... de ces concerts qu’on n’oublie pas

Saturday 20 September 2025
Concerto.net - Jérémie Bigorie
Das atmende klarsein

L’épure dans l’émotion

La disparition de Joséphine Markovits en avril dernier a suscité une vive émotion. La charismatique directrice du Festival d’automne a toujours laissé une place de choix à la musique de Luigi Nono (1924‑1990) dont ce concert donné en l’église Saint‑Eustache propose Das atmende Klarsein (« La Clarté respirante »), une œuvre de 1981 pour flûte basse, petit chœur mixte et électronique live.

Les dernières pièces d’un autre Vénitien, Bruno Maderna (1920‑1973), témoignaient de son attachement aux musiques italiennes des XVIIe et XVIIIe siècles mais aussi à l’âge d’or de la Grèce antique. Les instruments à anche se présentent comme autant d’avatars du aulos. De là ces monodies qui flottent dans l’espace avec la grâce d’une toile de Miró. Le rapport à la Grèce (et à la flûte) de son ami Luigi Nono, sous la férule du philosophe Massimo Cacciari, est autrement plus tourmenté, car indissociable de la crise créatrice vécue après Al gran sole carico d’amore (1974). Place désormais à la « tragédie de l’écoute », qui se traduit par un éparpillement moléculaire, une matière raréfiée, des ouvertures fugaces dans l’épaisseur d’un silence appelé inexorablement à recouvrer son empire. Dilacérée jusqu’au cri dans les œuvres précédentes, l’écriture chorale de Das atmende Klarsein privilégie l’épure, le cristallin. Une musique souvent aux limites de l’audible, à laquelle les gestes souples de Léo Warynski offrent un prolongement sensible. Joachim Haas et Michael Acker, du studio électronique de Fribourg, font tournoyer dans les vastes volumes de l’édifice tout l’arsenal de soufflerie mis en œuvre par le fabuleux Matteo Cesari. La flûte basse (instrument de Dionysos) intervient sous forme de solo, déployant des modes de jeu tantôt allusifs, tantôt véhéments, qui exigent de l’interprète une maîtrise confondante de l’instrument avec lequel il doit faire corps.

Depuis la chaire, Matteo Cesari aura auparavant troqué la flûte basse pour le piccolo dans Musica Vneukokvahja de Niccolò Castiglioni (1965‑1996), dont Alessandro Solbiati a pu dire que sa musique ne connaissait pas la clé de fa. De son timbre acidulé, l’instrument perché dans les suraigus arrache au silence venteux de l’église des lambeaux de chants d’oiseaux (parfois énergiquement obstinés, en notes répétées) quand Castiglioni ne lui confie pas un matériel mélodique plus aimable issu du répertoire médiéval – une période que cet érudit connaissait funditus. L’idée est lumineuse d’intercaler les trois parties (AllelujaDanzaGiga) entre les différentes Prophéties des Sibylles (1555) de Roland de Lassus (1532‑1594) – sans doute l’œuvre le plus expérimentale et la plus commentée du maître franco‑flamand, si l’on en croit sa biographe Annie Cœurdevey (Fayard). Léo Warynski dirige les douze membres des Métaboles tel un organiste ajustant ses registrations, avec un soin particulier dans la mise en valeur de l’entame des motifs repris en imitation. Pour audacieuses et dissonantes qu’elles soient, les harmonies chromatiques nous paraissent plutôt sages auprès des convulsions madrigalesques à venir d’un Marenzio ou d’un Gesualdo. La musique de ces motets semble pourtant nous parler comme si elle datait d’hier ; l’oreille aime à s’y laisser bercer et à s’y perdre, comme la raison devant l’énigme des vers latins.

Manquait un bis digne de ce nom : Les Métaboles et Léo Warynki ont choisi le sublime Ave verum corpus de William Byrd (1540‑1623) en hommage à Joséphine Markovits à qui ce concert est dédié ; de ces concerts qu’on n’oublie pas.