Métamorphose(s) par le Métaboles à la Cité musicale-Metz – Correspondances secrètes – compte-rendu
Vingt-quatre heures avant de s’envoler vers l’Argentine pour diriger Einstein on the Beach au Colón de Buenos Aires, Léo Warynski était à l’Arsenal avec ses Métaboles et le violoncelliste Marc Coppey dans un nouveau programme inscrit dans le cadre de la résidence de trois ans (2021-2024) de la formation chorale à la Cité musicale-Metz. Léo Warynski, on l’a plus d’une fois souligné, maîtrise au plus degré l’art de bâtir un programme, de tisser entre les œuvres quantités de correspondances, évidentes ou bien plus secrètes.
Après « Vox Naturae », conçu autour du compositeur canadien Raymond Murray Schafer, en janvier dernier, le chef a une nouvelle fois profité de la liberté que lui offre Michèle Paradon, directrice artistique de l’Arsenal, pour oser un programme aussi singulier que cohérent : « Métamophose(s) »
Un prélude d’abord, tiré de la 2e Suite BWV 1008, tout en simplicité sous l’archet de Marc Coppey ; un Bach on ne peut plus familier. Celui de la Chaconne de la Partita pour violon BWW 1004 l’est plus encore ... mais pas dans l’adaptation qu’en propose Noriko Baba (née en 1972), compositrice japonaise établie en France depuis la toute fin des années 1990. Celle-ci transpose en effet la pièce au violoncelle et, plus étonnant encore, « pose » sur elle le texte de la Cantate BWV 4 « Christ lag in Todesbangen » chanté par le groupe vocal (dans son effectif à 16 chanteurs pour ce concert). L’expérience – double métamorphose, de la musique et du texte – déroute quelque peu au départ, mais le cheminement vers la lumière que traduisent la Chaconne aussi bien que les paroles, le fait vite oublier, pour mieux laisser savourer l’ascension vers l’Alleluia conclusif.
Changement complet d’atmosphère, avec Onde II pour violoncelle et chœur de Noriko Baba, en création. Commande des Métaboles destinée à s’insérer dans le programme « « Métamorphose(s) », la pièce s’inspire des Calligrammes d’Apollinaire ( Voyage plus précisément ; « Adieu Amour ... / Télégraphe ... / Où va donc ce train ... / La douce nuit ... » ). Boîtes à musique, appeaux, bruits de pieds, claquements de mains se mêlent aux interventions des voix : la fragmentation domine cette partition surprenante qui, conduite avec une rare précision par Léo Warynski, fait corps avec la présentation graphique du poème adoptée par Apollinaire : l’auditeur la visualise ... par l’oreille !
Suivent deux morceaux de John Taverner, The Lamb (L’Agneau), pour chœur, sur un poème de William Blake. La musique flotte dans l’espace de l’Arsenal, aussi prenante par la parfaite intonation des chanteurs que l’intensité avec laquelle ils vivent la pièce. Elle fut écrite par le compositeur britannique pour son fils de trois ans, mais procure le sentiment de regarder infiniment plus haut ... Pas de doute à ce sujet quant à Sviaty pour chœur et violoncelle, inspiré par le rite funéraire orthodoxe oriental (Taverner s’est rappelons-le converti à la religion orthodoxe en 1977). Le violoncelle incarne ici le Prêtre et, Marc Coppey, installé en hauteur, côté cour, dans les gradins de fond de scène, noue un fervent dialogue avec le chœur qui, répétant la brève formule implorant la pitié de Dieu, en métamorphose et amplifie la portée. Métamorphose encore que celle du fameux Adagio de Barber dans sa version Agnus Dei – comme une réponse au premier ouvrage de Taverner. Aucune facilité dans l’approche, mais une tenue et une ferveur admirables.
Et « Métamorphose(s) » de se conclure par Métamorphoses de Philippe Hersant, pièce pour violoncelle et chœur de 2013 écrite sur des poèmes de détenus de la centrale de Clairvaux. Rêves de liberté, d’infini, d’amour, paroles émouvantes (dont le septième et dernier poème en corse : « Acellucciu cù e to ale »/Petit oiseau qui a des ailes), sentiments infiniment humains que le compositeur a mis en musique. Léo Warynski souligne la variété de texture de la partition, du n° 4 « Portrait d’un misérable », dont le bruissement-murmure rend volontairement les mots presque incompréhensibles, au n° 6 « Je rêve » qui, après un très belle introduction du violoncelle procure une onirique et troublante sensation de dilation de l’espace – avec de belles interventions du ténor Benjamin Aguirre Zubiri. On n’est pas moins conquis par l’Immortal Bach du Norvégien Knut Nystedt, donné en bis avec une bonne partie de l’effectif installé sur les deux escaliers dans la salle.
Plein succès – mérité – pour la première exécution d’un programme que l’on réentendra le 22 juin, à Noyers-sur-Serein (Yonne), dans le cadre de Chants libres (1), festival d’art choral itinérant de la Fondation Bettencourt Schueller (2) qui, du 22 au 26 juin, irrigue cinq régions françaises de près d’une cinquantaine de rendez-vous. Si l’occasion se présente à vous : pas une hésitation !