L'attrait de cet album est la mise en miroir de compositions de l'anglais Jonathan Harvey avec des pièces des grands maîtres baroques du chant a cappella. Comparaison fascinante qui, à travers le croisement des époques et des styles, révèle d'inattendues correspondances et montre en tout cas la vitalité du chant choral outre-Manche.
Ce programme, capté live lors du festival de Royaumont à l'automne 2019, fait dialoguer présent et passé de la musique anglaise a cappella, Jonathan Harvey, Byrd et Purcell. Là où les voûtes du réfectoire des moines font écho à celles des cathédrales gothiques. Chantre de la musique électronique, qu'il a travaillée auprès de Stockhausen, Jonathan Harvey (1939-2012) s'est aussi intéressé au domaine du chant choral. Rien d'étonnant de la part d'un musicien qui a connu dans sa jeunesse le monde de la maîtrise anglaise des Colleges. Avec des techniques originales de traitement des voix se référant au plain-chant grégorien, et des sonorités audacieuses d'élargissement dans l'espace qu'on peut définir comme une sorte d'amplification irisée. Ainsi en est-il dans la pièce ''I love the Lord''. Celle titrée ''Come, Holy Ghost'' débute sur un rappel du thème du ''Veni creator'', chanté par une voix soliste, reprise par le chœur. La fin du morceau semble se déliter dans un fouillis remarquablement organisé, comme si le son venait de diverses sources. Le phénomène d'élargissement dans l'espace, avec ses effets d'écho, se retrouve dans les Plainsongs for peace and light. Là encore une voix soliste débute chaque strophe, rejointe par le chœur dans une sorte de fourmillement, comme s'il s'agissait d'un soubassement orchestral, pour un effet proprement magique. Qu'on retrouve dans le morceau ''The Angels'', si bien nommé, pour double chœur : sur une pédale à bouche fermée, le discours s'anime et se répand doucement. La seconde partie amplifie la première, toujours sur ce contrepoint murmuré quasiment instrumental.
Disposées soit en prélude, soit en répons, les pièces de l'époque baroque montrent une réelle filiation et combien Jonathan Harvey s'est placé dans les pas de ces maîtres. Car ''Remenber, O Lord'' semble prendre naturellement la suite de ''Remenber not, Lord, our offences'' de Purcell, et l'"Ave verum corpus" de Byrd annoncer ''I Love the Lord''. De même le bref "Stabat Mater "de Palestrina annonce-t-il la pièce ''The Annunciation'' du compositeur anglais actuel. Qui reprend à son compte leur sens de l'architecture vocale et, dans un langage moderne, recrée le mystère émanant des pièces de ses lointains prédécesseurs.
Les 16 chanteurs de l'ensemble vocal Les Métaboles, sous la direction à la fois sensible et rigoureuse de Léo Warynski, montrent limpidité des timbres, transparence et flexibilité, comme le raffinement des textures. Et surtout un étonnant éclectisme si l'on en juge par un précédent album d'inspiration bien différente, ''Jardin féerique''. La prise de son live réalisée par les équipes de Radio France - France Musique restitue l'étonnante impression de spatialité de ces musiques conçues pour des édifices religieux plus que pour des salles de concert.