Créée lors de l’édition 1994 du festival Musica, Messe pour un jour ordinaire offre certainement l’un des meilleurs condensés de l’esthétique de Bernard Cavanna, confrontant la liturgie catholique avec le destin d’une jeune toxicomane découvert dans un documentaire de Jean-Michel Carré, Galères de femmes. Le perfectionnisme du compositeur ne pouvait s’abstenir de reprendre sa partition, fût-elle magistrale. Il a ainsi voulu en donner une nouvelle version, conçue pour l’ensemble les Métaboles et jouée à l’Arsenal de Metz, au cœur d’un temps fort de la saison de la Cité musicale, Voix libres !, dans un concert qui contribuera à une gravure de l’opus remanié, à paraître en 2023 sous label NoMadMusic.
L’œuvre s’ouvre par une toccata où s’affirme l’hybridation idiomatique entre trivial et sublime de l’écriture de Cavanna, dans un héritage où Zimmerman côtoierait Fellini, avant de suivre l’ordonnancement d’un office. Entre effets d’archaïsme et dramatisation, le Kyrie fait alterner les éléments choraux qui mêlent les chanteurs amateurs de Gradus ad musicam aux effectifs des Métaboles, et prépare la tension théâtrale du Gloria, martelée d’injonctions concaténant des bégueuleries qui ne voudraient pas souiller leur foi dans la fange du réel. Les ministres du rituel, le soprano Emilie Rose Bry, et plus encore le ténor Kiup Lee, glissent vers l’hystérie, tandis qu’Isabelle Lagarde décline les turpitudes matérielles de Laurence, la toxicomane juste sortie de détention, avec une sincérité éclatée dans le morcellement de la ligne.
La vigueur des cuivres et des cloches, soutenue par l’orgue, contribue à la bigarrure de la ferveur solennelle, accentuée par une facture orchestrale où se distingue un trio d’accordéons. Enchaînés, le Credo et le Sanctus prolongent cette transformation de la messe : la crudité de la violence affleure au gré des traductions, jusqu’aux confins du nazisme avec le ténor reprenant la défense de Klaus Barbie à son procès. La déclamation de Laurence, accompagnée par le diaphane violon solo de Noëmi Schindler, se départit de la véhémence de la masse et offre une conclusion où l’apaisement se confond avec murmure et silence.
Si l’engagement des interprètes se révèle évident, l’acoustique de l’Arsenal, très clairsemé en ce samedi de Pentecôte, montre plus de bienveillance dans les pièces a cappella de Francis Poulenc données en première partie de soirée. En résidence à la Cité musicale, Les Métaboles défendent, sous la battue soignée de Léo Warynski, la décantation de la cantate profane Un soir de neige, sur des poèmes d’Éluard, avant Quatre motets pour un temps de pénitence, et Exultate Deo. On y reconnaît la précision d’intonation et la justesse d’expression des solistes de l’ensemble, que l’impression des textes dans le programme n’eût point altérées dans l’oreille de l’auditeur. Moine et voyou selon le mot de Claude Rostand, Poulenc se fait l’interlocuteur à point nommé de l’incroyante religiosité de Cavanna, dans laquelle le blasphème peut très bien être la plus belle louange, celle de l’attention à la vulnérabilité – retour aux sources du message christique qui n’a pas échappé à certaines robes ecclésiastiques, selon le témoignage livré par le compositeur avant le concert, puis en bord de scène après.