissance et Re-Naissance, passionnées et passionnantes, sont au programme de ce concert capté dans la Cité de la Musique-Philharmonie de Paris. La musique de Pierre Boulez continue ainsi de renaître cinq ans après sa mort, la musique continue de naître avec le fascinant Requiem de Francesco Filidei (né en 1973 et qui avait notamment marqué le monde lyrique par son opéra L'Inondation), d'autant que cette renaissance résonne avec le Stabat Mater de Palestrina (compositeur de la Renaissance musicale : au XVIe siècle à Rome). La musique continue ainsi de renaître même en temps de confinement, captée et à huis clos mais grâce à l'immense travail continu de l’Ensemble intercontemporain, de l'Ensemble vocal Les Métaboles et de Léo Warynski. Le chef rappelle même, avant le concert, combien les musiciens ont besoin de ce retour à la musique et de cette présence physique.

Le plaisir de retrouver la musique est ainsi visible et audible, pour ces instrumentistes et chanteurs qui tous et ensemble, exploitent la richesse de leurs timbres individuels au service du projet musical commun (guidés par la combinaison de clarté dynamique et d'agile énergie qui caractérise Léo Warynski). Pourtant, que les timbres et jeux sont riches dans ces musiques ! Une disposition le figure, parmi bien d'autres : les cuivres partagent les pupitres mais chacun a une petite table avec ses différentes sourdines (comme autant de variations sonores à exploiter). La contrebasse à elle seule traduit cette richesse : loin de seulement jouer les utilités en doublant le son du violoncelle dans le grave, elle a ici une place soliste de choix et même d'honneur, au premier rang, en face à la droite du chef (la place d'un premier violoncelle). 

Cette richesse instrumentale dialogue pleinement avec la richesse vocale dans Cummings ist der dichter de Boulez et le Requiem de Francesco Filidei. La première détaille et nimbe à la fois la fascination des poèmes d'E. E. Cummings (1894-1962). La seconde articule chaque syllabe liturgique du Requiem, avant de ressouder les phrases. Les deux composent un indissociable lien de dialogue entre musique instrumentale et chant : deux plaques tectoniques qui se répondent, résonnent et s'affrontent dans un équilibre savant même dans leurs plus grands éclats d'intensité. Les voix doivent et savent déjà filer, dès les puissantes intensités sur les grands accents, la douceur et longueur de souffle qui se prolongera dans les résonances decrescendo. Les Métaboles mettent la richesse universelles et individuelles des voix dans le Stabat Mater de Palestrina au service de Boulez et Filidei, le motet de la Renaissance tardive étant idéalement placé entre les deux pièces contemporaines.

Le concert se referme sur une cavalcade : Le Rite de la nuit noire. Voyage d’Artaud au Mexique (création mondiale de François Meïmoun). De rares clairières musicales sur des mélodies pentatoniques (aux couleurs d'Asie) reconfigurent des rythmes obstinés martelant cette œuvre, constamment intense et frénétique. Une pièce qui aurait bien mieux convenu pour débuter le programme en lançant le geste énergétique, une pièce qui était initialement attendue en deuxième place du programme mais qui a visiblement due être reportée en fin de concert pour aider les musiciens à prendre le temps de se chauffer, de se déconfiner musicalement.

Un échauffement qui contribue aussi à ce sentiment de Re-Naissance.

...on a la certitude d’avoir assisté à l’éclosion d’une œuvre majeure de notre temps

Toute la Culture - Gilles Charlassier
 - Cummings

...on a la certitude d’avoir assisté à l’éclosion d’une œuvre majeure de notre temps

Toute la Culture - Gilles Charlassier - Cummings

Hommage à une des figures majeures de la musique de la seconde moitié du vingtième siècle – et des premières années du vingt-et-unième, la Biennale Boulez à la Philharmonie de Paris s’affirme comme un des grands rendez-vous de la saison en matière de musique contemporaine. Le programme présenté par Léo Warynski à la tête de l’Ensemble Intercontemporain et de son ensemble Les Métaboles condense idéalement cette inscription de la musique d’aujourd’hui au cœur même du répertoire.

C’est avec une pièce relativement peu jouée de Boulez que s’ouvre le concert, Cummings ist der Dichter, pour seize voix et orchestre. Organisée autour de la superposition de la couche vocale, tissu modulatoire de phonèmes plutôt que de mots, et d’une ponctuation instrumentale recherchée et évolutive, la pièce met en valeur la qualité des solistes des Métaboles, avec une articulation aussi souple que précise au plus près de la matière sonore, et que l’on retrouve dans l’admirable décantation du Stabat Mater de Palestrina, interprété dans une disposition de consort quasi intimiste assez en usage dans la musique de la Renaissance. La polyphonie se déploie avec un dépouillement et une pureté qui résonnent comme une évidence, et dont la décantation répond au complexe kaléidoscope boulézien.

Créé à la fin de l’année 2020 à la Casa da Musica de Porto, commanditaire conjoint avec l’Intercontemporain, le Requiem, pour voix et ensemble, de Francesco Filidei, donné en première française, est le fruit d’un musicien inspiré en pleine possession de ses moyens. Sans céder à la facilité, l’oeuvre est de celles qui affirment assez de générosité pour attirer vers elles l’auditeur et l’inviter à l’exploration de leur univers musical. Car la richesse de l’écriture, tant orchestrale que vocale, de la pièce façonne une dramaturgie aux confins du rituel, où l’effet s’enracine dans une plongée au cœur du grain sonore. La longue séquence étale inaugurale immerge dans un espace indéfini, teinté de mystère et d’attente, et habité par des couleurs parfois étranges qui se confrontent à la plasticité du silence. Le Dies Irae dégage une puissance irrésistible, où l’empreinte implacable du rythme modèle de façon organique l’entropie harmonique. Le raffinement et le cisèlement des saveurs instrumentales, constant tout au long des quarante minutes de la partition, se conjugue à une authentique jubilation imprégnée d’une spiritualité indifférente aux chapelles religieuses. Cette œcuménisme que l’on retrouve dans une palette aussi large que personnelle n’hésite pas à distiller un lyrisme d’une pureté ineffable, comme dans le Lacrymosa. A la fin de ce Requiem qui, chose assez rare dans la création contemporaine, marque durablement l’auditeur, on a la certitude d’avoir assisté à l’éclosion d’une œuvre majeure de notre temps. Le prolixe et touffu Rite de la nuit noire – Voyage d’Artaud au Mexique de François Meïmoun, autre commande de l’Intercontemporain, donné en guise d’épilogue, contraste par son écriture au fond passablement fruste, propice à une jouissance furieuse, du moins des instrumentistes. Le choix du mélomane, lui, sera sans doute fait.

Biennale Pierre Boulez - Créations signées François Meïmoun et Francesco Filidei

Anaclase - Bertrand Bolognesi
 - Cummings

Biennale Pierre Boulez - Créations signées François Meïmoun et Francesco Filidei

Anaclase - Bertrand Bolognesi - Cummings

Alors qu’il travaille à Oubli, signal lapidé, une pièce pour douze voix sur des vers d’Armand Gatti (retirée du catalogue) que l’Ensemble Marcel Courau créerait à Cologne à l’automne 1952, Pierre Boulez découvre, à l’invitation de John Cage, l’œuvre du poète étasunien Edward Estlin Cummings. Plongé dans l’univers de Mallarmé qui le conduira, à partir de 1958, à construire Pli selon Pli volontiers considéré par les commentateurs comme son chef-d’œuvre, le musicien fait en 1970 une halte du côté de Cummings dont la poésie lui semble d’emblée offrir une continuité plus ou moins mallarméenne. À sa création à Ulm le 25 septembre 1970, cummings ist der dichter – contrairement à l’allemand qui convoque la majuscule pour chaque nom commun (Dichter) et à la convention de la majuscule pour le nom propre, le titre n’utilise que des minuscules, comme en double-écho à la signature usuelle du poète qui s’en privait (e. e. cummings)– a nécessité deux chefs (Boulez lui-même et Clytus Gottwald), tant la pièce présentait de difficulté. Lorsqu’il la révise en 1986, l’auteur la simplifie considérablement, en favorise la perception optimale et renonce à sa dimension ouverte d’origine. De cette page moins fréquentée conçue pour seize voix mixtes et vingt-sept instruments – parmi lesquels trois harpes, déjà, qui solutionnent les affres de l’écriture pour ce médium –, l’on goûte, dans la lecture vive de Léo Warynski, à la tête du chœur Les Métaboles et de l’EIC, la fort belle profondeur des timbres, mise en relief par la clarté des voix.

Après une interprétation subtile du bref Stabat Mater de Giovanni Pierluigi da Palestrina qui en livre toute la finesse, le programme se poursuit par la première française du Requiem pour voix et quinze instrumentistes de Francesco Filidei dont la création mondiale fut assurée par Peter Rundel à la tête du Coro Casa da Música et du Remix Ensemble, le 20 octobre 2020 à Porto. Évoquant volontiers le genre requiem comme « un fantôme à habiter de l’intérieur » dans l’entretien mené par Thomas Vergracht (brochure de salle), le compositeur toscan s’affirme bien conscient du poids du passé, à la fois liturgique et musical : plutôt que d’opter pour une attitude timorée, ce qui aurait d’ailleurs risqué de limiter l’approche au renoncement pur et simple, l’artiste se saisit des archétypes, entre le théâtre appuyé de Verdi pour le Dies iræ et la suspension extatique de Duruflé quant au Kyrie, entre autres références avouées. Après une entrée fort intrigante où accordéon et rhombe se marient dans une sonorité mystérieuse, un ostinato s’enrichit progressivement jusqu’à la rupture, soit l’arrivée du texte : re-qui-em choral espacé, fragmenté, dont frappe la radicale dessiccation. Suspendu aux cloches, le Kyrie se révèle dolent au fil d’une sorte de continuo enveloppant. Des scansions chuchotées donnent au Dies iræ un lustre presque tribal que rehaussent percussions et sifflets. En quasi-surplace, l’électricité répétitive de Rex tremendæ est confrontée à l’instrumentarium inventif cher au musicien. Soudain surgit une manière de chants populaires, séduisante bigarrure surnuméraire bientôt suivie par quelques cris confiés aux instrumentistes eux-mêmes, quand les choristes revêtent le masque actuellement réglementaire. Succédant à l’isolement solistique du Lacrymosa, l’écriture de l’Agnus Dei se pare d’un archaïsme saisissant, pour finir dans le funèbre zéphir liminaire.

Auteur du brillant essai La construction du langage musical de Pierre Boulez, François Meïmoun s’est tôt attaché à l’œuvre entière d’Antonin Artaud. En réponse à la commande de l’EIC, il s’est penché sur l’un des textes réunis dans Les Tarahumaras (L'Arbalète, 1955) : Tutuguri, Le rite de la nuit noire et de la mort éternelle du soleil. C’est dans ce texte même que Boulez avait trouvé l’inspiration de Marges, opus imaginé pour Les Percussions de Strasbourg sur lequel il travailla entre 1961 et 1964 sans le mener à terme et dont il reportera dix ans plus tard certains éléments sur Rituel in memoriam Bruno Maderna (1974). En 1936, Artaud rencontre les peuples du Mexique et assiste à leurs rites. Il rédige la description de l’érotique du peyotl dont aujourd’hui Meïmoun se saisit par une danse sans fin, à l’énergie autorégénérante, déroulé de plus en plus rapide auquel se superpose sa coagulation lente, conforme aux propos qu’il a pu recueillir de personnes ayant expérimenté les vertus psychotropes du petit cactus – parmi lesquelles est d’ailleurs extraite la mescaline que fréquenta beaucoup Henri Michaux, autre poète présent chez Boulez dans une œuvre aussitôt retirée du catalogue (Poésie pour pouvoir, 1958). De fait, il y a près de cinq ans François Meïmoun écrivit La danse du peyotl pour piano à quatre mains que Marie Vermeulin et Vanessa Wagner ont créée à l’automne 2016. Le Rite de la nuit noire. Voyage d’Artaud au Mexique pour seize instrumentistes n’est en rien une orchestration de cette page mais l’expression du désir du compositeur d’en étendre l’hyper-registration plus loin encore, grâce aux couleurs mises à disposition de son imaginaire. Une part importante y est accordée aux vents ainsi qu’au piano, socle sur lequel l’omniprésence rythmique se développe, par-delà la convocation d’une percussion parfois explosive. De ce geste déflagrant et répété, varié, condensé, qui prolifère sur lui-même en ses incises fifrées, surgit un lyrisme étonnant. Dans sa Notation II pour orchestre (1980), Boulez explorait comparable forge, à ceci près que cela durait deux minutes : l’œuvre fiévreuse de Meïmoun tient le pari vingt-cinq minutes durant, sans décrocher de cet extraordinaire frémissement textural que conclut un très puissant sforzato libérateur – un tour de force défendu avec engagement et bravoure par l’EIC et Léo Warynski à qui cette création mondiale est confiée.

2021

janvier

Jeudi 21 janvier 2021 - 20h30CummingsEn direct sur site "live" de la Philharmonie de Paris

Les Métaboles partagent la scène avec l'Ensemble intercontemporain, grand acteur du répertoire d'aujourd'hui. Fidèle à l'éclectisme qui est l'une de ses marques de fabrique, Léo Warynski glisse le Stabat Mater de Palestrina dans une soirée clairement orientée vers la musique contemporaine, Cummings ist der Dichter de Boulez et les deux créations de François Meïmoun et Francesco Filidei.

En direct sur le site "live" de la Philharmonie de Paris