Chants libres fête l'arrivée de l'été en inondant la France de l'art consommé des meilleures formations vocales du moment
Resmusica - Jean-Luc Clairet - Nightfall
Du 28 au 30 juin, sept régions de France (elles étaient cinq en 2023) accueillent sept ensembles, certains déjà auréolés du prestigieux prix créé par la Fondation Bettencourt Schueller : Aedes, Mélisme(s), Les Cris de Paris, Les Éléments, La Tempête, Musicatreize, Les Métaboles. Le concept entend aussi flouter les frontières entre le grand professionnalisme de ces ensembles réputés et la vibrante passion animant les ensembles amateurs du pays. À l'issue du concert donné dans le plein air en l'Hôtel-Dieu de Dole, nul doute : ambition originelle et concrétisation finale se rejoignent par la vertu d'un programme et d'une direction également passionnants.
Quoi de mieux que la prenante basse obstinée très Einstein on the beach, qui lance le Nightfall de Meredith Monk, longue pièce hypnotique de 1995, pour évaluer d'emblée le potentiel des Métaboles en tutti comme en individualités marquantes ? Léo Warynski convie ensuite l'ensemble jurassien Le Tourdion (et sa cheffe Florence Grandclément) pour un Waternight d'Eric Whitacre dont l'irréprochable osmose répond en moins de cinq minutes à la question de ce qui fait la différence entre un chœur et une chorale. L'envoûtement se prolonge par l'intense émotion infusée par Three songs de Philip Glass, seules incursions a capella du célèbre compositeur américain. L'interprétation que donne Warynski de ces pièces plus retorses que leur immédiate séduction ne peut le laisser supposer, va bien au-delà du seul enregistrement existant (Alan Brind, Crouch End Festival Chorus, CD Silva Classics) : on reste confondu devant le rendu arachnéen du tapis sonore tissé par les fameux battements de croches glassiens servant d'écrin aux mélodies apposées sur des textes bouleversants de Leonard Cohen, Raymond Levesque et Octavio Paz, le dernier (Pierre de soleil) chanté en déploration funèbre du deuxième Quand les hommes vivront d'amour.
Puisque la langue française s'est invitée dans les partitions, Les Métaboles, passé un Calme des nuits de Saint-Saëns sans histoire, délaissent le Nouveau Monde. Le très savant tour de passe-passe de leur arrangeur (Brice Legée) lie, via leurs Clairs de Lune respectifs, Fauré à Debussy. Trois Chansons de Charles d'Orléans plus loin, un autre formidable arrangeur (Christophe Looten) met le soliloquant Erlkönig de Schubert dans la bouche des seize chanteurs des Métaboles pour un voyage au bout de l'effroi, stupéfiant d'intensité. Mais on n'a encore rien entendu. Un troisième arrangeur (Thibaut Perrine) métamorphose carrément les Métaboles en formation vocale symphonique via un « retricotage » d'une virtuosité inouïe de la très rebattue Danse macabre de Saint-Saëns dans sa version pour baryton. Il s'agit là d'une création mondiale, que Léo Warynski donnera en bis après la conclusion du concert par deux « gourmandises musicales » : l'à-propos d'un Chante la vie chante de Michel Fugain avec Le Tourdion réapparu, et surtout une bouleversante Chanson de Prévert gainsbourienne, quasi-opératisée par sa basse solo et son ténor en état de grâce, et très finement jumelée avec son original « kosmien » par la grâce d'un ultime et superbe arrangement inédit (Brice Legée, encore lui). On aura compris que le succès de la soirée aura été aussi celui des arrangeurs.
Léo Warynski ayant remplacé le traditionnel programme papier par de très pédagogiques adresses à son public, proximité et convivialité accrues ne comptent pas pour rien dans cette autre façon de faire circuler la passion de la voix. Une démarche qui, en Bourgogne-Franche-Comté, trouve aussi sa source à Vézelay, à la Cité de la Voix (Centre national d'art vocal créé en 2015), où le fondateur des Métaboles (Lauréat du Prix Liliane Bettencourt 2018) est en résidence depuis 2023.