Les voix et les instruments, tous épatants
Hémisphère Son - Michèle Tosi - Concert Pierre-Yves Macé
Trois pièces et autant de réécritures sont à l’affiche de ce troisième concert dédié à la musique de Pierre-Yves Macé, un compositeur à qui l’édition 2023 du Festival d’Automne consacre un portrait.
Comme son collègue danois Simon Steen-Anderson, Pierre-Yves Macé aime travailler sur du matériau préexistant, qu’il provienne de sources extérieures (banque de sons, œuvres de répertoire, chants populaires, etc.) ou de sa propre écriture. Ainsi toutes les pièces interprétées ce soir, prélevées de son propre catalogue, ont fait l’objet d’une réécriture en 2023 : pour en modifier le contexte, l’instrumentation ou le format, selon les exigences du concert.
Il y a d’abord ces Virgules radiophoniques réorganisées en deux cahiers et jouées en alternance avec les autres œuvres au programme. Elles ont été composées en studio, pour l’émission (hélas disparue aujourd’hui) de Gérard Pesson, "Boudoirs et autres", qui passait tous les vendredis, tard dans la soirée. Pour l’ensemble Multilatérale qui a investi le plateau du théâtre des Abbesses, Pierre-Yves Macé en a réalisé une instrumentation. Chaque pièce porte un titre, qui s’affiche sur l’écran de fond de scène, et distribue les rôles (solo, duo, quatuors, etc.) parmi les huit instrumentistes (quintette à cordes, flûte, harpe et clavier). L’échantillonneur placé sur le célesta reste l’instrument macéen par excellence, emblématique de cette hétérogénéité et discontinuité avec lesquelles il aime travailler. En phase avec les sons/voix exogènes qui sortent du sampler, l’écriture instrumentale n’est pas moins bigarrée, entre instances bruitées, motifs en boucle, oscillations molles et surgissements intempestifs : « un ensemble de traits sur le point de prendre forme », selon les mots avisés de l’écrivain Pierre Senges. C’est sur le livret original de ce dernier que Macé écrit en 2017 sa cantate de chambre Maintenant de toutes nos forces, essayons de ne rien comprendre, une phrase du philosophe géorgien Merab Mamardachvili prélevée du texte de Senges. Commande de l’orchestre de chambre de Paris, l’œuvre est adaptée en 2023 pour voix et petit ensemble, une autre façon de recycler de l’existant.
À l’instar des Cantates de Bach, le clavecin est le partenaire privilégié des voix. De part et d’autres du chef, Léo Warynski, deux personnages masculins se questionnent l’un l’autre, habités d’idées philosophiques opposées : l’idéaliste est incarné par le haute-contre Guilhem Terrail et le matérialiste par le ténor Steve Zheng. Les surtitres aident à la compréhension de cette « disputacio » polyglotte. Les instruments suivent les voix comme leur ombre, s’autorisant ici et là quelques madrigalismes. L’humour infiltre le propos et la virtuosité est à l’œuvre, tant vocale qu’instrumentale, dûment assumée par les deux chanteurs et les musiciens de Multilatérale.
L’insolite et l’inattendu, l’impromptu, le poétique et le dérisoire, le presque rien, l’instant présent et la nostalgie: la proposition sonore est ouverte dans le Cahier 2 des Virgules radiophoniques, la miniature étant le lieu d’une certaine désinhibition, note Pierre-Yves Macé.
Plus ambitieux, maniant là encore humour et distance, l’opéra Kind des Faust (Enfant de Faust) était à l’origine une œuvre sur support, passant par les haut-parleurs au sein du spectacle de Sylvain Creuzevault intitulé Angelus Novus de 2016. Kind des Faust est entendu ce soir en concert, avec ses trois personnages/chanteurs, les huit musiciens de Multilatérale et l’électronique sous la direction de Léo Warynski.
Le mythe est ici relu, en allemand, à travers la figure de l’enfant de Faust et Marguerite qui revient du royaume des morts pour se venger. C’est la soprano Anne-Claire Baconnais qui endosse le rôle, impressionnante dans le monologue presque straussien du début où la voix est déployée dans tout son registre et ses modes d’énonciation (parlé, râlé et chanté) pour invoquer le malin. Diablement efficace est l’idée de faire chanter en doublure le contre-ténor (Guilhem Terrail) et la basse (Laurent Bourdeaux) éminemment solidaires pour incarner Méphisto. Les instruments sont au service des voix et de la dramaturgie, assurant aussi les changements de décors, comme dans cette scène, Willkommen im Kabarett!, où fusent les pizzicati des cordes sur un motif alerte fonctionnant en boucle. Les parents (Père et Mère) n’interviennent qu’en voix off via l’échantillonneur, victimes parfois des défaillances de la technique!
L’humour le dispute à l’excentricité dans cet opéra de poche un rien étrange, bien conduit par Léo Warynski qui laisse apprécier le rapport fusionnel entre l’électronique, les voix et les instruments, tous épatants.