Entièrement a cappella, la première partie du programme donne à entendre le versant « moine » de Francis Poulenc en qui Claude Rostand décelait, dans une formule appelée à faire fortune, un moine et un voyou. La veine sombre et dramatique des Quatre Motets pour un temps de pénitence (1939) se traduit par des lignes charbonneuses aux basses et une intonation par endroits plus couverte. Dans le troisième motet, le tragique « Tenebræ factæ », Léo Warynski modèle des éclats orchestraux préfigurant les Cinq Rechants (1948) de Messiaen. Les échappées solistes ne sont pas en reste : ainsi du soprano solo de l’ultime « Tristis est anima mea », inquiet et instable. Le bref Exultate Deo (1941) se place résolument sous le signe de la jubilation. En écho au titre de la cantate sur des textes de Paul Eluard, Un soir de neige (1944), le chœur des Métaboles, actuellement en résidence à l’Arsenal de Metz, fait valoir une polyphonie d’une transparence aveuglante, comme éclairée par le soleil de midi – les images contradictoires confrontées par le poète n’en surgissent que plus crûment. L’injustice (assauts chromatiques de « La Bonne Neige »), la mort (agrégats de « Bois meurtri »), la violence (atomisation des pupitres de « La nuit le froid la solitude ») se reflètent dans la gestique tranchante de Léo Warynski.
Le chœur amateur Gradus Ad Musicam se joint aux Métaboles et à l’ensemble instrumental Multilatérale pour la seconde partie. Composée entre 1993 et 1995, Messe un jour ordinaire s’est rapidement imposée comme l’œuvre la plus emblématique de Bernard Cavanna (né en 1951). Le compositeur, à l’image de Pierre Bonnard retouchant en cachette ses toiles dans les musées, a apporté au fil du temps divers amendements à sa partition ; à telle enseigne qu’il s’est senti fondé à en éditer une nouvelle version. Les parties chorales y sont davantage mises en valeur, avec des phénomènes d’émanation et de stase absents de la version originale, plus courte d’environ huit minutes. Parmi les ajouts, relevons la toccata orchestrale introductive (sorte de mixte du prélude des Soldats et d’un orphéon fellinien).
A gauche de la scène, Isabelle Lagarde incarne Laurence : mots simples, monceaux de phrases dont l’horizontalité tranche sur la verticalité du dogme catholique que le livret n’hésite pas à injurier (derniers mots : « maries‑salopes »). Contraste total avec la vocalité plus outrancière du ténor (Kiup Lee, pas toujours très audible dans les graves) harangueur de foule – le compositeur dit s’être inspiré des prêtres américains. Emilie Rose Bry complète parfaitement ce binôme lyrique un peu bouffe (interjections « ha ha ») dont les postures empruntées contrastent avec la sincérité désarmante de Laurence. Celle-ci a un double instrumental dans le violon tout en bruissements de Noëmi Schindler. Un instrumentarium insolite – on reconnaît les membres de l’Ensemble intercontemporain Nicolas Crosse (contrebasse) et Alain Billard (clarinette) – donne la part belle aux percussions résonantes (les cloches de la liturgie) et aux vents : trombone, cor, trompette, saxophone, clarinette, orgue, auxquels s’ajoutent trois accordéons. Harpe et contrebasse complètent la formation souvent sollicitée dans les tessitures extrêmes – l’environnement hostile à quoi Laurence est en butte. L’écoute de Messe un jour ordinaire constitue un choc ; partout fulgurent des images, des sonorités, des confrontations saisissantes. Idéale dans Poulenc, l’acoustique de l’Arsenal, disons‑le, n’a pas toujours rendu justice à l’orchestration pneumatique de Bernard Cavanna, compactant des alliages timbriques subtilement dosés dans la partition. Puisse l’enregistrement annoncé de ce beau programme y remédier.