Messe un jour ordinaire

En 1994, Messe un jour ordinaire croisait la parole véhémente et fracassante de la messe à celle, individuelle et dérisoire, de Laurence, jeune toxicomane apparue dans un documentaire de Jean-Michel Carré. La rencontre avec le chœur des Métaboles et l’Ensemble Multilatérale, tous deux dirigés par Léo Warynski, a persuadé son compositeur, Bernard Cavanna, d’effectuer une réécriture de cette messe iconoclaste pour y renforcer la présence de la voix et du chœur.

Dédale de voix et de langues à la puissance dramatique, vocale et musicale incomparable, ses mots résonnent encore davantage au sein de nos sociétés plus repliées et mondialisées que jamais.

Le programme associe à cette messe profane de Bernard Cavanna des oeuvres pour chœur a cappella de Francis Poulenc : Un Soir de Neige sur les textes d’Eluard et les Quatre motets pour un temps de Pénitence. Ces deux oeuvres partagent avec la messe une intensité et une humanité communes. Moine et voyou, deux adjectifs que Francis Poulenc s’était lui-même attribué, et qui pourraient tout aussi bien décrire l’univers de Bernard Cavanna… 

Projet coproduit par la Cité musicale-Metz et soutenu par la Sacem, la Copie privée, l’Adami et la Maison de la Musique Contemporaine

MESSE UN JOUR ORDINAIRE


Bernard Cavanna - Messe un jour ordinaire

Francis Poulenc
Quatre Motets pour un temps de pénitence...
Un soir de neige, cantate profane
Exultate Deo, motet pour les fêtes solennelles


Les Métaboles
Ensemble Multilatérale

Léo Warynski, direction

Dans la presse...

La précision d’intonation et la justesse d’expression

Gilles Charlassier
 - Concert Cavanna - Poulenc

La précision d’intonation et la justesse d’expression

Gilles Charlassier - Concert Cavanna - Poulenc

Créée lors de l’édition 1994 du festival Musica, Messe pour un jour ordinaire offre certainement l’un des meilleurs condensés de l’esthétique de Bernard Cavanna, confrontant la liturgie catholique avec le destin d’une jeune toxicomane découvert dans un documentaire de Jean-Michel Carré, Galères de femmes. Le perfectionnisme du compositeur ne pouvait s’abstenir de reprendre sa partition, fût-elle magistrale. Il a ainsi voulu en donner une nouvelle version, conçue pour l’ensemble les Métaboles et jouée à l’Arsenal de Metz, au cœur d’un temps fort de la saison de la Cité musicale, Voix libres !, dans un concert qui contribuera à une gravure de l’opus remanié, à paraître en 2023 sous label NoMadMusic.

L’œuvre s’ouvre par une toccata où s’affirme l’hybridation idiomatique entre trivial et sublime de l’écriture de Cavanna, dans un héritage où Zimmerman côtoierait Fellini, avant de suivre l’ordonnancement d’un office. Entre effets d’archaïsme et dramatisation, le Kyrie fait alterner les éléments choraux qui mêlent les chanteurs amateurs de Gradus ad musicam aux effectifs des Métaboles, et prépare la tension théâtrale du Gloria, martelée d’injonctions concaténant des bégueuleries qui ne voudraient pas souiller leur foi dans la fange du réel. Les ministres du rituel, le soprano Emilie Rose Bry, et plus encore le ténor Kiup Lee, glissent vers l’hystérie, tandis qu’Isabelle Lagarde décline les turpitudes matérielles de Laurence, la toxicomane juste sortie de détention, avec une sincérité éclatée dans le morcellement de la ligne.

La vigueur des cuivres et des cloches, soutenue par l’orgue, contribue à la bigarrure de la ferveur solennelle, accentuée par une facture orchestrale où se distingue un trio d’accordéons. Enchaînés, le Credo et le Sanctus prolongent cette transformation de la messe : la crudité de la violence affleure au gré des traductions, jusqu’aux confins du nazisme avec le ténor reprenant la défense de Klaus Barbie à son procès. La déclamation de Laurence, accompagnée par le diaphane violon solo de Noëmi Schindler, se départit de la véhémence de la masse et offre une conclusion où l’apaisement se confond avec murmure et silence.

Si l’engagement des interprètes se révèle évident, l’acoustique de l’Arsenal, très clairsemé en ce samedi de Pentecôte, montre plus de bienveillance dans les pièces a cappella de Francis Poulenc données en première partie de soirée. En résidence à la Cité musicale, Les Métaboles défendent, sous la battue soignée de Léo Warynski, la décantation de la cantate profane Un soir de neige, sur des poèmes d’Éluard, avant Quatre motets pour un temps de pénitence, et Exultate Deo. On y reconnaît la précision d’intonation et la justesse d’expression des solistes de l’ensemble, que l’impression des textes dans le programme n’eût point altérées dans l’oreille de l’auditeur. Moine et voyou selon le mot de Claude Rostand, Poulenc se fait l’interlocuteur à point nommé de l’incroyante religiosité de Cavanna, dans laquelle le blasphème peut très bien être la plus belle louange, celle de l’attention à la vulnérabilité – retour aux sources du message christique qui n’a pas échappé à certaines robes ecclésiastiques, selon le témoignage livré par le compositeur avant le concert, puis en bord de scène après.

L’écoute de Messe un jour ordinaire constitue un choc ; partout fulgurent des images, des sonorités, des confrontations saisissantes

ConcertoNet - Jérémie Bigorie - Concert Cavanna-Poulenc

Entièrement a cappella, la première partie du programme donne à entendre le versant « moine » de Francis Poulenc en qui Claude Rostand décelait, dans une formule appelée à faire fortune, un moine et un voyou. La veine sombre et dramatique des Quatre Motets pour un temps de pénitence (1939) se traduit par des lignes charbonneuses aux basses et une intonation par endroits plus couverte. Dans le troisième motet, le tragique « Tenebræ factæ », Léo Warynski modèle des éclats orchestraux préfigurant les Cinq Rechants (1948) de Messiaen. Les échappées solistes ne sont pas en reste : ainsi du soprano solo de l’ultime « Tristis est anima mea », inquiet et instable. Le bref Exultate Deo (1941) se place résolument sous le signe de la jubilation. En écho au titre de la cantate sur des textes de Paul Eluard, Un soir de neige (1944), le chœur des Métaboles, actuellement en résidence à l’Arsenal de Metz, fait valoir une polyphonie d’une transparence aveuglante, comme éclairée par le soleil de midi – les images contradictoires confrontées par le poète n’en surgissent que plus crûment. L’injustice (assauts chromatiques de « La Bonne Neige »), la mort (agrégats de « Bois meurtri »), la violence (atomisation des pupitres de « La nuit le froid la solitude ») se reflètent dans la gestique tranchante de Léo Warynski.

Le chœur amateur Gradus Ad Musicam se joint aux Métaboles et à l’ensemble instrumental Multilatérale pour la seconde partie. Composée entre 1993 et 1995, Messe un jour ordinaire s’est rapidement imposée comme l’œuvre la plus emblématique de Bernard Cavanna (né en 1951). Le compositeur, à l’image de Pierre Bonnard retouchant en cachette ses toiles dans les musées, a apporté au fil du temps divers amendements à sa partition ; à telle enseigne qu’il s’est senti fondé à en éditer une nouvelle version. Les parties chorales y sont davantage mises en valeur, avec des phénomènes d’émanation et de stase absents de la version originale, plus courte d’environ huit minutes. Parmi les ajouts, relevons la toccata orchestrale introductive (sorte de mixte du prélude des Soldats et d’un orphéon fellinien).

A gauche de la scène, Isabelle Lagarde incarne Laurence : mots simples, monceaux de phrases dont l’horizontalité tranche sur la verticalité du dogme catholique que le livret n’hésite pas à injurier (derniers mots : « maries‑salopes »). Contraste total avec la vocalité plus outrancière du ténor (Kiup Lee, pas toujours très audible dans les graves) harangueur de foule – le compositeur dit s’être inspiré des prêtres américains. Emilie Rose Bry complète parfaitement ce binôme lyrique un peu bouffe (interjections « ha ha ») dont les postures empruntées contrastent avec la sincérité désarmante de Laurence. Celle-ci a un double instrumental dans le violon tout en bruissements de Noëmi Schindler. Un instrumentarium insolite – on reconnaît les membres de l’Ensemble intercontemporain Nicolas Crosse (contrebasse) et Alain Billard (clarinette) – donne la part belle aux percussions résonantes (les cloches de la liturgie) et aux vents : trombone, cor, trompette, saxophone, clarinette, orgue, auxquels s’ajoutent trois accordéons. Harpe et contrebasse complètent la formation souvent sollicitée dans les tessitures extrêmes – l’environnement hostile à quoi Laurence est en butte. L’écoute de Messe un jour ordinaire constitue un choc ; partout fulgurent des images, des sonorités, des confrontations saisissantes. Idéale dans Poulenc, l’acoustique de l’Arsenal, disons‑le, n’a pas toujours rendu justice à l’orchestration pneumatique de Bernard Cavanna, compactant des alliages timbriques subtilement dosés dans la partition. Puisse l’enregistrement annoncé de ce beau programme y remédier.

En vente sur le site...

Le Moine et le Voyou

Nouvel album des Métaboles
Enregistré en mai 2022 à l'Arsenal, Cité musicale - Metz

2022

mai

Samedi 28 mai 2022 - 20hMesse un jour ordinaireCité musicale - Metz

En 1994, Messe un jour ordinaire croisait la parole véhémente et fracassante de la messe à celle, individuelle et dérisoire, de Laurence, jeune toxicomane apparue dans un documentaire de Jean-Michel Carré.
20 ans plus tard, Bernard Cavanna en effectue une réécriture pour y renforcer la présence de la voix et du chœur.

2018

décembre

Samedi 22 décembre 2018 - 19hMesse un jour ordinaireGennevilliers - Salle des Fêtes

Messe un jour ordinaire s’articule principalement autour de deux textes : celui du rituel de la messe et de la parole dérisoire de Laurence, jeune femme à la dérive, toxicomane ordinaire, aujourd’hui disparue et tirée d’un document filmé de Jean-Michel Carré, « Galère de femmes ». Elle met ainsi en présence une parole collective – parole véhémente, fracassante, sûre de son ordre – et une parole individuelle, modeste, minime, humaine et négligeable.

Plein tarif : 14 euros / tarif étudiant : 10 euros
réservations : 01 40 85 64 71