Si toute la magie ravélienne se révèle cet après-midi, c’est bien grâce à l’interprétation des Métaboles.

31/01/2022
Bachstrack - Tristan Labouret
Singing Ravel

Léo Warynski et Les Métaboles, héros de Ravel à l’Arsenal

Un singulier Boléro vient de clôturer le concert de ce dimanche après-midi à l’Arsenal, et Léo Warynski prend la parole pour avouer sa frustration aux spectateurs venus nombreux. Au grand dam du chef des Métaboles, Maurice Ravel n’a pas composé beaucoup de musique chorale : en tout et pour tout Trois Chansons pour une durée totale qui ne dépasse pas la dizaine de minutes. Fort heureusement, des compositeurs et arrangeurs réputés (Gérard Pesson, Thierry Machuel, Clytus Gottwald) ont signé des adaptations pour chœur a cappella de pièces ravéliennes, ce qui a permis à Warynski d’élaborer un programme 100% Ravel auquel le chef a ajouté une touche créative : à son invitation, l’excellent Thibault Perrine s’est attelé à la confection de deux nouvelles transcriptions, dont le fameux Boléro.

Comme on a pu le constater en un peu plus d’une heure dans la belle Salle de l’Esplanade, les arrangeurs ont bien fait les choses, ajoutant la plupart du temps des paroles qui réinventent intelligemment le texte musical de Ravel. La tâche n’était pourtant pas sans risque ; calquer sur la fameuse Pavane pour une infante défunte le non moins célèbre « Belle qui tiens ma vie » de Thoinot Arbeau aurait pu par exemple tourner au mariage forcé. Mais force est de constater que Thibault Perrine a fait le bon choix : la prosodie du poème du XVIe siècle correspond à s’y méprendre aux rythmes et aux carrures de l’œuvre ravélienne, donnant une fluidité naturelle au phrasé, et l’arrangeur attribue habilement du sens aux voix intermédiaires pour mettre en relief le parcours harmonique. Au sein du programme, seul le texte de Verlaine ajouté à La vallée des cloches ne s’avère pas totalement convaincant, sans doute à cause du caractère très pianistique de la version originale dont Clytus Gottwald ne parvient pas à retranscrire la poésie de timbres purs.

Les deux pièces de Ma Mère l’Oye sont à l’inverse particulièrement émouvantes, le texte de Benoît Richter apportant un sens nouveau au Jardin féérique (à la fois réserve naturelle foisonnante et espace intime) et venant nourrir directement le verbe musical de Thierry Machuel : en conclusion de la pièce, la répétition régulière du mot « souffle » et de ses consonnes finit par donner l’impression saisissante d’une marche dans l’herbe haute balayée par le vent.

Mais si toute la magie ravélienne se révèle cet après-midi, c’est bien grâce à l’interprétation des Métaboles. Du duo de la Pavane de la Belle au bois dormant (Anne-Claire Baconnais et Laura Muller) au grand solo des Oiseaux du Paradis (Lorraine Tisserant), les chanteurs se montrent impeccables individuellement. Quant au collectif, il est tout simplement bluffant. Sous la direction toujours discrète et efficace d’un Léo Warynski extrêmement à l’écoute de ses troupes, c’est un véritable chœur-orchestre, riche en textures et en timbres, qui prend peu à peu possession de l’acoustique idéale de la Salle de l’Esplanade. Aussi à l’aise dans les harmonies étales de Soupir que dans le catalogue virtuose de la Ronde, le chœur finit en apothéose dans le Boléro. La transcription de Thibault Perrine est pourtant exigeante : ici, pas de paroles pour soutenir les notes (ce qui donne tout d’abord envie de retrouver Le Parti d’en rire de Pierre Dac et Francis Blanche…), pas d’effet facile pour éviter l’inconfort des premières minutes à l’orchestration minimaliste. L’arrangeur a opté pour un subtil jeu de timbres, d'onomatopées et de bruitages, tout droit sorti d’une partition de Satie : les chanteurs se métamorphosent les uns après les autres en instruments inouïs, sifflent, jouent de percussions corporelles, imitent la caisse claire et les cymbales… Si le premier tiers de l’œuvre reste ingrat, c’est pour mieux monter en puissance : les dissonances dues à la polytonalité sont assumées avec une intonation toujours claire, la balance entre les différents pupitres est parfaitement équilibrée, le crescendo mené avec une endurance remarquable (René Ramos-Premier tenant la caisse claire avec le sourire !). À voir la réaction du public conquis, il faudra que le chœur se rende à l’évidence et grave d’urgence ce Boléro inédit, en compagnie du reste du programme…