Les Métaboles retiennent les anges au-dessus du musée d’Orsay
Resmusica - Patrick Jézéquel - The Angels
Les Métaboles retiennent les anges au-dessus du musée d’Orsay
Pour le premier concert de sa saison, l’auditorium du musée d’Orsay convie les Métaboles dans un récital de chant sacré, « The Angels », entrant en résonance avec l’exposition concomitante consacrée à Louis Janmot (1814-1892) et intitulée : « Le Poème de l’âme ».
On savait Les Métaboles à l’aise quand, toutes voix dehors (près de 50 au total), ils emplissent le volume d’une nef (en l’occurrence celle de la basilique de Vézelay). Les voici dans un espace beaucoup plus réduit – celui de l’auditorium du musée d’Orsay –, à l’acoustique feutrée et assez sèche, qui convient parfaitement à leur effectif : seize chanteurs. Voire beaucoup moins, quand, au tout début, ils sont quatre à entonner l’Ave verum corpus (1605) de William Byrd, placés derrière le public, au fond de la salle. L’effet est saisissant, d’autant plus que l’on s’attendait à entendre leurs camarades montés sur la scène. La liturgie catholique nous enveloppe dans ce motet intime, très lent et très recueilli. Donc, aujourd’hui, place à la clarté, à l’intensité et à la convivialité !
Le programme reprend celui du disque The Angels (NoMadMusic, 2021, Clef d’or ResMusica) augmenté de trois chants signés Benjamin Britten (A Hymn to the Virgin, 1930), John Taverner (The Lamb, 1982) et Arvo Pärt (The Deer’s Cry, 2008). Des compositeurs de la Renaissance (Byrd, Purcell, Palestrina) et d’autres des XXe et XXIe siècles (Harvey, Britten, Pärt, Taverner), tous pieux et dépositaires d’une culture musicale qu’ils transforment. Douze chants en tout, dont la réunion joue sur le double tableau de la clarté polyphonique et d’une certaine expressivité contemporaine (par exemple The Deer’s Cry d’Arvo Pärt, obsédant et sobre – deux marques de fabrique de ce créateur – et qui sera redonné en bis). Avec toujours cette préoccupation de mettre l’homme, c’est-à-dire le croyant, au centre, donc l’homme seul s’adressant à son dieu, d’où l’importance donnée au texte et l’exclusivité à la voix nue. C’est tout l’intérêt esthétique d’un chœur réduit à son minimum, qui assure l’intelligibilité du chant en ses différentes strates. Ce qui s’entend plus particulièrement dans Come, Holy Ghost (1984) et Plainsongs for Peace and Light (2012) de Jonathan Harvey (1939-2012), qui tous deux reprennent la simplicité d’expression du plain-chant, qu’on pourrait qualifier de romane. Harvey est d’ailleurs le compositeur le plus présent ce midi, avec six pièces, sûrement le plus étonnant aussi, caractérisé par un raffinement inouï, que produisent : le caractère mystique de son inspiration avec sa dimension personnelle, une instabilité entretenue entre inquiétude et paix (qui contraste fort avec, en particulier, la solidité architecturale du Stabat Mater [1580] de Giovanni Pierluigi da Palestrina), des harmonies tournoyantes, des variations entre mélisme et chant syllabique, l’étagement extrême des registres s’appuyant sur des accords en bourdon, ou encore le savant tuilage des voix ainsi que les surprenants glissandi descendants à la fin de Come, Holy Ghost. Tous ces effets sont merveilleusement rendus par un ensemble attentif aux inflexions souples du chef.
Très finement pensé, l’enchaînement des morceaux obéit à plusieurs préoccupations. Premièrement, ménager l’attention des auditeurs par l’alternance de chants de caractères ou de niveaux de complexité différents. Ainsi l’Ave Verum corpus de William Byrd et Remember not, Lord, our offenses (1681) d’Henry Purcell encadrent-ils A Hymn to the Virgin de Benjamin Britten et trois chants d’Harvey : I love the Lord (1976), Come Holy Ghost et Plainsongs for Peace and Light. Deuxièmement, préserver une certaine variété, dans un contexte stable, par la distribution régulière des solos. On retiendra, dans l’Ave Verum corpus de Byrd et The Annunciation (2011) d’Harvey, la puissante soprano Anne-Claire Baconnais, l’alto Aurélie Bouglé ainsi que la basse Jeroen Bredewold, et, dans Come, Holy Ghost, les sublimes soprano Amandine Trenc et ténor Benjamin Aguirre Zubiri, dont les chants s’envolent littéralement hors du cadre. Troisièmement, faire une sorte de clin d’œil intellectuel ou culturel en faisant se suivre Remember not, Lord, our offenses de Purcell et Remember, O Lord (2003) d’Harvey, façon de souligner une inspiration et une filiation.
Le public aura pu communier avec des chanteurs nuancés à l’extrême et dirigés par leur chef, Léo Warynski, visiblement reconnaissant envers ses musiciens et très heureux d’être parmi nous.